L’aide à la décision est un ensemble de concepts dont l’objectif est d’aider un utilisateur dans un processus de décision. Cette aide fournie à l’utilisateur se veut être la plus en adéquation avec ses préférences. Ainsi, pour un système d’aide à la décision, il s’agit dans un premier temps, d’apprendre les préférences de l’utilisateur pour un problème de décision. La deuxième étape consiste à faire la synthèse des informations apprises dans le but de faire des recommandations à l’utilisateur. Cette synthèse se fait à l’aide d’un opérateur d’agrégation.
Historique de l’aide à la décision
L’origine de l’aide à la décision comme détaillée par Alexis Tsoukiàs dans [4], peut être située dans la période d’avant deuxième guerre mondiale; elle se trouve dans les études menées par l’armée britannique dans le cadre de l’installation des systèmes radar et les efforts de décodage du code secret des communications allemandes (1936-37). On trouve de plus amples explications dans [5] et [6] à ce sujet. On y trouve la première utilisation du terme “recherche opérationnelle”. En réalité, les problèmes liés à la prise de décision par les personnes, les organisations, les institutions avaient déjà occupé les scientifiques et les gestionnaires à partir du XVIIIème siècle, voir [7] sur les problèmes combinatoires, [8] et [9] sur les procédures de décision collective. On retrouve également au début du XXème siècle des traces dans [10] sur les problèmes économiques à dimensions multiples, dans [11] et [12] sur la gestion scientifique des entreprises et dans [13] sur la décidabilité. Un problème de décision est dit décidable s’il existe un algorithme, une procédure mécanique qui termine en un nombre fini d’étapes, qui le décide, c’est-à-dire qui réponde par oui ou par non à la question posée par le problème. S’il n’existe pas de tels algorithmes, le problème est dit indécidable Dans ces contributions le concept de décision est au cœur des préoccupations.
C’est le succès de la recherche opérationnelle à organiser les activités militaires des alliés qui accréditera l’idée que la prise de décision est un phénomène qui peut être étudié de façon scientifique et que des modèles généraux sont concevables. Entre la fin des années 40 et le début des années 50, plusieurs contributions fondamentales vont voir le jour (voir [14], [15] pour la programmation linéaire, [16], [17], [18] pour la théorie de la décision et la théorie des jeux, [19] sur l’algorithmique et l’existence de machines capables de résoudre “tout problème”). C’est à cette époque que vont apparaître les premières sociétés savantes de recherche opérationnelle (en 1948 en Angleterre, en 1950 aux États Unis) et les premières revues du domaine [20]. Toujours à cette époque, s’effectueront les premiers travaux d’application de la nouvelle discipline dans des cas pratiques (voir [21]) ainsi que l’apparition des premières sociétés privées spécialisées en “aide à la décision” (mais le terme n’est pas encore utilisé à l’époque). Le cas le plus célèbre est la société RAND dans laquelle la recherche opérationnelle se développera en science appliquée aux problèmes de la nouvelle industrialisation de l’après-guerre. Ces premiers travaux et expériences sont caractérisés par la recherche de structures formelles sous-jacentes aux problèmes concrets et l’utilisation des mathématiques et de la logique comme langage de modélisation. Les premiers pas dans cette direction vont renforcer l’idée que des problèmes complexes de décision sont modélisables à travers l’imposition d’un modèle de rationalité simple (la maximisation d’une fonction d’utilité exprimant les préférences du décideur; l’optimisation de cette fonction apportant la solution du problème de décision). Les travaux de Von Neumann et Morgenstern [18] et de Nash [17] montrent exactement sous quelles conditions ces fonctions et ces solutions existent. D’autre part, l’algorithme de programmation linéaire développé par Dantzig (la célèbre méthode du Simplexe) [14] apportera les outils nécessaires pour la résolution de problèmes, même de grande taille. Turing [19], mais aussi Wiener [22] et Ashby [23], vont aller plus loin pour proposer une théorie de résolution générale des problèmes.
Néanmoins à cette même période commencent à apparaître des travaux qui critiquent cet édifice et son paradigme associé. En 1951, Arrow [24] publie son célèbre théorème d’impossibilité montrant que l’agrégation des préférences d’individus rationnels, sous des conditions réputées naturelles (universalité, indépendance, respect de l’unanimité, non existence de dictateur), est impossible (si le résultat doit être un ordre complet). Ce théorème, qui, d’une part, va conclure la discussion ouverte avec les contributions de Borda et Condorcet au XVIIIème siècle (au sens que nous savons maintenant qu’il n’y a pas de procédure d’agrégation des préférences universelle, voir [25], [26]), va ouvrir la voie à une littérature immense sur la théorie du choix social (voir [27] [28] [29], [30], [31]). En 1953, ALLAIS [32] présente son célèbre paradoxe qui montre comment les axiomes, introduits par von Neumann et Morgenstern comme conditions nécessaires pour l’existence d’une fonction d’utilité (et implicitement pour exhiber un comportement rationnel), sont systématiquement violées par le comportement réel de décideurs confrontés à des choix très simples (voir aussi [33], [34]) Cette falsification empirique de la théorie de l’utilité espérée ouvre une autre voie de recherche encore, à la rencontre des études des sciences cognitives (voir par exemple [32]).
En 1947 déjà, Simon [35] commence à observer les processus de décision dans les organisations et remarque que le comportement réel de décideurs est loin d’être représentable par les postulats de la théorie de la décision, au moins dans la forme qu’elle a à ce moment-là. Pendant les années ’50, Simon ( [36] [37] [38]) développera sa théorie de la “rationalité limitée” selon laquelle un décideur confronté à un problème de choix se comportera selon un critère de “satisfaction”, au sens de choisir la première solution qui “satisfait” ces nécessités, et non pas selon un critère d’optimisation idéal, irréaliste et inutilisable. En effet Simon considère que la théorie de la décision fait trois hypothèses implicites (voir la présentation dans [39]):
– les décideurs connaissent bien leur problème;
– ce problème est toujours représentable comme un problème de recherche d’efficacité;
– l’information et les ressources nécessaires pour trouver une solution sont toujours disponibles.
Aucune de ces hypothèses n’est validée dans la vie réelle (selon Simon):
– les décideurs n’ont jamais une idée très claires de leur problème;
– souvent les problèmes de décision se présentent comme la recherche d’un compromis;
– la solution d’un problème est soumise à des contraintes temporelles et de ressources disponibles.
L’innovation introduite par Simon est capitale. Les approches de la théorie de la décision développées jusqu’à ce moment se basent sur l’hypothèse que le modèle de rationalité existe indépendamment du décideur et du processus de décision. Simon mettra au centre de sa réflexion le processus de décision (les activités mentales qu’un décideur doit effectuer pour prendre une décision) et postulera que le modèle de rationalité doit être recherché dans ce processus et non en dehors. Une hypothèse de “rationalité externe” est compatible avec un modèle d’optimisation. Cela ne pose aucun problème ; il n’en va pas de même dans l’hypothèse d’un modèle défini de façon subjective. Les travaux de Simon vont ouvrir plusieurs pistes de recherche orientées à la fois vers la création de nouvelles approches d’aide à la décision (voir par exemple [40] et vers ce qui ensuite sera connu sous le nom d’“intelligence artificielle” (voir [41]). Il faut remarquer en particulier que l’idée de recherche d’une solution satisfaisante va trouver une correspondance immédiate dans le problème de trouver un compromis acceptable dans une décision en présence de critères multiples (voir [42]). Entre la fin des années ’50 et le début des années ’70 vont apparaître toute une série de méthodes classiques de la nouvelle discipline, ouvrages sur lesquels plusieurs générations de chercheurs et de professionnels vont se former ( [43] [44], [45], [46], [47], [48]). Les années ’50 et ’60 vont connaître la multiplication des recherches, des cours universitaires, des applications dans des domaines très différents. Les grands clients des études de recherche opérationnelle et d’aide à la décision sont les entreprises qui administrent des réseaux (distributeurs d’eau, télécommunications, chemins de fer, compagnies aériennes). Par ailleurs, de nombreuses entreprises spécialisées en aide à la décision vont apparaître (en France, signalons la création de la SEMA-METRA, la revue scientifique de cette société étant devenue une des plus importantes revues de la discipline). D’autre part, il ne faut pas oublier que ces années sont celles de la reconstruction après la guerre; elles vont voir la mise en mouvement de formidables ressources pour la résolution de problèmes formidables eux aussi. Sans surprise, c’est pendant cette période que commenceront à se développer les approches critique du paradigme dominant de la théorie de la décision (pour les premières discussions voir [49], [50]). Ces critiques vont se développer dans plusieurs directions.
Au début des années 60 paraît le célèbre papier de Zadeh ( [51]) sur les ensembles flous; celui-ci va introduire une nouvelle perspective dans le traitement de l’incertitude, de l’ambiguïté et des variables linguistiques. L’innovation de Zadeh aura un impact majeur dans le futur de la discipline parce qu’elle concerne une partie fondamentale du langage formel: la théorie des ensembles. L’extension du concept d’ensemble avec l’introduction du concept de “fonction d’appartenance”, une ”mesure” de l’appartenance d’un élément à un ensemble, va permettre d’augmenter l’expressivité et la flexibilité des langages formels et par conséquent des modèles d’aide à la décision. Un autre domaine qui va apporter des contributions majeures au développement de la théorie de la décision et aux approches alternatives est celui des sciences cognitives et de la psychologie (voir [52], [53] [54], [55]). L’intuition d’Allais dans les années ’50 de valider expérimentalement les axiomes de la théorie de la décision a donné suite à plusieurs travaux dans la même lignée. Nous voulons signaler ici en particulier les travaux de Tversky (voir [56], [57], [58]) qui vont mettre en évidence le fait que les idées intuitives sur les propriétés des relations de préférence sont plus une exigence de la théorie qu’un comportement des décideurs réels. Tversky démontrera que la relation de préférence peut bien exhiber des intransitivités ( [57]) et que la relation d’indifférence (ou de similarité) peut bien ne pas être symétrique ( [58]). Ces travaux mettent clairement en évidence la nécessite d’une étude plus approfondie des structures de base utilisées dans la construction des modèles d’aide à la décision, notamment les structures des relations de préférence ( [59], [60], [61]) et les fonctions qui doivent “mesurer” la préférence (les fonctions de valeur ou d’utilité, voir [62], [63]). Pour voir du travail plus récent le lecteur consultera [64], [65], [66], [67] (voir encore la récente revue dans [68]). Toujours dans le cadre de l’influence des études psychologiques il ne faut pasnégliger l’apparition dans les années ’60 du courant de la psychologie “relationnelle” fondée sur une approche définie par ces auteurs comme “constructive” (voir [69], [70], [71]). Dans cette approche sera mise en évidence l’importance de la formulation des problèmes et de la relation entre celui qui demande une aide et celui qui l’apporte (le patient et le thérapeute dans leur terminologie). Surtout cette approche mettra en évidence le fait que les problèmes ne sont pas les données d’un processus de décision: le processus pour définir et pour résoudre un problème est le même. Dans cette perspective, la solution est une construction et non pas le résultat d’une recherche dans un espace donné. Nous pouvons conclure l’histoire en remarquant qu’à la fin des années ’60, début des années ’70; la recherche opérationnelle et la théorie de la décision se trouvent à un point de fort développement tant du point de vue scientifique que professionnel.
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 : Aide à la décision Multicritère / Multiattribut
1.1. Historique de l’aide à la décision
1.2. Aide à la décision
1.2.1. Aide pour qui ?
1.2.2 Aide par qui ?
1.3 L’aide à la décision multicritère
1.3.1 Critères
1.3.2 Actions
1.4 Les Systèmes Interactifs d’Aide à la Décision
1.5 Théorie Multi-Attributs
1.6 Apprentissage automatique
1.6.1 Apprentissage supervisé
1.6.2 Apprentissage non supervisé
1.6.3 Apprentissage par renforcement
1.7 Conclusion
Chapitre 2 : Opérateurs d’agrégations
2.1 Qu’est-ce qu’un opérateur d’agrégation ?
2.2 À quoi servent les opérateurs d’agrégation?
2.3 Quelques opérateurs d’agrégation
2.3.1 La somme pondérée
2.3.2 La somme pondérée ordonnée
2.3.3 L’intégrale de Choquet
2.3.4 L’intégrale de Sugeno
2.3.5 Multi-objective optimization based on ratio analysis (MOORA)
2.3.6 Complex proportional assessment of alternatives (COPRAS)
2.3.7 Technique for Order Preference by Similarity to Ideal Solution (TOPSIS)
2.3.8 Weighted aggregated sum product assessment (WASPAS)
2.3.9 Evaluation based on Distance from Average Solution (EDAS)
2.4 Classification des opérateurs d’agrégation
2.4.1 Opérateurs de compromis
2.4.2 Agrégation conjonctive
2.4.3 Agrégation disjonctive
2.4.4 Agrégation mixte
2.5 Propriétés générales
2.5.1 Idempotence
2.5.2 Continuité
2.5.3 Symétrie
2.5.4 Associativité
2.5.5 Élément neutre et élément absorbant
2.6 Propriétés des opérateurs évoqués
2.7 Conclusion
Chapitre 3: Systèmes de recommandation
3.1 Collecte d’Information
3.1.1 Collecte de données explicite – Filtrage actif
3.1.2 Collecte de données implicite – Filtrage passif
3.2 Profil Utilisateur
3.3 Liste de recommandations
3.4 Types de système de recommandation
3.4.1 Recommandation Personnalisée
3.4.2 Recommandation par le contenu
3.4.3 Recommandation Sociale
3.4.4 Recommandation Hybride
3.5 Efficacité d’un algorithme de recommandation
3.6 Conclusion
Chapitre 4: STROMa
4.1 Architecture détaillée de STROMa
4.1.1 Problèmes de décision
4.1.2 Critères
4.1.3 Alternatives
4.1.4 Choix de l’opérateur d’agrégation
4.1.5 Caractéristiques techniques de STROMa
4.2 Les opérateurs d’agrégation mis en œuvre
4.2.1 Somme pondérée
4.2.2 Intégrale de Choquet
4.2.3 MOORA
4.2.4 COPRAS
4.2.5 EDAS
4.2.6 WASPAS
4.2.7 TOPSIS
4.3 Comment choisir un opérateur d’agrégation face à un problème de décision
4.4 Conclusion
Conclusion