Agronomie du palmier à huile
Filière palmier à huile
De l’exploitation traditionnelle en Afrique à nos jours Le palmier à huile (Elaeis guineensis) est une oléagineuse originaire d’Afrique de l’Ouest, où l’on trouve de nombreuses palmeraies dites naturelles. L’huile rouge, extraite de manière artisanale des fruits du palmier, est consommée depuis des siècles dans les pays du golfe de Guinée (Ndjogui, et al., 2014). Cet ingrédient traditionnel de la cuisine africaine est « découvert » à la fin du 16ème siècle par les colons européens, qui lui prêtent alors peu d’intérêt. C’est à la fin du 18ème et au début du 19ème siècle que l’huile de palme va devenir une matière première d’importance internationale. La révolution industrielle s’accompagne de grandes avancées en chimie, et notamment dans l’industrie du savon au Royaume Uni, où l’huile de palme se révèle être une matière première bon marché et de bonne qualité. Son avantage tient notamment dans sa teneur en acide palmitique (voir annexe 1) qui permet de faire mousser les savons.
Cet acide gras découvert à cette époque doit son nom au palmier à huile (Henderson, et al., 2000). La stéarine3 de palme sera alors utilisée dans la confection de bougies, et l’huile de palme comme lubrifiant dans l’industrie et les chemins de fer. En 1854 est mis au point le procédé d’élaboration de la glycérine à partir de l’huile de palme, avec de très nombreuses applications, notamment en pharmacologie et dans le domaine des explosifs. La demande industrielle dépasse rapidement la production des palmeraies africaines, et la fin du19ème siècle marque l’apparition des premières plantations coloniales commerciales, au Congo puis au Nigeria, à l’initiative de l’entreprise britannique Unilever. Parallèlement, le palmier à huile a été introduit dans d’autres colonies européennes, comme ce fut le cas à Java (1848), où il s’adapte remarquablement bien au climat local.
Au début du 20ème siècle, de grandes plantations commerciales sont installées à Sumatra et en Malaisie. Les firmes agro-industrielles comme Unilever se lancent alors dans des programmes d’amélioration génétique à grande échelle du palmier à huile (Henderson, et al., 2000). C’est également à cette époque qu’est créé en France l’institut de recherche sur les huiles et oléagineux (IRHO), qui deviendra par la suite partie intégrante du CIRAD. Après la seconde guerre mondiale, du matériel végétal sélectionné et amélioré est produit et diffusé à grande échelle. La croissance démographique et économique mondiale des Trente Glorieuses s’accompagne d’un boom de la demande en corps gras pour l’alimentation humaine et l’industrie cosmétique. Après la décolonisation, de grands projets de développement de plantations sont financés par les bailleurs internationaux, d’abord en Afrique dans les années 1960, puis en Asie dans les années 1980. De nombreuses entreprises et pays situés en zone tropicales y voient alors une opportunité importante, et le développement de la culture s’accélère de manière exponentielle à partir des années 1980.
En Indonésie et en Malaisie, les plantations d’hévéas sont remplacées par du palmier, suite à l’effondrement des prix du caoutchouc (Henderson, et al., 2000). De nouvelles plantations sont créées sur des espaces de forêts peu peuplées. Le palmier devient alors le fer de lance du développement rural et industriel de ces deux pays, qui développent rapidement de puissantes agro-industries orientées vers la production intensive et l’exportation de cette matière première agricole. Ces projets de développement sont massivement soutenus par la Banque Mondiale, qui engage près d’un milliard de dollars pour soutenir des projets de plantations et d’industries à travers le monde (Teoh, 2014). La croissance de la culture est alors vertigineuse, soutenue par une demande toujours plus forte de l’industrie agro-alimentaire et des pays émergents. Les surfaces en production sont multipliées par 10 entre 1980 et 2010 (voir Figure 1). La figure 2 ci-contre montre comment en vingt ans le palmier s’est imposé par rapport aux autres oléagineux. En 2005, l’huile de palme a dépassé en tonnage l’huile de soja, pour devenir la première source mondiale de corps gras.
L’huile de palme représente aujourd’hui 30% de la production mondiale des graisses et oléagineux destinés à l’alimentation humaine, soit environ 56 Mt sur 193 Mt consommés en 2013 (Oil World, 2014). En terme de surface, environ 15 millions d’hectares sont dédiés à la culture du palmier à huile au niveau mondial, ce qui représente 5,7% des 263 millions d’hectares dédiés à la production d’oléagineux. En effet le palmier à huile est celui qui présente le meilleur rendement huile/surface (voir annexe 2), avec un rendement en huile moyen mondial de 3,8 t/ha (Rival, et al., 2013). Le palmier à huile est donc une production agricole d’importance mondiale, 1ère huile végétale au monde devant le soja, dont la production est assurée par quelques pays situés dans la zone intertropicale. La physiologie de la plante limite cette culture dans les zones au climat tropical humide, et certains pays comme l’Indonésie et la Malaisie ont tiré profit de cet avantage climatique pour planter massivement du palmier à huile, comme le montre la figure 3 sur la page précédente. Ces deux pays dominent aujourd’hui le marché mondial en produisant à eux deux 85% de l’huile de palme (Oil World, 2014). Alors que la production a stagné dans les pays producteurs historiques d’Afrique, et s’est développé de manière moindre en Colombie, Thaïlande, Papouasie-Nouvelle Guinée et Equateur.
Transformation et utilisation de l’huile de palme
On distingue deux étapes de transformations principales dans la filière huile de palme l’extraction et le raffinage, auxquelles peuvent s’ajouter d’autres étapes complémentaires. D’abord, les fruits du palmier sont traités dans des huileries pour en extraire l’huile de palme brute ou CPO (crude palm oil) et l’huile de palmiste ou PKO (palm kernel oil). Les figures 4 et 5 détaillent le diagramme de l’extraction de l’huile de palme et des différents coproduits qui en résultent. Les coques et les fibres issues de l’extraction sont utilisées pour alimenter des chaudières, qui permettent aux huileries d’être autonomes en énergie. Les rafles peuvent être utilisées comme amendement organique en agriculture. Les effluents et boues constituent des déchets qui doivent être traités par lagunage. La majorité des régimes de palmier passent donc par ces unités industrielles situées au coeur des zones de productions, car les fruits ne se conservent pas et doivent être traités dans les 24h après la récolte, pour limiter l’acidité de l’huile. Il existe également en Afrique de nombreuses petites unités de transformation artisanale qui produisent de l’ « huile rouge » (huile de palme brute non raffinable) destinée à la consommation locale traditionnelle et à certains marchés de niche dans le reste du monde.
La CPO et la PKO sont des matières premières stables qui s’échangent sur les marchés internationaux, mais qui doivent encore être raffinées. Le raffinage permet de supprimer l’acidité, la couleur et l’odeur de l’huile. Le fractionnement est une étape supplémentaire, qui permet ensuite d’obtenir différents classes d’huiles à partir de l’huile de palme raffinée (oléine, super oléine et stéarine de palme). Les différents corps ainsi obtenus ont des propriétés intéressantes pour différents usages agro-alimentaires et industriels. L’huile de palme raffinée et ses fractions serviront dans l’industrie agro-alimentaire pour réaliser de très nombreux produits huiles de table, huiles de fritures, margarines, pâtisseries, gâteaux apéritifs, crèmes glacées. L’huile de palme fournit également différents types de matière première pour la lipochimie acides gras libres (savons et produits ménager), glycérol (pharmacie, cosmétiques, émulsifiants alimentaires, épaississants, explosifs etc.), alcools gras, amines (assouplissants textiles, shampooings).
Enfin il est possible de transformer les triglycérides de l’huile en palme en ester méthyliques (diester ou biodiesel) (Pioch, 2013). L’huile de palme brute, raffinée, ainsi que ses différents dérivés issus du fractionnement, sont des produits qui s’échangent sur les marchés internationaux, avec parfois des écarts de prix incitant les industriels en amont à filière à réaliser plus ou moins d’opérations de transformation avant exportation. Au total 78% de la production est exportée, les principaux importateurs étant par ordre d’importance la Chine, l’Inde, l’Europe des 27, le Pakistan, les USA et le Bangladesh (Oil World, 2014). L’huile de palme est ses dérivés sont destinés à 80% à l’alimentation, à 19 % à l’industrie et aux cosmétiques, et 1% est utilisé comme source d’énergie (Rival, et al., 2013).
Conséquences environnementales
A la fin des années 90, plusieurs campagnes réalisées par des ONG ont mis en lumière certaines conséquences environnementales désastreuses du palmier à huile. En Indonésie, où l’on estime que 28 millions d’ha de forêt tropicale humide ont été perdus, 3 millions d’ha de palmier ont été directement implantés en abattant de la forêt primaire (Rival, et al., 2013). En Malaisie, le palmier à huile serait responsable de la perte d’un million d’ha de forêts. Ces forêts équatoriales sont des écorégions à fort taux d’endémisme, considérés comme des sanctuaires de biodiversité. En plus de la perte de biodiversité, la conversion de forêts primaires en plantations de palmier est accusée à juste titre de participer au réchauffement climatique, en réduisant les stocks de carbone organique (biomasse aérienne et SOC). En particulier lors de l’exploitation de tourbières, dont la mise en culture réduit considérablement les stocks de carbone du sol. L’exploitation de ces tourbières, dont l’impact environnemental est désastreux, est aujourd’hui catégoriquement interdite par le cahier des charges RSPO (Round Table on Sustanaible Palm Oil). L’enjeu de la conservation des forêts équatoriales primaires est d’autant plus important que quasiment toutes les dernières forêts primaires équatoriales d’Asie, d’Afrique et d’Amérique Latine se situent dans des zones climatiques propices à la culture du palmier à huile (Fitzherbet, 2008).
En plus de ces enjeux de conservation, la culture du palmier à huile peut également être responsable de problèmes d’érosion, de perte de fertilité des sols, ainsi que de pollutions des sols, de l’atmosphère, des eaux de surfaces et des eaux souterraines suite à l’usage de fertilisants chimiques et de pesticides (Jacquemard, 2011). Les huileries peuvent être responsables d’importantes pollutions des cours d’eau si les effluents ne sont pas bien traité par lagunage. Les lagunes de traitement des effluents émettent également des quantités importantes de méthane, qui peut cependant être capté.
La méthode de l’analyse de cycle de vie (ACV) permet de mieux comprendre l’impact global de la production d’huile de palme, et de la nuancer en fonction des conditions de productions (Bessou, et al., 2012). Dans des conditions où les plantations ne s’établissent pas sur des forêts, la culture présente un impact global bien moindre que celui d’autres oléagineux comme le soja ou le colza, voir même un impact positif sur les stocks de carbone organique, dans le cas de plantations sur des prairies naturelles en Indonésie (Schmidt, 2010) ou sur d’anciennes bananeraies au Brésil, en Equateur, et en Colombie. Le bon traitement des effluents d’huilerie permet également de réduire de manière significative l’impact environnemental de la production (Choo et al, 2011). Il est donc important de souligner les enjeux liés à la plantation de palmier à huile en zone de forêt tropicale et sur les zones de tourbière. Mais il est aussi essentiel de pouvoir nuancer l’évaluation son impact environnemental en distinguant les différentes conditions de culture et de transformation existantes. Pour répondre aux problèmes environnementaux, et sous la pression de la société civile et des ONG occidentales, les acteurs de la filière huile de palme ont établi un ensemble de critères pour garantir la durabilité de la production. Le cahier des charges de la certification RSPO est aujourd’hui utilisé comme un standard chez les différents producteurs. Cependant, malgré les nombreuses pressions et controverses entourant l’huile de palme, la demande mondiale pour une huile certifiée « durable » reste faible.
|
Table des matières
Résumé
Remerciements
Table des matières
Table des illustrations
Liste des sigles et abréviations
Introduction
Les différents protagonistes et leurs intérêts dans le projet
1 Du marché mondial à la parcelle cultivée comprendre le contexte et les spécificités de l’élaeiculture en Equateur
1.1 Le marché mondial de l’huile de palme
1.1.1 Filière palmier à huile De l’exploitation traditionnelle en Afrique à nos jours
1.1.2 Transformation et utilisation de l’huile de palme
1.1.3 Evolution de la demande mondiale à l’horizon 2050
1.1.4 Conséquences environnementales
1.1.5 Enjeux socio-économiques
1.2 La filière huile de palme en Equateur
1.2.1 L’Equateur petit pays, grand producteur agricole
1.2.2 Une brève histoire agricole du pays
1.2.3 Zones de production
1.2.4 Structuration de la filière
1.2.5 Forces et faiblesses de la filière
1.3 Agronomie du palmier à huile
1.3.1 Eléments de botanique
1.3.2 Condition climatiques adaptées à la culture
1.3.3 Conduite agronomique
1.3.4 Maladie et ravageurs
1.3.5 Sélection génétique
2 Elaboration de la méthodologie de l’étude
2.1 Problématique du projet MV Palm 2014
2.2 Enjeux de développement dans le Sud du bloc Occidental
2.3 Objectifs
2.4 Concepts utilisés dans l’analyse
2.5 Délimitation du bassin de production de Los Rios / Guayas
2.6 Démarche scientifique
2.7 Etude des exploitations actuellement en production
2.7.1 Méthodologie d’échantillonnage
2.7.2 Conduite d’entretien
2.8 Caractérisation spatio-temporelle du bassin de production
2.9 Exploration des nouvelles exploitations élaeicoles
2.10 Données de production à l’échelle régionale
2.11 Analyse des données
2.11.1 Création d’un système d’information géographique (SIG)
2.11.2 Analyse statistique
3 Etude globale du bassin de production
3.1 Un milieu hétérogène
3.2 Un développement élaeicole en 4 étapes
3.3 Une filière marquée par la concurrence entre huileries
3.3.1 Le rôle des macro-acteurs de la filière
3.3.2 Une production totale inférieure à la capacité de transformation
3.3.3 Relation des planteurs avec les huileries
3.4 Les motivations pour le choix de la culture du palmier à huile
3.4.1 Comparaison des différentes cultures présentes dans le bassin de production
3.4.2 Critères de choix
4 Résultat de l’étude des exploitations en production
4.1 Rappel de la méthodologie et adaptations
4.2 Description de la population étudiée
4.2.1 Construction d’une typologie des exploitations agricoles
4.2.2 Dynamiques de plantation des exploitations déjà en production
4.2.3 Pratiques culturales
4.3 Typologie des conduite techniques des plantations
4.3.1 Typologie des itinéraires techniques en phase juvénile
4.3.2 Typologie des itinéraires techniques en phase productive
4.3.3 Analyse des conduites techniques
4.3.4 Analyse des choix d’ITK au sein des exploitations
4.4 L’anticipation du risque de pourriture du coeur
4.5 Conclusion sur l’étude des exploitations en production
5 Evolution de la production de régimes
5.1 Evolutions chez les exploitations déjà en production
5.2 Projets des nouveaux planteurs et nouvelles zones de plantation
5.3 Conclusion sur l’évolution de la production
Conclusion générale vers une évolution de la filière ?
Discussion limites de l’étude et possibilités d’approfondissement.
Bibliographie
Table des annexes
Annexes
Télécharger le rapport complet