Agricultures familiales et dynamiques de genre au Cameroun

Cette thèse de doctorat propose une lecture des modalités d’insertion des agricultures familiales bamiléké et béti dans l’économie coloniale, de la fin du XIXe siècle aux indépendances. A cette fin, le choix a été fait de placer au cœur de la démonstration les enjeux de genre qui sous-tendent ces processus. Une telle démarche a le mérite de mettre en lumière le rôle joué par les femmes dans la dynamique des transformations des systèmes de production et, par extension, des sociétés étudiées. Ces deux sociétés sont localisées géographiquement dans le Sud du Cameroun. Elles ont adopté respectivement le café et le cacao dans les années 1920. Tout en présentant des organisations politiques très différentes, elles ont en commun une féminisation importante de leur système agraire.

Le genre, outil pertinent d’analyse des mutations des systèmes familiaux de production en Afrique

En 2011, la FAO (l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) consacre son rapport annuel sur « la situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture » au « rôle des femmes dans l’agriculture ». Partant du constat que les mauvaises performances de l’agriculture dans plusieurs pays découlent du fait que les femmes n’ont pas accès aux mêmes ressources et opportunités que les hommes, elle propose des mesures afin de « combler le fossé entre les hommes et les femmes pour soutenir le développement » . Elle fait ainsi le lien entre la persistance de la pauvreté dans les pays du sud, et particulièrement en Afrique subsaharienne, et les inégalités structurelles entre les hommes et les femmes dans la production agricole.

L’Organisation des Nations Unies en proclamant l’année 2014 « Année internationale de l’Agriculture familiale » souligne l’urgence de remettre l’agriculture familiale au centre des programmes de développement compte tenu du rôle fondamental qu’elle joue dans la « réduction de la pauvreté et de la faim, pour la sécurité alimentaire et la nutrition, l’amélioration des moyens d’existence, la gestion des ressources naturelles, la protection de l’environnement et le développement durable, en particulier en milieu rural » .

En Afrique subsaharienne, où les femmes occupent une place importante dans l’agriculture, les effets des inégalités de genre pèsent effectivement sur le développement de nombreux pays. Historiquement, la production et la transformation des produits alimentaires relevaient dans beaucoup de sociétés du domaine presqu’exclusif des femmes et le savoir-faire agricole faisait partie intégrante de l’identité féminine. Ce constat encourage à s’interroger sur les dynamiques qui ont abouti à l’invisibilisation des femmes dans l’agriculture. Les transformations induites par la colonisation, notamment la généralisation de la monétarisation des échanges et surtout les modalités d’insertion de ces sociétés dans les échanges internationaux à travers les nouvelles cultures d’exportation, sont des angles décisifs pour analyser ces mutations et comprendre la situation contemporaine.

Depuis le XIXème siècle en effet, les politiques coloniales ont cherché à promouvoir un modèle d’agriculture familiale calqué sur celui des métropoles. Au Cameroun, dans notre zone d’étude, cette greffe, fruit d’une vision déformée liée à l’histoire de l’agriculture familiale occidentale, a produit en fait deux modèles de production : celui des cultures d’exportation, géré par les hommes et celui des cultures vivrières sous le contrôle des femmes. Cette réalité s’explique par le fait que les cultures d’exportation se sont inscrites dans les systèmes de production agricole existant en s’appuyant sur la division du travail entre les sexes.

État de la question sur le genre et les agricultures familiales en Afrique

L’agriculture en Afrique, au-delà de l’aspect agronomique, est un sujet qui intéresse plusieurs disciplines des sciences sociales (sociologie, anthropologie, histoire, économie, géographie). Depuis la période coloniale, de nombreux travaux ont été menés pour expliquer ces mutations suite aux bouleversements induits par la domination coloniale. Ces travaux ont été d’abord l’œuvre de botanistes, géographes et agronomes tropicaux, à l’instar d’Auguste Chevalier, qui se sont davantage préoccupés de l’aspect technique et agronomique (inventaire de la faune et des plantes cultivées par exemple, qualité des sols etc…) et ont peu mis l’accent sur les interactions entre l’organisation des sociétés et les systèmes agricoles qu’ils décrivent. Ils ont néanmoins inspiré les politiques coloniales de mise en valeur agricole qui se sont fondées sur les paysanneries locales .

D’une manière générale, l’approche genre dans l’analyse des mutations des agricultures familiales s’est développée plus tardivement, dans le sillage des conférences mondiales sur les femmes organisées par l’Organisation des Nations Unies entre 1975 et 1995. Ces conférences ont amené les acteurs du développement et les chercheurs à porter un regard critique sur la manière donc les programmes de développement, censés lutter contre la pauvreté, ont été conçus et mis en œuvre. Le constat partagé est celui de l’échec de ces programmes, dû en partie à l’absence de prise en compte des besoins spécifiques des femmes, notamment des femmes rurales, parmi les plus vulnérables face à la pauvreté.

Le travail d’Ester Boserup en 1970, a mis en lumière l’importante contribution des femmes dans la production agricole en Afrique subsaharienne. Il a montré que la méconnaissance et la dévalorisation du rôle des femmes dans les systèmes productifs locaux par les acteurs du développement, depuis la colonisation, ont conduit à la détérioration de leur statut social et économique. A la suite de ce travail plutôt général sur l’Afrique subsaharienne, quelques travaux partant de contextes géographiques plus restreints ont été entrepris, avec pour ambition d’affiner ces conclusions. Jette Bukh a travaillé sur le peuple Ewe, réparti entre le Ghana et le Togo. Elle soutient que l’introduction du cacao dans les systèmes de production familiaux et le développement de l’économie de marché ont renforcé la division sociale et sexuelle du travail dans les familles paysannes Ewe. Les femmes ont été confinées dans des activités de subsistance, avec la responsabilité d’assurer la survie quotidienne de la famille, tout en étant confrontées à des difficultés d’accès aux ressources essentielles comme la terre, la main d’œuvre ou encore l’éducation, tandis que les hommes ont investi le secteur de l’économie de rente à travers la production du cacao ou le travail salarié . Elle analyse cette nouvelle division sociale du travail dans la sphère familiale comme la cause actuelle de la subordination économique des femmes Ewe.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE
LE SUD-CAMEROUN AU TOURNANT DU XXEME SIECLE : COLONISATION ET EVOLUTION DES SYSTEMES DE PRODUCTION AGRICOLE : 1884-1930
Chapitre I
Division sexuelle du travail agricole et implications sociales et économiques
I.1. Contexte géographique et social et répartition sexuée des activités agricoles
I.1.1. Zone de transition entre la forêt équatoriale au sud et la savane au nord
I.1.2. Dynamiques migratoires et stabilisation des populations au début de la pénétration européenne
I.1.2.1. Les Béti du sud-forestier : une société décentralisée organisée autour du fondateur du village (mod nnam), de ses femmes et ses dépendants
I.1.2.2. Les Bamiléké des Hauts-plateaux de l’Ouest : des chefferies structurées autour du Fo, chef héréditaire, au sommet de la hiérarchie sociale
I.2. Une responsabilité partagée ? Les femmes, les hommes et le travail agricole
I.2.1. Répartition du travail agricole entre les sexes en pays béti
I.2.1.1. L’espace agricole béti
I.2.1.2. Plantes cultivées et organisation sexuée
I.2.2. Répartition du travail agricole entre les sexes en pays bamiléké
I.2.2.1. L’espace agricole bamiléké
I.2.2.2. Plantes cultivées organisation sexuée du travail agricole
I.2.2.3. Un calendrier agricole calqué sur les rythmes pluviométriques
I.2.2.4. Méthodes de culture, systèmes de fertilisation : l’implication des hommes et des femmes dans la préservation des sols en pays bamiléké
I.2.3. Un investissement plus important des hommes dans des activités non agricoles: guerre, chasse, commerce, pêche, artisanat et travaux de construction
I.3. Implications sociales et économiques de la division sexuelle du travail agricole
I.3.1. Contrôle des moyens de production : la force de travail des femmes et la terre
I.3.2. Organisation du temps de travail, contrôle des récoltes et outils de production
I.3.3. Production agricole et solidarité féminine
Chapitre II
Économie de plantation, mobilités masculines et systèmes locaux de production 1884-1930
II.1. Plantations capitalistes et mobilisation de la main d’œuvre masculine (1885-1930)
II.1.1. Des Africains incapables de développer une économie de plantation ?
II.1.2. Les Duala : premiers planteurs Camerounais (1890-1930)
II.1 .3. Migrations forcées ou volontaires : la mobilisation de la main d’œuvre masculine dans les plantations capitalistes
II.2. Répercussions des migrations sur le travail agricole et la production alimentaire
II.2.1. Migrations masculines et effets sur les rapports de production
II.2.2. Articuler économie de plantation et production alimentaire (1908-1930)
II.3 : Approche coloniale de l’alimentation et mutation des régimes alimentaires des colonisés
II.3.1. Représentations coloniales de l’alimentation des populations africaines
II.3.1.1. Colonisation européenne et désarticulation des sociétés locales : effets sur les systèmes de production alimentaire
II.3.1.2. Lutter contre « l’insouciance et l’imprévoyance des Africains » : des sociétés africaines pensées comme incapables d’assurer leurs besoins alimentaires
II.3.2. Mesures administratives contraignantes et pratiques alimentaires des populations locales : 1920- 1930
II.3.2.1. Politique de la viande : développer la pêche et vulgariser la consommation des protéines animales
II.3.2.2. Réquisitions des vivres, développement de nouvelles cultures alimentaires et
délégitimation de la place des femmes en agriculture
II.3.2.3. Quelle application concrète de la politique alimentaire coloniale ?
DEUXIEME PARTIE
DE « L’ARCHAÏSME » A LA « MODERNISATION » DE L’AGRICULTURE FAMILIALE: RHETORIQUE COLONIALE, ENJEUX DE GENRE ET CULTURES DE RENTE AU CAMEROUN (1930-1960)
Chapitre III
Modernisation de l’agriculture : la construction de l’invisibilité des femmes : 1930-1960
III.1. Priorité aux cultures d’exportation (cultures masculines) et investissement limité dans les cultures vivrières féminines
III.1.1. Assurer l’éducation culturale de l’indigène
III.1.2. Organiser le paysannat local et accroître la productivité des cultures d’exportation : 1930-1945
III.1.3. Politique de modernisation agricole et nouveau cadre du paysannat : 1945-1960
III.2. Production vivrière négligée : effet d’une perception tronquée du travail des femmes en agriculture : 1930-1960
III.2.1. Production vivrière et enjeu de l’approvisionnement des villes
III.2.2. Sortir les femmes des champs ?: les missions catholiques et le travail des femmes
III.2.2.1. Le combat de la JACF* pour le « droit au foyer » des paysannes métropolitaines exporté au Cameroun par la congrégation du Saint-Esprit (1930-1945)
III.2.2.2. Polygamie et main d’œuvre féminine
Chapitre IV
Contrôle des terres agricoles : évolution des droits d’accès des femmes dans un système foncier coutumier en tension
IV.I. Restriction des droits d’accès des femmes aux terres à usage collectif à partir des années 1930
IV.I.1. Législation coloniale sur le foncier et accélération du processus de privatisation des terres
IV.I.2. Tensions autour de l’appropriation des terres de réserve utilisées par les femmes
IV.II. Transformation du statut des terres et droits fonciers des femmes
IV.II.1. Changements des modes d’attribution des terres de culture aux femmes
IV.II.2. Accession des femmes à la propriété foncière : un enjeu d’autonomie pour les agricultrices commerçantes
Chapitre V
Café, conflits sociaux et tensions de genre en pays bamiléké années 1930-années 1950
V.1. Le café en pays bamiléké : d’une culture élitiste à une culture populaire (années 1930- années 1950)
V.1.1. L’exclusion des cadets sociaux et des femmes de la culture du café (1929-1954)
V.1.2. Lutte pour la libéralisation de la culture du café : la solidarité sous condition des femmes
V.1.3. Culture libre du café (1954-1960) : accès à tous les hommes, mais pas aux femmes
V.2 : café, cultures vivrières et tensions de genre
V.2.1. Politique de conservation des sols: faire avec ou sans les femmes ? 1950-1960
V.2.1.1. Gestion de la fertilité des sols : des savoir-faire locaux ignorés
V.2.1.2. Lutte contre la dégradation des sols : des pratiques paysannes efficaces et peu valorisées
V.2.2. Une cohabitation difficile : choisir entre café et cultures vivrières ?
V.2.2.1. Résistance des femmes à la monoculture du café
V.2.2.2. Une institution pourvoyeuse de main d’œuvre : la polygamie au secours de la caféiculture ?
V.3. Des droits sociaux et économiques à préserver: négociation dans la sphère privée et revendications sur la scène publique (1950-1960)
V.3.1. La capacité d’action des femmes devant les tribunaux coloniaux et dans l’espace public (1948- 1960)
V.3.2. Femmes « planteurs » : Entre pragmatisme et transgression
CONCLUSION GENERALE

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