Affiliation : synchronisation et calibration
Affiliation : synchronisation et calibration
Au sein d’un système, les comportements des éléments qui le composent s’influencent. A partir de ces interactions, la modification d’un élément peut produire un changement dans tout le système. Si l’on attend du thérapeute qu’il impulse ce changement, il doit d’abord rentrer dans le système. La phase d’affiliation est une étape incontournable de l’intervention systémique, il s’agit d’entrer en lien, de créer l’alliance pour établir un système thérapeutique où le thérapeute est membre à part entière du nouveau système.
La position de l’aidant
L’aidant ou le soignant se voit classiquement attribuer une triple fonction : d’observateur, d’individu et de participant, inclu dans un système médico-social. Il participe activement à la prise en charge en tant qu’individu et citoyen, au-delà de sa fonction et du cadre dans lequel il évolue. Pour Seywert, ces trois fonctions sont reliées entre elles selon un principe d’emboîtement hiérarchique, la fonction médico-sociale fournit le contexte dans lequel s’exerce la fonction d’observation, qui à son tour, représente le contexte dans lequel s’exerce la fonction de participant. En contrepartie, cette dernière fournit des informations pour l’exercice des deux premières, de même pour la fonction d’observateur par rapport à la fonction médicosociale » (41). L’aidant adopte volontiers une position basse afin de revaloriser son interlocuteur, et l’encourage à puiser dans ses ressources. La position basse doit être modeste mais ferme, elle suppose la collaboration active des interlocuteurs. La seconde cybernétique et l’hypothèse constructiviste nous montre comment le thérapeute n’est ni extérieur, ni neutre mais fait toujours et nécessairement partie intégrante de la réalité observée qu’il contribue à construire.
Affiliation du thérapeute au système et engagement
L’affiliation du thérapeute repose sur le climat de confiance qui l’autorise à entrer dans le système. Les techniques systémiques propres à l’affiliation reposent sur le principe de synchronisation et de calibration. La synchronisation repose sur le mimétisme gestuel lors d’une interaction entre deux personnes. La calibration vise à adapter, à calibrer ses émotions en fonction de l’interlocuteur. L’humour représente une technique d’affiliation en plus de sa dimension thérapeutique, Bateson nous rappelle qu’il fait partie de notre « bagage écosystémique naturel et professionnel » (42). L’accompagnement des migrants en situation de précarité nécessite une intervention globale où l’aidant s’introduit dans la crise relationnelle.
« La relativité des relations interpersonnelles trouve un décodage plus optimiste, plus créatif, plus collectif et plus confiant dans les processus existentiels évolutifs et en tout ce qui remonte à une enfance inventive » (43).
L’approche systémique amène un processus où le thérapeute s’engage, il s’implique et participe activement au changement avec les systèmes qu’il rencontre. Il ne s’agit pas de porter un regard extérieur ni d’interpréter. Les hypothèses ne valent que par leur utilité et non par leur véracité. C’est aussi ce que l’on peut attendre d’un intervenant face à une population marginalisée : qu’il puisse s’impliquer pour accompagner les personnes en souffrance psychique et pas seulement décrire le phénomène. Le travail d’affiliation est un temps long mais indispensable avant de s’engager dans un processus. Pour entrer en contact et établir un premier lien, il faudra parfois user de stratégies de détournement (plaintes somatique, animal…) grâce à une balance ajustée entre curiosité et respect de la pudeur.
Rappelons ici que l’objectif d’un entretien face à une personne en grande exclusion est de permettre une deuxième rencontre.
Confort relationnel, question des places
Le confort de l’aidant et de la personne est primordial pour permettre une aisance à la fois relationnelle et matérielle, autant que pour redonner une dignité à la personne accueillie. Un confort matériel satisfaisant ainsi qu’une disponibilité suffisante contribuent à créer un espace d’écoute avec un certain degré de relaxation psychocorporelle visant à créer une intimité relationnelle. Face à l’urgence, il est fréquent de sauter cette étape pourtant essentielle. Les travaux de Moreno sur la sociométrie, et les études sur la gestion de l’espace nous éclairent sur l’agencement spatial choisi par le groupe, permettant une lecture des échanges interrelationnels. La proxémie est une discipline inventée par Hall, anthropologue et linguiste, qui étudie les relations interhumaines sous l’angle spatial. L’entretien systémique est régi par trois règles concernant la disposition spatiale, que nous détaillerons ici. Les places positionnées de manière circulaire encouragent la libre circulation de l’information entre tous les membres présents. Elle reste selon Albernhe « indissociable de la compétence de chacun à parler de la place qu’il occupe et qui lui est reconnue par les autres » (41). Le thérapeute attend que sa place soit désignée et sera donc attentif au positionnement de chacun. Laisser chacun choisir sa place, selon l’ordre d’arrivée indique d’emblée au thérapeute la place qui lui est laissée pour pénétrer dans le système. Enfin, Minuchin propose de laisser au moins une place vacante pour évaluer les distances émotionnelles existantes mais aussi pour ne pas laisser le thérapeute combler tout le vide de la famille ou du système.
La bonne distance : collision entre deux systèmes
La bonne distance à la rue auprès d’une population qui peut nous surinvestir autant que nous rejeter, peut être difficile à jauger. Albernhe nous rappelle que « l’envie soudaine de terminer un entretien dans les plus brefs délais, signant presque toujours des velléités de rejet, voire une authentique volonté de rejet (…) utile à confirmer au patient qu’il ne peut être que rejeté » (41). L’investissement sans borne jusqu’à l’épuisement des soignants, la valse des acteurs de premières lignes, questionne le maintien de cette bonne distance. Le travail de supervision permet souvent de réajuster la distance relationnelle. Audelà d’un système soignant-soigné, on est face à une collision ente différents systèmes : celui de la rue face à celui des professionnels. La temporalité est elle aussi bien différente à la rue :
l’immédiateté, l’urgence de la survie face à la lenteur institutionnelle souvent rencontrée en psychiatrie. Zucca parle de « l’incongruité de la rencontre de deux univers qui se chevauchent » (18). Jacques Pluymaekers propose une « distance non distante », c’est à dire que la distance nécessaire à l’action thérapeutique n’équivaut pas à la mise à l’écart mais peut être créée uniquement dans le contexte d’une rencontre avec ceux qu’il s’agit d’aider (…). C’est dans la mesure où chacun accepte d’être entièrement dans le jeu -ce qu’il est- qu’émerge les distances » (44). Dans les situations de migration et de précarité, l’étude de la distance considère la nature des obstacles à la relation, en particulier linguistique.
Construction commune d’un espace de soins, soigner l’accueil
Moro nous indique que « les conditions réelles et symboliques de l’accueil dans les institutions et structures médico-sociales sont essentielles : accueillir ce qui se dit mais aussi les silences, en respectant le rythme de chaque patient, en prenant garde à ne pas être dans une posture d’interrogatoire » (29). Éprouver de la curiosité est le premier pas vers un dépassement des préjugés, afin d’accueillir ce qui est absolument loin de nous et trouver des significations communes. Les professionnels doivent s’efforcer de ne pas maintenir le patient dans un statut de victime mais bien de le considérer comme un sujet en devenir avec des ressources psychiques propres et une capacité de résilience.
L’espace de soin se dessine entre l’ici et maintenant, le passé et ses retours et l’ouverture sur un possible avenir. Il s’agit de construire ensemble un espace thérapeutique que chaque patient puisse investir comme sien : la fréquence et la régularité des entretiens doit se décider en commun et s’adapte à la situation sociale, autant qu’à l’état psychique du patient. Certaines règles devront être posées dans le cadre de la psychothérapie tant sur la confidentialité des entretiens que sur les objectifs de la thérapie (le thérapeute ne pourra pas trouver d’hébergement). Définir ce cadre ensemble, c’est déjà proposer au patient de prendre un rôle actif et de ne pas se maintenir dans une posture passive de victimisation. Pour Moro et Baubet, « il participe à réhabiliter l’espace psychique propre et à réinvestir la parole. Il permet de prévenir l’arrêt soudain et sans discussion préalable de la psychothérapie. Cette coconstruction du cadre permet de limiter le fait de succomber au mirage de la toute-puissance du thérapeute » (29). L’espace commun en psychothérapie transculturelle s’appuie sur un collectif soignant, le groupe recrée une communauté thérapeutique pour soutenir la famille.
L’affiliation au patient et sa famille est un temps primordial dans la psychothérapie avant qu’un travail d’élaboration, de mise en histoire du trauma et de l’exil ne soit possible. Le lien de confiance entre le thérapeute et le patient, au-delà des différences d’âge, de culture et de position sociale ne pourra se construire que si le thérapeute parvient à accueillir les émotions suscitées par la rencontre, Moro nous rappelle que « face aux récits d’exil et de violence, le psychothérapeute ne peut se retrancher derrière une hypothétique neutralité. La tristesse, la colère, l’indignation, la compassion sont inévitables et parfois nécessaires au processus psychothérapique. Les émotions, particulièrement les affects de honte et de culpabilité, sont souvent rejetés consciemment ou inconsciemment par les patients car insupportables, invivables. Ressenties par et en présence du thérapeute, elles deviennent reconnaissance de la teneur inadmissible des situations de violence et d’exil. C’est une condition nécessaire à ce que des pensées, images, émotions, mobiles et supportables, émergent en lieu et place de la répétition traumatique, de l’angoisse et de la détresse qui figent le fonctionnement psychique » (29).
Exploration : reformulation inductive vers l’accès aux soins
La phase d’exploration systémique constitue un état des lieux de la situation et tend à faire émerger le problème à partir d’une demande, identifier le problème posé au-delà des symptômes annoncés. Elle demande au soignant d’appréhender un système complexe et ses injonctions paradoxales. Nous nous intéresserons ici au cumul des vulnérabilités des migrants précaires, aux facteurs de risque et à la prévalence des troubles psychiques spécifiques à cette population.
État des lieux, sociogramme, outils, cartographie
La théorie de l’oignon, proposée par les chercheurs du Galverston Family Institute, décrit les relations sociales comme des séries d’anneaux concentriques. Chaque couche de l’oignon représente un niveau différent (individu, couple, famille, réseau…). Chacun de ces niveaux possède son fonctionnement propre. Ce qui se passe à un niveau inférieur ne permet pas de prédire ce qui se passe plus haut. On ne retrouve pas de qualité émergente de passage à un niveau supérieur selon le principe de non-sommativité (45). La sociométrie, de Moreno est l’ensemble des techniques cherchant à mesurer les relations interpersonnelles dans un groupe donné (46). L’accent est mis sur les préférences positives ou négatives exprimées par les membres du groupe à l’égard les uns des autres. Le sociogramme est une figure représentant les relations interindividuelles entre les membres d’un groupe restreint. Il permet d’évaluer l’environnement et bien souvent l’isolement social de la personne mais il va aussi pouvoir révéler un entourage inattendu (commerçants…).
La cartographie des structures et réseaux existants va permettre d’illustrer leur interactivité, « la visualisation des réseaux est le langage de la représentation » (46), on peut souligner l’impact de ces illustrations dans l’exposition et la transmission des idées complexes.
Dans le domaine de la précarité, l’idée d’établir une cartographie permet surtout de visualiser les manques mais aussi les éventuels redondances, les incohérences d’un système sanitaire et social pas toujours opérant (47). Pour Zucca, « tout se passe comme si l’être humain, à partir du moment où il n’a plus de toit, de famille, appartenait à tous ceux qui s’occupent de lui » (18). L’exploration, y compris en situation d’exclusion souvent synonyme de rupture familiale,ne doit pas faire l’économie d’une recherche poussée sur l’entourage et la famille de l’individu car comme le rappelle Zucca, « si cette rupture de filiation entraîne un bénéfice secondaire immédiat, effaçant culpabilité, remords, regrets et donc passé, elle est aussi le début d’une lente deshumanisation » (18).
L’utilisation des espaces doit également être considérée dans l’exploration : privatisation des espaces publiques, respect des rythmes nycthéméraux. Cela nous renseigne sur le degré de dépersonnalisation, de déréalisation, de distorsion dans la perception du temps, de l’espace et du corps où les capacités relationnelles sont dissoutes jusqu’à l’absence totale de communication et l’isolement sensoriel à la rue. Ainsi on rencontre des tableaux qui s’apparentent à la psychose. Plusieurs syndromes cliniques peuvent être décrits : le syndrome de Diogène de Clark, le syndrome d’exclusion de Maisondieu (comprenant la honte, la désespérance, l’inhibition affective et cognitive), le syndrome d’auto exclusion de Furtos, le syndrome de grande exclusion décrit par Emmanuelli, le syndrome psychotique-like, le syndrome de Cottard social de Csermack ou encore le syndrome d’anorexie sociale de Simmonet. La diversité clinique est telle que la prise en charge ne peut s’effectuer qu’au cas par cas. L’étiquette diagnostique, forcément remaniée à la rue nous intéresse peu. Watzlawick estime que « le psychiatre est formé pour aborder un cas particulier avec un modèle de maladie mentale (…) Bateson ne s’est pas demandé pourquoi cette personne-ci se comporte de manière folle. Il s’est demandé dans quel système humain, dans quel contexte humain, ce comportement peut faire sens » (48).
De la demande au problème
L’accès aux soins suppose une demande à un moment donné, émanant de la personne ou d’un médiateur. Le symptôme, objet de la demande, est souvent confondu avec le problème posé. Un problème global crée une demande partielle. Ainsi plusieurs demandes peuvent émaner d’un problème mais ne suffisent pas à le résumer. La démarche thérapeutique s’efforce d’identifier la demande pour remonter au problème. On peut ainsi reconsidérer les demandes croisées, les erreurs d’adressage. Au niveau individuel, il faudra s’efforcer d’envisager le symptôme dans sa globalité sociale et interrelationnelle et pas seulement intrapsychique. La systémie envisage le symptôme au sein des interrelations entre l’individu et son environnement et s’intéresse à l’aspect social du symptôme. On voit bien comment agir sur l’environnement peut alléger le symptôme, notamment dans les troubles anxio-dépressifs secondaires à la situation d’exclusion. Pour Don Jackson, cette vision marque une rupture avec une vision médicale classique : « quand on fait du symptôme un point de départ, le problème se complique du fait que la nosologie, où le système psychiatrique de classification de la déviance, non seulement se fonde sur l’individu mais se développe en circuit fermé, sans se référer à l’observation du comportement. Les psychiatres se soucient plus souvent d’épingler une étiquette sur le patient que d’étudier comment il en est arrivé à se faire épingler » (49).
Cependant, l’exclu peut échapper au système habituel de communication. En d’autres termes il ne se plaint pas d’un symptôme, il est un symptôme. Neuburger en 1984 distingue les discours des patients formulant leur demande de soins, selon qu’ils se présentent avec le verbe « être » ou le verbe « avoir ». Par un glissement conceptuel, il estime que « avoir un symptôme renvoie à la structure individuelle, donc à la psychanalyse et être le symptôme renvoie à un système groupal qui indique une thérapie systémique ». Il faut se rappeler que la pensée systémique ne conçoit le symptôme que dans une situation interrelationnelle et un contexte social donné. Le patient est désigné en ce sens qu’il est porteur d’un comportement social différentiel, reconnu comme déviant par rapport à une norme (50).
Pour se maintenir à l’équilibre, le système dysfonctionnel (état, institutions publiques) entretien l’exclusion et génère des symptômes non seulement chez ceux qu’il exclue mais également en son sein, au risque de voir émerger un exclu-désigné. Ainsi conçu, le symptôme devient un marqueur attestant des efforts entrepris par le système pour maintenir son fonctionnement habituel, l’homéostasie qui n’est pas synonyme de bien être pour les individus appartenant au système. L’exclu-symptôme va alors être le témoin d’une interaction sous forme de lutte entre des forces assurant la cohésion du système et d’autres forces visant à modifier son fonctionnement. Ces forces antagonistes souvent situées à différents niveaux vont délivrer des injonctions paradoxales ou l’amorce d’une double contrainte.
Désamorçage de l’onirisme social : la demande et la non demande.La demande sociale peut masquer une demande de soins et vice versa. A partir de demandes concrètes (un lit, un sandwich, une douche…), un suivi peut être amorcé. La mythomanie à la rue, que l’on pourrait qualifier d’onirisme social n’est autre que l’inflation dramatisée de l’imaginaire. Pour être entendu, le patient va devoir réinventer son histoire, s’imaginer une identité. La véritable histoire reste inaudible. Il apparaît alors indispensable de prendre conscience de ce processus qui risque de mettre à mal le système d’affiliation.
Découvrir la vérité sur des fabulations va entraîner un rejet de la part du soignant, qui se sentira alors trahi, comme si ce rejet venait confirmer la nécessité d’abandon. Encore une fois, se décentrer de la demande pour envisager le problème d’une manière plus large va pouvoir prévenir ces conséquences néfastes sur la relation. De même qu’on tentera de s’intéresser moins au contenu de la demande, à l’histoire du patient qu’au contenant, au processus en cours. Il s’agit là de ne pas se centrer sur les détails de l’histoire pour ne pas entretenir le phénomène d’inflation. Le génogramme imaginaire (51–54) est un outil intéressant pour souligner au patient que le processus thérapeutique peut s’envisager en dehors d’une vérité factuelle.
Niveaux d’émergence du symptôme et souffrance évolutive
Dans une vision systémique, on retrouve plusieurs niveaux dans l’émergence du symptôme. On va tenter de mettre en parallèle les étapes d’émergence du symptôme au processus de clochardisation ou de désocialisation décrit par Vexliard (55). La première étape correspond à une réponse adaptative au stress, qui se chronicise : c’est un processus de sélection amplifié par des mécanismes de rétrocontrôle que l’on peut comparer à la « phase d’agression » de Vexliard en réponse au stress, après un choc. La deuxième étape est celle de l’amplification où le symptôme hésite à s’ancrer dans la durée que Vexliard nomme « phase régressive » où l’individu tente de se familiariser avec sa nouvelle condition de vie. La troisième étape est celle de la cristallisation-pathologisation où le symptôme se maintient par le jeu de phénomènes rétroactifs complexes qui s’opposent à sa disparition alors que le sujet se sent de plus en plus mal : c’est la « phase de fixation » de Vexliard. La quatrième étape systémique est celle de l’enkystement qui correspond au compromis entre plusieurs forces et acteurs, qui coïncide à la dernière phase de Vexliard : celle de « l’abandon » dans le sens d’une clochardisation par résignation : la situation est acceptée (55).
Les tableaux cliniques évoluent selon le lieu de la rencontre et l’interlocuteur (à la rue, à l’hôpital, dans les hôtels…). Au-delà de la dimension relationnelle, ces fluctuations dépendent du contexte de la rencontre. Face à une situation récente, il y a urgence à agir tant que la réalité reste acceptable. Plus tard, quand les personnes ne parviennent plus à subvenir à leurs besoins élémentaires, on parle « d’assistance acceptée ». Parallèlement au sentiment de solitude et d’ennui, apparaissent les conduites addictives ou les décompensations somatiques, et enfin des stratégies d’errance (poly toxicomanie, stratégies de survie, passivité anxiogène, passage à l’acte suicidaire). Face à une chronologie inéluctable allant de la rupture à l’exclusion totale, il est indispensable de considérer l’absence de demande comme un signe de gravité avec l’émergence de symptômes négatifs tels que la négligence, l’anesthésie aussi bien physique que psychique, l’agnosie, l’aboulie, l’apragmatisme. Les difficultés à s’adapter à des horaires ou un cadre, l’écrémage par l’absence de domiciliation, la dégradation du prendre soin et la difficulté à maintenir le lien entrainent le rejet et entretiennent le processus d’exclusion. La phase d’exploration est aussi le moment de considérer, la gravité du processus en cours à partir des facteurs de vulnérabilités. Nous nous intéresserons donc aux facteurs de risques des migrants et à la prévalence des pathologies rencontrées.
Epidémiologie médicale : Troubles psychiques chez les exilés
La santé des exilés et des migrants précaires est profondément affectée d’une part par l’expérience de l’exil et les événements qui l’ont provoqué (violences, conflits, ruptures multiples), d’autre part par les conditions de vie et les difficultés de compréhension du fonctionnement dans le pays d’accueil. Malgré la difficulté à recueillir des données épidémiologiques fiables, les enquêtes de terrain et les sciences humaines nous éclairent sur certains facteurs de vulnérabilités des migrants. Le travail d’exploration tend à identifier ces facteurs de risque afin de proposer des stratégies adaptées.
Facteurs de risque et vulnérabilités
L’observatoire international de MDM s’appuie sur le concept de « vulnérabilités en santé » afin de considérer les facteurs dans leur multiplicité (psychologique, social, juridique et médical) dont le cumul fait la spécificité de cette population (28). Les principaux facteurs de vulnérabilités des migrants précaires peuvent être différencier : d’un côté ceux propre à l’individu (fragilités psychologiques, antécédents de torture et de violence), d’un autre côté ceux liées à la migration et au déracinement et enfin ceux propres aux conditions d’accueil et à la difficulté d’intégration (barrière de la langue, difficultés de compréhension du fonctionnement du pays, difficultés administratives et sociales prioritaires, opacité du système de soins aux primo-arrivants ; difficultés de communication avec les professionnels de santé avec une confrontation de représentations et d’expressions différentes de la maladie. A ces facteurs de risque, s’ajoutent ceux liés à la précarité sociale et administrative.
Vulnérabilités psychiques
Les troubles psychiques des migrants s’inscrivent dans un contexte d’exil, parfois de déracinement marqué par des ruptures, source de déséquilibre de tous ordres. L’enquête réalisée par l’ORSPERE (Observatoire régional Rhône-Alpes sur la souffrance psychique en rapport avec l’exclusion) décrit trois zones de fragilisation pour les personnes ayant effectué une demande d’asile : « la situation d’étranger, qui renvoie au vécu d’exil, la dimension individuelle, dans laquelle s’inscrit le psycho traumatisme, et l’accueil précaire, que les auteurs rattachent au parcours chaotique, à la précarité des liens sociaux, à l’incertitude d’accès à l’hébergement spécifique, et l’expérience des procédures administratives » (31).
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Table des matières
RESUME
INTRODUCTION
MATERIEL ET MÉTHODE
1. Définition et grandes étapes de l’intervention systémique
1.1. Approche systémique
1.1.1. Définition de la systémie
1.1.2. Intérêt de cette approche en situation de précarité et articulation à la clinique biopsychosociale
1.2. Les préalables
1.2.1. Définition d’une population cible
a) Qui sont les précaires?
b) Evolution des populations à la rue, migrants précaires : cumul des vulnérabilités
c) Profil sociodémographique des migrants précaires
1.2.2. Contexte : flux migratoire Insee (Quand ?)
1.2.3. Souffrance psychique des migrants précaires (Quoi ?)
a) Précarité et troubles psychiques
b) Troubles psychiques des mères et des enfants
c) Nouveaux enjeux pour les familles
1.2.4. Recours aux soins et santé mentale : dispositif, obstacles, parcours thérapeutique (A qui ?)
1.2.5. Migrations et régulation (Pour qui ? Contre qui ?)
1.2.6. Recommandations issues des enquêtes de terrain (Pour quoi faire ?)
1.3. Affiliation : synchronisation et calibration
1.3.1. La position de l’aidant
1.3.2. Affiliation du thérapeute au système et engagement
1.3.3. Confort relationnel, question des places
1.3.4. La bonne distance : collision entre deux systèmes
1.3.5. Construction commune d’un espace de soins, soigner l’accueil
1.4. Exploration : reformulation inductive vers l’accès aux soins
1.4.1. État des lieux, sociogramme, outils, cartographie
1.4.2. De la demande au problème
1.4.3. Désamorçage de l’onirisme social : la demande et la non demande
1.4.4. Niveaux d’émergence du symptôme et souffrance évolutive
1.4.5. Epidémiologie médicale : Troubles psychiques chez les exilés
a) Facteurs de risque et vulnérabilités
b) Prévalence des pathologies rencontrées : syndromes psycho traumatiques et dépression
1.5. Interactions et enjeux de la psychothérapie transculturelle
1.5.1. Interactionnisme versus interventionnisme
1.5.2. Concept de culture et psychopathologie
a) Clinique de l’altérité et temporalité
b) Evaluation clinique en situation transculturelle : entretien de formulation culturelle
1.5.3. Travail d’élaboration psychique
a) Vécu pré migratoire et motif de migration
b) Voyage, deuil et potentiel traumatique
1.5.4. Migration et intégration
1.5.5. Migration et filiation
1.5.6. Objets flottants et appel à la créativité
2. Différents niveaux d’hypothèses systémiques
2.1. Hypothèse structurale de Minuchin
2.2. Hypothèse stratégique
2.3. Hypothèse intergénérationnelle
2.4. Hypothèse expérientielle
2.5. Constructivisme et constructionnisme
2.6. Paradoxe et double contrainte
2.7. Résonance
RÉSULTATS : A PROPOS DE L’EXPERIENCE DE LA FONDATION SILVANO ANDOLFI A ROME
1. Description de l’expérience
1.1. Contexte d’observation
1.2. Le dispositif
1.3. Préalables
1.3.1. Quelle famille pour quelle thérapie ?
1.3.2. Espace et temporalité
1.3.3. Intervenants, un collectif soignant
1.3.4. Parcours de la demande et enjeux
2. Une lecture de la souffrance
2.1. Impact de la culture dans la thérapie familiale
2.1.1. Structures familiales selon le pays d’origine
2.1.2. A travers les générations
2.2. Processus transculturel dans la vie familiale
3. Vignettes cliniques
3.1. Meriem et sa famille
3.1.1. Thérapie individuelle : Meriem
3.1.2. Supervision
3.1.3. Thérapie familiale : Meriem, sa mère et ses sœurs
3.2. Outils et stratégies en pratique clinique
3.2.1. Question de l’identité culturelle : demander de ramener un objet
3.2.2. Reconnaître les compétences
3.2.3. Appartenance et individuation
3.2.4. L’importance de la clôture
3.2.5. L’objet comme support émotionnel
DISCUSSION ET CONCLUSION
1. Actualité, santé mentale des migrants : l’affaire de qui ?
1.1. Limites épidémiologiques
1.2. Segmentation des dispositifs et disparités géographiques
1.3. Accompagnement des mineurs étrangers isolés
1.4. Nouveaux repères, intégration et métissage
1.5. Question de la radicalisation à l’interface de la justice et de la psychiatrie
2. Limites et apports de la systémie en psychothérapie transculturelle
2.1. Limites
2.2. Psychothérapie tournée vers l’opérationnel
2.3. Pratique de réseau, articulation des dispositifs
2.3.1. Intervention en réseau, groupes multifamiliaux
2.3.2. EMPP, secteur public, un outil systémique ?
2.4. Dispositifs
2.4.1. PIOS : Psychothérapie individuelle d’orientation systémique
2.4.2. Familles précaires et thérapie familiale
2.4.3. Thérapie communautaire intégrative systémique (TCIS)
2.4.4. Dispositif spécifique de consultation transculturelle : comparaison Avicenne et Andolfi
a) Ethnopsychanalyse et consultation groupale
b) Dispositifs complémentaires
2.4.5. AFALAC : un dispositif innovant
2.5. Refaire du lien, prévenir les répétitions transgénérationnelles
2.6. Considérer les appartenances
2.7. Altérité, résonance, effets sur les soignants et accompagnement
3. Balance bénéfices/risques de l’accueil dans le droit commun versus dispositifs
spécialisés
3.1. Tabou lié à la prise en charge de l’étranger dans les dispositifs de santé publique
3.2. Limites de la sectorisation en psychiatrie
3.3. Groupe migrant
3.4. Enjeux autour de la demande de certificat
4. Construction d’une nouvelle réalité hic et nunc : politiques publiques à inventer
4.1. Populations migrantes, angle mort de la précarité, interprétariat
4.2. Temporalité de la crise humanitaire versus temporalité de l’intégration
4.3. Lecture de la complexité et mise en place d’actions
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES MATIERES
ANNEXES
1. Annexe 1 : Définitions issus du guide Soins et accompagnements, Migrants/
Etrangers en situation précaire du COMEDE
2. Annexe 2 : Guide de formulation culturelle DSM 5, (67)
3. Annexe 3 : Modèle de certificat, Guide INPES COMEDE 2015
4. Annexe 4 : Parcours d’un demandeur d’asile à partir du 1er Novembre 2015,
Plateforme de service aux migrants (119)
5. Annexe 5 : Demandes d’asiles et conditions d’accueil, Lemonde, Eurostat, 2015
6. Annexe 6 : Le système migratoire mondial, Gildas Simon, 2008
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