Aérothermodynamique de l’entrée atmosphérique
Physique de la couche de choc
Structure de l’écoulement. Régimes physico-chimiques
Les objets construits et envoyés dans l’espace par l’Homme peuvent être amenés à revenir sur Terre, soit pour accomplir leur mission, soit pour mettre un terme à leur existence après la fin de leur service actif. Au moment de débuter leur rentrée dans l’atmosphère, ces objets se déplacent par rapport à celle-ci à une vitesse V∞ appréciable, au moins égale à la première vitesse cosmique, soit environ 7, 9 km/s, corrigée de la vitesse de rotation du globe. Cette vitesse correspond par exemple à celle des navettes spatiales ou des débris provenant de l’orbite basse. Un véhicule revenant d’un voyage vers un autre corps céleste, à l’instar d’une mission d’exploration lunaire, effectue une rentrée plus rapide, avec une vitesse supérieure à la seconde vitesse cosmique : V∞ ≈ 11 km/s.
Dans la phase initiale de la rentrée, l’atmosphère est très ténue et le libre parcours moyen des molécules est grand au regard des dimensions de l’objet. Les particules entrent en collision avec l’objet, échangeant avec lui de la quantité de mouvement et de l’énergie, mais leurs interactions les unes avec les autres sont négligeables à l’échelle de celui-ci. De ce fait, l’influence du fluide peut être caractérisée en prenant en compte uniquement l’impact du flux de particules nonperturbé provenant de l’amont sur la paroi du corps entrant. Ce régime aérodynamique est qualifié de moléculaire libre. L’étude de ce type d’écoulement repose sur des outils propres et, de par l’absence de collisions au sein du gaz, ne relève pas à proprement parler du domaine de l’aérodynamique hypersonique.
A mesure que le corps entrant s’enfonce dans l’atmosphère, celle-ci se fait plus dense et les collisions entre les molécules de l’écoulement incident et les molécules réfléchies sur la paroi deviennent de plus en plus fréquentes. La perturbation engendrée par l’objet se propage dans le gaz environnant par leur intermédiaire. Ces collisions structurent progressivement tout le milieu fluide dans le voisinage de l’objet : il se constitue un écoulement à part entière, qui doit être considéré dans sa globalité si l’on souhaite être en mesure d’en déterminer l’influence sur le corps entrant. Ce régime qui nous intéresse en priorité s’impose, pour des objets d’une taille de l’ordre du mètre, à des altitudes inférieures à la centaine de kilomètres, où l’air a une température comprise entre 200 et 300 K et une composition quasiment uniforme. Nous demeurerons en dehors du domaine moléculaire libre et nous cantonnerons donc à des altitudes de moins de 100 km environ. Dans ces conditions, les deux valeurs de vitesse V∞ représentatives mentionnées en début de paragraphe correspondent respectivement à des nombres de Mach M∞ de 20 à 30 et de 40 à 50.
Aérodynamique
On considère ici l’écoulement hypersonique autour d’un corps émoussé. C’est le cas de figure le plus courant dans les entrées atmosphériques. En effet, les véhicules spatiaux ont généralement un profil à forte traînée de sorte à être suffisamment freinés par l’atmosphère avant d’atteindre le sol, mais aussi pour minimiser l’échauffement, accentué par les formes effilées [13] ; les débris quant à eux sont des composants technologiques de nature très diverse et de géométrie quelconque, le plus souvent épaisse. L’interaction entre l’écoulement incident et l’objet s’amorce par une onde de choc détachée, positionnée en amont de ce dernier à une distance relativement courte, d’autant plus petite que M∞ est élevé et la compression violente . En aval du choc, l’écoulement devenu subsonique contourne l’obstacle. A la surface de l’objet les interactions visqueuses donnent naissance à une couche limite, d’épaisseur croissant avec M∞ [148], qui se développe à partir du point d’arrêt frontal. Plus loin en aval, où la section de l’objet diminue, le fluide subit une forte détente. Généralement, l’écoulement décolle de la paroi, laissant en arrière de l’objet une zone de recirculation. Les lignes de courant convergent dans le sillage, la réorientation pouvant s’accompagner de chocs, les conditions étant redevenues supersoniques.
Ce schéma a un caractère assez universel et forme le canevas de tous les écoulements supersoniques autour de corps épais. Dans le cas de géométries plus réalistes peuvent se manifester des interactions choc-choc ou choc-couche limite [37]. Ce sont des configurations complexes, difficiles à simuler, qui font l’objet d’une attention particulière puisqu’elles peuvent donner lieu à des effets inattendus, comme une intensification localisée du flux thermique, potentiellement désastreux pour l’intégrité d’un véhicule. Ceci étant, il ne s’agit pas fondamentalement d’un nouveau mécanisme physique, ni d’un phénomène propre au régime hypersonique ; nous n’en dirons donc pas plus à ce sujet .
Relaxation thermique
Les particules constituant le gaz ont la faculté d’accumuler de l’énergie dans leur structure interne, en particulier dans le nuage électronique et, dans le cas des molécules, sous forme de mouvement des noyaux. La teneur énergétique de chacun de ces degrés de liberté détermine un état d’excitation de la molécule. Il est souvent possible et avantageux quant à la simplicité de la modélisation de supposer certains de ces degrés de liberté indépendants et de définir de cette façon des modes d’énergie interne pour les molécules. Par exemple, on sépare couramment les modes d’excitation électronique, de rotation et de vibration. Ajoutés au mode de translation, associé au mouvement du centre de masse de la particule, et considérés collectivement pour l’ensemble des particules, ils composent les modes internes du gaz.
La capacité du gaz à emmagasiner l’énergie sous forme interne découle directement du nombre de modes et de leurs caractéristiques. Du fait de la nature quantique des molécules, l’excitation des degrés de liberté internes se produit par pallier, avec des incréments d’énergie qui varient selon l’espèce et le mode. La quantité d’énergie communiquée à une molécule ne peut donc pas être transmise à un mode donné si elle est insuffisante. Pour cette raison, à basse température une partie des modes internes ne contribuent pas au stockage d’énergie. En revanche, les températures rencontrées dans les couches de choc hypersoniques sont assez élevées pour exciter certains de ces modes inactifs (typiquement les modes vibrationnel et électronique). Ainsi, les propriétés thermodynamiques du gaz (capacités thermiques, exposant adiabatique) ne peuvent plus être considérées comme constantes. Elles dépendent étroitement de la répartition relative de l’énergie dans les différents modes internes, ou pour le formuler autrement du niveau d’excitation de chaque mode. Cette excitation modale influe aussi considérablement sur la réactivité chimique du gaz, comme nous le verrons en détail plus bas .
Les différents degrés de liberté d’une particule sont plus ou moins prompts à échanger de l’énergie avec une autre particule lors d’une collision. A l’échelle du gaz, chaque mode d’énergie interne a donc sa propre dynamique, le mode de translation étant le plus rapide. La conversion de l’énergie cinétique du fluide en énergie interne concomitante à son passage à travers l’onde de choc s’opère initialement par un accroissement de l’énergie de translation des particules (agitation thermique), du fait de la rapidité d’adaptation de ce mode. A cela succède une phase de relaxation, durant laquelle l’énergie thermique est échangée entre les modes internes, jusqu’à ce que s’établisse un état d’équilibre thermodynamique local.
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Table des matières
Introduction
1 Aérothermodynamique de l’entrée atmosphérique
1.1 Physique de la couche de choc
1.1.1 Structure de l’écoulement. Régimes physico-chimiques
1.1.2 Réactions chimiques
1.1.3 Effets d’ionisation dans la couche de choc
1.1.4 Aspects radiatifs
1.1.5 Phénomènes pariétaux
1.2 Modes internes et déséquilibres
1.2.1 Nature particulaire du gaz. Etat d’équilibre
1.2.2 De l’interaction entre modes internes et processus chimiques
1.2.3 Processus collisionnels inélastiques
1.3 Modélisation de la couche de choc en déséquilibre
1.3.1 Déséquilibre intermodal
1.3.2 Déséquilibre intramodal
1.3.3 Déséquilibre translationnel
2 La méthode DSMC
2.1 Généralités
2.1.1 Principe et champ d’application
2.1.2 Aspects numériques
2.1.3 Conditions aux limites
2.1.4 Simulation des collisions
2.2 Collisions inélastiques
2.2.1 Modèles phénoménologiques : approche de Larsen-Borgnakke
2.2.2 Approche état-par-état
2.3 Réactions chimiques
2.3.1 Modèles génériques
2.3.2 Modèles dédiés à la dissociation et à la réassociation
2.3.3 Mise en œuvre de données état-par-état
2.3.4 Le problème des espèces traces
3 Simulation DSMC d’écoulements hypersoniques en régime transitionnel
3.1 Paramètres de simulation
3.1.1 Code de calcul
3.1.2 Modèle physique
3.1.3 Paramètres numériques
3.2 Ecoulement autour d’une sphère
3.2.1 Kn = 0, 01
3.2.2 Kn = 0, 1
3.2.3 Kn = 1
3.2.4 Coefficients aérodynamiques
3.3 Simulation de la sonde RAM-C
3.3.1 Altitude 81 km
3.3.2 Altitude 71 km
3.4 Bilan du chapitre
4 Mise en œuvre d’un modèle état-par-état dans une approche de réacteur Lagrangien
4.1 Description du modèle état-par-état
4.1.1 Espèces chimiques et niveaux d’énergie
4.1.2 Processus inélastiques
4.1.3 Réactions chimiques
4.2 Méthode du réacteur Lagrangien
4.2.1 Principe
4.2.2 Formulation
4.2.3 Outils numériques
4.3 Applications
4.3.1 Sphère à Mach 25
4.3.2 RAM-C II
4.4 Bilan du chapitre
Conclusion