Aequitas versus securitas ou la justice pénale comme réceptacle des tentations sécuritaires et managériales

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La justice spatiale, un champ de recherche majeur de la géographie

La dialectique égalité-équité est au cœur de l’ouvrage de J. Gottmann intitulé Politique des États et leur géographie (1951), comme l’explique A. Brennetot dans la généalogie (2011) qu’il propose de cette idée de justice spatiale en géographie. S’il rappelle les prémisses formulées par I. Bowman (1942) durant la Seconde Guerre mondiale dans la littérature anglophone, il éclaire l’engagement politique que prônent ces deux géographes dans leurs ouvrages. Alors que le géographe doit être un guide des sociétés pour établir une justice à l’échelle internationale pour I. Bowman10, sa voix doit être également entendue aux échelles inférieures dans une réflexion sur l’aménagement du territoire pour J. Gottmann. Ainsi, celui qui reste célèbre au grand public par l’invention du néologisme de megalopolis » anticipe déjà, sans la conceptualiser pour autant, la notion d’équité et l’élève comme fondement de la justice. Il s’oppose alors aux tenants de la géographie tropicale pour qui cette justice ne peut advenir que par le développement national et donc l’accroissement des richesses. La discipline adhère alors massivement au principe selon lequel la croissance des richesses est la clef de voûte d’une amélioration du bien-être des sociétés. A. Brennetot (2011) met en lumière « l’impensée utilitariste » de cette approche car ses tenants vont considérer, inconsciemment, que la justice consiste en la maximisation de l’utilité moyenne, c’est-à-dire la maximisation du bien-être individuel.
Alors que se développe dans le champ criminologique le début d’une réflexion plus géographique au début des années 197011, la formulation d’une théorie de la justice spatiale par J.
Rawls et ses dépassements ou critiques, tant par la géographie radicale (Harvey, 1973) que par la géographie culturelle ou des représentations12, offrent une fenêtre d’opportunité pour analyser les institutions judiciaires au tamis de ces divers positionnements ethniques. Cependant, cela s’avère être une nouvelle occasion manquée.
En s’appuyant sur J. Rawls et ses détracteurs, la géographie s’empare de nouveau du thème central de la justice, réintégrant dès lors un volet éthique non dissimulé dans ces travaux. Cette évolution ne peut se comprendre cependant sans la prise en compte de la situation économique et politique contemporaine. Après quelques décennies de forte croissance, les premiers symptômes d’une crise à venir apparaissent ; de plus, alors même que la croissance est encore forte, celle-ci ne permet pas à toutes les populations d’en tirer des bénéfices équivalents, certains étant bien plus lésés que d’autres. C’est, en effet, les conclusions tirées des travaux anglophones développés par D. Smith. Dès 1973, il met en valeur, dans le contexte de la mobilisation en faveur des droits civiques, ce qui peut sembler alors un paradoxe (à cause de la croyance profonde en la maximisation de l’utilité moyenne), à savoir l’inadéquation entre l’enrichissement global des États-Unis et l’émergence d’injustices spatiales au détriment de la communauté noire. Le travail de D. Smith est cependant moins radical que celui de D. Harvey (1973) qui tente, la même année, de concilier la théorie marxiste et la logique de maximin de J. Rawls appliqués à l’organisation de la ville. Cette re-naissance du concept de justice dans les écoles géographiques anglophones connaît quelques ramifications sur le territoire suisse avec les travaux d’A. Bailly (1981) et hexagonal avec ceux d’A. Reynaud (1981) mais ces auteurs ne font pas de la maximisation des inégalités au bénéfice des moins biens dotés le pivot de leur réflexion, devant notamment faire face à la critique postmoderne.
L’approfondissement de la question de la justice spatiale par le champ géographique connaît en effet un nouvel étiage avec la marginalisation de l’approche rawlsienne par la vague de démystification des grands récits qui s’opère dans l’avènement (et dans la consécration) de la post-modernité. Le philosophe J.-F. Lyotard, suivi par M. Foucault, P. Bourdieu, G. Deleuze ou J. Derrida, est le premier en France à introduire cette notion de postmodernité dans son ouvrage intitulé La Condition postmoderne (1976). Rejetant radicalement toutes les conceptions héritées des Lumières et notamment la suprématie de la science, la postmodernité permet le développement d’un relativisme. Celui-ci se manifeste pour J.-F. Lyotard dans le domaine judiciaire. En effet, dans le Différand (1983), il met en valeur les limites du système judiciaire en accentuant son raisonnement sur le concept de tort. Celui-ci désigne, pour le philosophe, la part indicible de la souffrance de la victime. Ne pouvant trouver les mots pour exprimer sa douleur, la personne ne peut dès lors être entendue ni par les juges ni par la partie adverse. Le tort émerge ainsi de l’inadaptabilité du langage et de l’incompatibilité des discours. Ne pouvant gommer l’abîme qui sépare les acteurs, la justice ne joue dès lors pas complètement son ordre de régulateur social car elle ne peut faire advenir une quelconque catharsis. Cet angle mort de la justice met en lumière la limite de tout système judiciaire. Dès la fin du XIXème siècle, F. Nietzsche critique déjà le « grand récit » que représente la loi. Il explique en effet, dans la première dissertation de la Généalogie de la morale (1900 [1887]), que les lois ne sont qu’un instrument de la domination d’un groupe social sur un autre. Dresser la barrière entre le « c’est juste » et le « c’est injuste » est, pour lui, l’apanage des régimes aristocratiques, qui affirmant ainsi un jugement de valeur, peuvent légitimer leur supériorité. La justice ne peut donc, pour F. Nietzsche, se définir de manière immuable. Elle ne serait donc pas en absolu ou de toute éternité mais serait à la fois le reflet et la cause de la prépotence des « meilleurs ». Ainsi, la définition de la justice ne peut être universelle, mais contextualisée, elle ne peut être objective, mais au contraire dépendante d’un point de vue dont la confrontation s’avère épineuse voire impossible.
Tout comme la loi pour F. Nietzsche, la science et toute théorie universelle seraient dès lors un moyen pour les « meilleurs » ou les « puissants » d’imposer leur domination. Les conceptions nietzschéennes sont le terreau de la philosophie politique postmoderne incarnée par I. M. Young (2011 [1990]. Cette philosophe s’appuie sur le couple dominant/dominé pour revendiquer comme fondement de la justice plus un droit à la tolérance et la différence (une reconnaissance de l’altérité) qu’une égalité ou une équité. Elle refuse ainsi la conception distributive de la justice que peut défendre J. Rawls pour lui préférer une conception plus qualitative qui serait l’abolition de toutes les formes d’oppression. De plus, elle fait dépendre la juste décision non pas de l’interaction des individus mais de l’échange, de la négociation entre les catégories sociales. Ces travaux influencent de nombreux géographes, surtout anglophones, qui défendent une politique territoriale attentive aux droits des minorités qu’ils conçoivent d’ailleurs non pas seulement comme communautaires mais également comme affinitaires (la minorité affinitaire permettant de cumuler plusieurs identités). Oubliée durant la décennie 1980 par la géographie, la notion de justice spatiale redevient ainsi un concept fondamental depuis les années 1990 par le transfert au champ géographique des critiques faites par les philosophes anglophones à la théorie rawlsienne. Ainsi D. Harvey (1996) essaye d’arc-bouter sa vision radicale de la géographie avec la justice conçue comme la négation de l’oppression et de la domination par I. M. Young. Cependant, B. Bret reprend à son compte la dualité universalité et rationalité de J. Rawls comme grille de lecture pertinente à un aménagement du territoire qui permettrait aux plus dépourvus de posséder en pratique les mêmes droits que les autres, tout en veillant à ce que cette exigence d’universalisme ne soit pas détournée au profit d’une norme définie exclusivement par le groupe majoritaire qui rejetterait irrémédiablement dans les franges les populations minoritaires. Ainsi chez B. Bret (2006 et 2009), l’action territoriale permet la réduction effective des injustices sociales.
Aussi, l’approfondissement et l’éclatement de la notion de justice spatiale qui s’effectue surtout à partir des années 2000 prend racine dans les conceptions pluralistes de la philosophie politique.

Une justice institutionnelle investie par les sciences sociales

L’une des thèses défendues par M. Foucault dans Surveiller et punir est que la nouvelle économie du pouvoir née à la fin du XVIIIème siècle en France a pour conséquence ou plutôt pour mission d’opérer une hiérarchisation au sein mêmes des illégalismes. Il affirme d’une part qu’à délit égal, le bourgeois aura une peine bien plus indulgente que l’homme de peuple. Il dépasse même le cercle des simples pratiques judiciaires pour postuler que les hommes du pouvoir vont tracer la limite entre ce qui relève du légal et de l’illégal pour contrôler le corps social. C’est donc au niveau de la production de la loi (law-making) que s’exercent les jeux de pouvoir. Alors que la délinquance propre à la richesse est excusée, acceptée voire légitimée, celle qui relèverait des populations plus populaires (finalement la plus visible) subirait la vindicte des tribunaux correctionnels.
La littérature française sur les pratiques judiciaires tient à s’inscrire dans la lignée de M. Foucault en pointant du doigt les éléments de discrimination afin de dénoncer les injustices opérées par le système pénal alors que c’est plutôt l’approche culturelle, pensée en termes de discrimination positive qui est aujourd’hui le terrain le plus fécond de la recherche anglophone aux côtés de l’interrogation sur le sentencing, i.e. sur les mécanismes qui permettent d’expliquer la décision pénale.

La justice au prisme du pluralisme culturel : un courant de recherche anglophone fécond

Le thème de la discrimination par les instances judiciaires est central dans les travaux des chercheurs contemporains. Pour autant, alors que les recherches anglophones s’emparent de la question du prisme culturel et donc du droit à la différence comme pierre de touche pour évaluer les politiques judiciaires (Coleman, 1996), elles ne font que peu d’émules en Europe et notamment en France où les chercheurs, préférant pointer les manquements à l’égalité professée par la Constitution28, conserve une grille d’analyse centrée sur les problématiques de discrimination.
En définissant la justice à travers le prisme de la tolérance, I. M. Young (2011 [1990]) se démarque des théories rawlsiennes (et notamment de son universalisme) et appelle au droit à la différence. Pour elle, la théorie universaliste et équitable ne permet pas d’entendre les revendications de minorités que celles-ci soient ethniques, sexuelles ou plus largement culturelles. En effet, celles-ci seraient étouffées par des formes de domination et d’oppression, i.e. de contraintes institutionnelles qui entraînent respectivement une soumission à des règles décrétées par la culture majoritaire (on est donc plus dans le domaine du symbole) et une négation de ses capacités subjectives dans des domaines aussi variés que l’économique ou le politique. Elle prône ainsi la discrimination positive, non comme une fin en soi mais comme moyen pour permettre la représentation des groupes les plus opprimés. Transposer la conception multiculturaliste d’I. M. Young (que l’on définit ici comme la valorisation par l’État de la diversité culturelle) à la justice pénale revient à poser la question d’un droit différent, alternatif pour les différents groupes minoritaires (i.e. pour I. M. Young des groupes qui subissent un des cinq visages de l’oppression) qui ne parviennent pas nécessairement à reconnaître les codes et les lois du groupe majoritaire. Cette problématique est déjà abordée à la fin des années 1930 par T. Sellin dans son ouvrage consacré aux conflits de culture (1984 [1938]). Il y identifie deux conjonctures où naissent ces conflits : d’une part la colonisation par une puissance étrangère d’un pays où résident des populations qui alors qu’elles suivent les différents codes ou coutumes qu’elles ont mises en place doivent brutalement se conformer aux législations du groupe désormais majoritaire ; d’autre part lors de vagues migratoires de minorités sur un territoire.
Cette question des concurrences potentielles entre des modalités de justices devient de plus centrale, tant dans une réflexion à l’échelle européenne et internationale (voir encadré) qu’aux échelles nationales. L’idée d’un possible assouplissement du droit pénal national pour certaines populations minoritaires est appliquée en partie par le Canada dans le jugement des peuples autochtones qui érige la notion d’ « accommodements raisonnables » comme le rappelle M. Jaccoud (2014). Ainsi, en 1999, l’arrêt Gladue formulé par la Cour suprême demande aux juges de « porter une attention particulière aux circonstances dans lesquelles se trouvent les délinquants autochtones parce que ces circonstances sont particulières, et différentes de celles dans lesquelles se trouvent les non-autochtones ».

La fabrique de la décision pénale : le sentencing

Dès la fin des années 1930, le sociologue suédois T. Sellin s’intéresse aux conséquences de la crise de 1929 aux États-Unis sur les crimes et leurs sanctions. Dans Conflits de culture et criminalité (1984 [1938]), l’auteur s’inscrit dans le sillage des travaux antérieurs de L. Wirth (1931 et 1980 [1928]) ou de R. Park (1979 [1915] et Park et al., 1984 [1924]) qui considèrent la délinquance notamment comme la réaction d’un groupe minoritaire face à un groupe dominant. Le choc des cultures (culture clash), i.e. la confrontation entre les normes d’une culture nouvelle et les normes de l’ancienne culture est une des raisons principales de la criminalité. Mais, il va au-delà de ses prédécesseurs, en utilisant la statistique, et met en valeur que le système judiciaire américain se montre bien plus sévère à l’encontre des populations les plus pauvres et/ou récemment immigrées.
La naissance du sentencing l’enfant le plus rationnel », en raison de son « objectivité » imperturbable » (1976 [1922]). Cette construction met en scène une chaîne d’individus qui, déterminés par l’efficience mais surtout par la règle, opteraient pour des comportements et des actes toujours rationnels. La critique du schéma wébérien développe la nécessité de prendre en considération les éléments informels nés de la nature sociale des individus que le sociologue allemand aurait omis d’intégrer dans sa réflexion. La personnalité des individus, leur religion, leur accointance politique, leur système de valeurs, leurs besoins personnels joueraient un rôle déterminant dans les décisions prises. Ainsi, H. Simon (1957), en s’intéressant au cas de l’entreprise, affirme que les individus ne sont pas complètement rationnels. Il développe ainsi le concept de bounded rationality ou rationalité limitée. Pour lui, tout acteur voit sa rationalité limitée car il fait partie d’un système qui le détermine d’une certaine manière, le poussant, alors même qu’il ne dispose pas de toutes les informations, à procéder à une action plutôt qu’à une autre qui lui semblera satisfaisante. N’étant pas informé de toutes les modalités, ni même des objectifs des autres acteurs de la chaîne (même s’il pense les connaître), l’acteur ajuste ainsi son action en fonction de ce qui lui semble, à lui, à un moment donné, la réponse optimale. C’est seulement de ce hiatus entre rationalité complète et rationalité limitée que peuvent provenir les injustices devant la loi (que celles-ci soient ethniques, sociales ou territoriales) si l’on considère comme postulat – et on a déjà vu comment ce point posait de nombreuses difficultés – que l’objectif de l’institution judiciaire est bien de faire appliquer la loi de manière juste.
Les sociologues, après la Seconde Guerre mondiale, amplifient les travaux pour comprendre les variabilités des décisions pénales. J. Faget (2008) dégage trois courants dans les recherches sur ce sentencing, que celles-ci réfléchissent à l’impact des variables juridiques (= formal legal theory)42, actorielles (= substantive political theory) ou organisationnelles (= organizational maintenance theory).

Comprendre les variabilités des décisions pénales

Le système judiciaire français est organisé comme une chaîne tayloro-fordiste qui permettrait de produire des décisions standardisées même s’il conçoit, comme consubstantielle, la nécessité d’individualiser chaque cas au contexte et aux personnalités propres à l’affaire. Cette exigence d’indivisibilité fait naître cinq contraintes synthétisées par J. Faget (2008), F. Vanhamme et K. Beyens (2007) : contraintes juridiques, institutionnelles, pratiques, de situation, et informelles.
Les contraintes juridiques qui cadrent les décisions pénales sont au nombre de quatre. C’est fondamentalement et en premier lieu la loi qui concourt à l’indivisibilité. Les travaux sur le populisme pénal que nous avons mentionnés précédemment s’inscrivent ainsi dans cette formal legal theory qui, si elle peut connaître des variations dans le temps, contraint dans une même temporalité les magistrats. La loi peut cependant, en cas d’affaires spécifiques ou non prévues par elle-même, céder la prééminence à la jurisprudence. L’appui sur la jurisprudence peut être perçu comme un risque d’autopoièse (Varela et al., 1974). En effet, le magistrat devant inscrire ses décisions dans les jugements prononcés antérieurement par ses collègues, on pourrait assister à la production d’un système autonome. Mais la structure hiérarchique de l’institution empêche toute révolution de la jurisprudence en permettant aux instances supérieures de s’opposer à une décision qui leur paraîtrait contraire à l’esprit de la loi. Enfin, la dernière contrainte juridique prend la forme de la collégialité. Même si la judiciarisation de la société pousse le système judiciaire à confier l’arbitrage d’un nombre croissant de délits à un juge unique, la collégialité reste encore la règle. La pluralité de la décision est ainsi gage d’une plus grande objectivité et surtout d’une plus grande régularité dans les prononcés de peine.
Des contraintes pratiques se conjuguent aux éléments juridiques dans la mesure où l’hypertrophie du parquet (voir chapitre 3) rogne en grande partie l’autonomie des juges. Ces pratiques sont étudiées notamment dans le cadre du champ de recherche organisational maintenance theory. S’opère en effet, pour reprendre le mot de J. Faget un processus de « condition par l’amont » qui fait que la culpabilité du prévenu est très souvent décidée par les membres du parquet. Ce pré-jugement (que nous analyserons plus en détail dans le chapitre 3) n’est remis en cause qu’à la marge par le tribunal correctionnel détermine le quantum de la peine (Robert, Faugeron et Kellens, 1975). On assiste donc à de véritables « parcours fléchés » qui prennent leurs origines dans les premières orientations des parquetiers (Aubusson de Cavarlay, Huré, 1995). Cet état de fait est intensifié par le recours au Traitement en Temps Réel. En parlant de « révolution invisible », B. Bastard et C. Mouhanna (2010) mettent en valeur ce qu’ils appellent un processus de « barémisation » des décisions pénales.

Une approche fédératrice de la géographie pour éclairer l’action des institutions judiciaires

Notre cheminement entend bénéficier des apports des différents champs de la géographie, pour, en les mettant en relation les uns les autres, permettre d’appréhender au mieux la question de la justice dans le système judiciaire français. La multiplicité des approches enjoint le chercheur à remettre, constamment, en cause ses résultats et la validité de son point de vue par un questionnement critique. Aussi approuvons-nous l’appel lancé par P. Gervais-Lambony, et F. Dufaux (2009b) pour fédérer les courants de la géographie dans les recherches ayant trait aux questions de justice spatiale et y répondons ici. Schématiquement, on peut dire que les questions de justice spatiale mobilisent aussi bien les tenants de l’analyse spatiale, de la géographie des représentations, de la géographie politique et de la géographie environnementale. Cette dernière est moins évoquée dans notre raisonnement mais les travaux qu’elle mène à la suite des sociologues (Bullard, 1993), sur les conjonctions dans les villes notamment étatsuniennes des processus d’exclusion sociales et de vulnérabilités aux risques aussi bien anthropiques (comme les pollutions de toutes sortes) que naturels nous rappelle, sans cesse, la nécessité de réfléchir aux emboitements d’échelles, aussi bien spatiales que temporelles (Ghorra-Gobin, 2005 ; Cornut, Bauler, Zaccaï, 2006 ; Okereke, 2006 ; Walker, Bulkeley, 2006).
Les trois autres courants de la géographie abordent jusque-là différemment la question de la justice spatiale. Les tenants de l’analyse spatiale, en définissant une justice « structurelle » comme l’égal accès de tous les citadins aux ressources urbaines entendent, entre autre, tester les possibles phénomènes de marginalisation des populations face aux biens divers au moyen d’une méthode hypothético-déductive. Cette accessibilité différenciée est alors appréhendée comme la conséquence d’une répartition inégale des équipements sur le territoire ou de difficultés pour certaines populations mises à l’écart de se déplacer vers ces biens. Les politiques publiques doivent servir à remédier aux inégalités de fait que ce soit par le développement des axes de transport ou par une politique plus redistributive des biens et des équipements. Il s’agira donc dans le cadre de notre sujet de mesurer par exemple l’impact du maillage des tribunaux, i.e. de leur distribution sur les rendus de justice. La carte judiciaire actuelle est-elle un modèle performant ou empêche-t-elle certains citoyens de faire porter leurs différends devant les tribunaux ? Une réponse négative à cette seconde question obligerait à proposer un modèle d’organisation optimale qui permettrait de conjuguer le bénéfice que peuvent en retirer les justiciables et un coût minimal que les collectivités doivent supporter (Peeters, Thomas, 2001). L’interaction entre théorie et méthodes au cœur de l’analyse spatiale conjugue une méthodologie statistique à une réflexion approfondie sur les comportements des acteurs dans l’espace. Aussi, en interrogeant le degré d’intériorisation des questions d’accessibilité par les pouvoirs politiques et les réponses tant territoriales qu’institutionnelles que ceux-ci peuvent développer, cette approche tisse des liens évidents avec la géographie politique.
La géographie politique, sous les traits essentiellement de la géographie radicale est pionnière dans la réflexion sur la justice spatiale. D. Harvey, dès 1973, construit son travail autour de la notion de « territorial justice »50. S’intéressant en particulier aux espaces urbains, cette approche est politique. Mettant en lumière les inégalités socio-spatiales, elle entend montrer que celles-ci sont le reflet des logiques contradictoires d’intégration/marginalisation du système capitaliste. Le géographe aurait donc pour mission, en dénonçant ces inégalités (que cet auteur considère comme des injustices), de délégitimer le système économique en place et d’inciter les pouvoirs publics à rompre totalement avec celui-ci. De manière plus générale, une approche politique de géographie pénale consisterait à se demander comment est résolu le paradoxe d’une justice centralisée et unitaire appliquée à un espace hétérogène, et pose l’épineuse résolution de l’« implication réciproque de tendances antagonistes » pour reprendre les propos de H. Bergson (1959 [1907], chap. 1, p. 14). Le système judiciaire parvient-il, au risque de niveler toute les différences locales, à appliquer ses jugements de manière uniforme en France ? Subit-il, au contraire, des effets de masse et de charge qui l’empêcheraient d’atteindre cet idéal et feraient dès lors voler en éclat la croyance en une justice égalitaire et unitaire ? Existe-t-il des phénomènes de résistances territoriales que l’on pourrait rapprocher de l’idée d’iconographie de J. Gottmann (1951), qui pourrait contrevenir au principe constitutionnel d’égalité ? Les tribunaux pourraient ainsi adapter leurs réponses non pas tant en référence à l’échelle nationale qu’en fonction de la propension de leurs concitoyens à commettre des délits et de leur incidence estimée sur la solidité du contrat social local.
Poser la question de l’influence des forces iconographiques sur les institutions judiciaires nécessite de profiter des apports de la géographie des représentations et oblige à mesurer l’impact des différences culturelles aussi bien des justiciables que des acteurs institutionnels sur le système judiciaire. Dans la critique qu’il fait de la théorie de J. Rawls, A. Sen (1993, p. 221) relativise notamment son universalité en lui reprochant de n’axer la réflexion que sur les biens premiers et d’omettre les « libertés substantielles ». Pour lui, il est pertinent de s’intéresser aux biens premiers mais il récuse le postulat de départ qui considère que tout homme est identique et rationnel. Aussi développe-t-il sa réflexion autour d’une personne handicapée qui aurait beau jouir de la justice rawlsienne ne pourrait en bénéficier, de manière pratique, étant donné que son métabolisme et/ou ses aptitudes intellectuelles qu’A. Sen réunit sous la notion de « capabilités » (qui s’avère d’ailleurs bien plus vague que celle de « bien premier ») ne lui permettraient pas d’accomplir des actes identiques. Dans le sillage d’A. Sen, nous pouvons étendre cette notion de capabilité en ré-humanisant les populations, i.e. en leur redonnant leur identité propre aussi bien physique que culturelle. Analyser le monde de la justice pénale qui s’ancre au plus profond de l’humain ne peut dès lors faire l’impasse sur la dimension culturelle. Une telle démarche doit donc également concilier une approche de la géographie des représentions en estimant les conséquences des perceptions des populations sur la mécanique judiciaire. Pour les citoyens, le questionnement tourne essentiellement autour des problématiques d’accès à la justice. Aussi serait-il pertinent de s’interroger sur le fait que les représentations des justiciables peuvent jouer autant que la distance physique le rôle de barrière dans leur accès au monde de la justice pénale. Si cette question est fondamentale, nous ne l’investissons pas au profit d’un travail plus poussé sur les multiples représentations des magistrats (sur leur espace-vécu, sur leurs perceptions des évolutions du système, sur le sens qu’ils peuvent donner à leur mission et sur l’idéal de justice qui les anime) pour voir si celles-ci peuvent avoir des conséquences concrètes dans leurs pratiques sociales. Ces investigations permettent ainsi d’éclairer trois des types de représentation mis en valeur par B. Debarbieux (1998) à savoir la représentation mentale, la représentation politique, et la représentation-action.
Conscient que les postures épistémologiques des différents champs de la géographie sont différentes par nature, nous n’hésitons cependant pas à profiter de leurs apports théoriques et méthodologiques et à entrelacer les approches qualitative et quantitative. Répondant à une démarche hypothético-déductive, cette conjugaison est rendue nécessaire par l’absence de certaines données statistiques qui nous empêche, actuellement, de procéder à une analyse à une échelle plus fine que celle de la France. Plus ontologiquement, leur éclairage réciproque permet d’appréhender au mieux un objet géographique à deux facettes. Certes, l’institution judiciaire est un véritable système mais elle est rendue par les hommes et pour les hommes comme nous le rappellent, lors d’un procès, les « visages d’autrui » (victime, prévenu, acteur judiciaire, ou membre du public)
Aussi, cette contribution se veut la moins partiale possible sur la méthodologie d’investigation. Néanmoins, la posture épistémologique qui la guide est, au contraire, par l’érection de l’équité comme mesure de la justice, proprement militante.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PREMIÈRE PARTIE. LA JUSTICE AU PRISME DE LA GÉOGRAPHIE
Chapitre 1. La justice : une recherche de l’équité
Chapitre 2. Aequitas versus securitas ou la justice pénale comme réceptacle des tentations sécuritaires et managériales
Chapitre 3. La justice à l’heure des comptes. Un jeu de transparence. La nécessité d’un cadrage méthodologique rigoureux.
Conclusion de la première partie
PARTIE 2. L’ESPACE, UN NON-LIEU POUR LA JUSTICE ?
Chapitre 4. Oubli de l’espace et réduction à sa seule dimension distancielle
Chapitre 5. Une appréhension différenciée de l’espace par les procureurs de la République
Conclusion de la deuxième partie
PARTIE 3. LE TRAITEMENT DES DÉLITS PAR LE SYSTÈME JUDICIAIRE : ENTRE UNIFORMISATION ET HÉTÉROGÉNÉISATION SPATIALES DES PRATIQUES
Chapitre 6. Une homogénéisation de certaines pratiques judiciaires en France
Chapitre 7. Le traitement des délits par le système judiciaire est spatialement inégalitaire
Conclusion de la 3ème partie.
PARTIE 4. LA STIGMATISATION DES TERRITOIRES LES PLUS DÉFAVORISÉS : LE PARADOXE DE LA JUSTICE RÉPUBLICAINE
Chapitre 8. Toutes choses égales par ailleurs, les espaces les plus défavorisés sont bien plus lourdement réprimés
Chapitre 9. Entre discours et réalité : l’acceptation différenciée d’une politique territorialement discriminatoire
Chapitre 10. Programme pour une justice du XXIème siècle
Conclusion de la quatrième partie
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE

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