Adolescents et Jeunes Adultes : Quand la construction de l’Altérité rencontre le Mourir ensemble

Pédiatre de formation, je me suis orientée dès mon clinicat/assistanat vers le domaine de la cancérologie pédiatrique, puis, après quelques années, je me suis spécialisée dans la prise en charge des patients Adolescents-Jeunes Adultes (AJA, 15-25 ans). J’ai exercé pendant dix ans à l’Institut Curie, à Paris. Depuis 2018, je travaille en Soins de Suite et de Réadaptation, à la Fondation-Santé-Etudiants de France (FSEF, site Edouard Rist, Paris 16), dans le service d’oncohématologie AJA. Lors de ma carrière à l’Institut Curie, j’ai accompagné beaucoup -trop- de décès. Aucun accompagnement ne m’a semblé simple, tant la mort d’un enfant ou d’un adolescent est bouleversante, contre-nature. Néanmoins, au-delà de ces difficultés inhérentes à la nature même de mon exercice, certaines situations de fin de vie et d’accompagnement m’ont encore plus marquée que les autres, plus bouleversée, voire ont modifié ma pratique ultérieure. Après de longues hésitations, j’ai choisi de vous parler d’une histoire qu’on pourrait croire inventée, sortie d’un roman tant elle est singulière… Cette histoire, c’est celle de Sabrina et Doriane, et elle s’est déroulée à l’Institut Curie, dans l’unité AJA, principalement entre décembre 2015 et mars 2016.

Narration de la situation clinique 

Doriane

Doriane est une jeune fille d’origine guinéenne, née en mars 1997, ainée d’une fratrie de 4. Une tumeur osseuse de type ostéosarcome du fémur droit lui est diagnostiquée en août 2013, d’emblée métastatique aux poumons. Elle est traitée dans le protocole Sarcome 09, avec des cures de chimiothérapies (alternance Methotrexate et VP16-Ifosfamide) qui malheureusement s’avèrent inefficaces. Devant la progression tumorale rapide, douloureuse et l’échappement à la chimiothérapie, une amputation droite à mi-cuisse est nécessaire, et a lieu le 9 octobre 2013. Après la chirurgie mutilante, nous décidons de reprendre une chimiothérapie, différente de celle administrée en néo-adjuvant (Cisplatine Adriamycine). La maladie de Doriane est réfractaire à la chimiothérapie, elle progresse en pulmonaire. Différentes lignes de chimiothérapie sont tentées (Gemzar Taxotère), associées à plusieurs thoracotomies bilatérales (janvier et février 2014). Finalement, nous réussissons à obtenir une rémission en mai 2014.

Cette rémission durera moins d’un an puisque Doriane présente une récidive métastatique pulmonaire en mars 2015, traitée par thoracotomie, cryothérapie et immunothérapie (protocole Regobone, administration de Regorafenib). Malheureusement, Doriane décède le 11 février 2016 dans le service, après une longue hospitalisation de 2 mois. Elle a été anxiolysée par Midazolam à doses progressivement croissantes, dans le cadre d’une dyspnée très rapidement croissante sur métastases pulmonaires.

D’un point de vue familial, plusieurs événements notables ont jalonné la prise en charge de Doriane : pendant son traitement, en 2015, un cancer du sein agressif est diagnostiqué chez sa mère, qui décède en moins de 6 mois, dans un autre hôpital que l’Institut Curie, loin de sa fille…A partir du décès de sa mère, Doriane nous fait part de ses inquiétudes pour ses petits frères et sœurs, avec des violences de la part de son père (violences physiques d’après ce qu’elle nous rapporte). Les hospitalisations successives de Doriane sont très difficilement vécues car, en dehors des mauvaises nouvelles médicales, des effets secondaires qui s’enchainent, la jeune fille a le sentiment d’abandonner son frère et ses sœurs, de ne pouvoir les protéger de leur père. Une enquête sociale est initiée, avec information préoccupante, notamment lorsque le petit frère de Doriane demande à l’assistante sociale de son collège un placement en foyer d’accueil. Doriane se retrouve donc très isolée en fin de vie, en rupture totale avec son père, et avec quelques visites de sa fratrie, organisées le week-end par une tante éloignée…

Sabrina

Sabrina est née en janvier 1997. Elle est la deuxième d’une famille de 2 enfants, monoparentale. Sa mère est très présente, soutenante, aidante et « aimante ». Elle est très proche de son frère et a un entourage amical très important. Elle pratique le judo au niveau national. Elle a débuté sa prise en charge à l’Institut Curie en juin 2010 pour un ostéosarcome localisé du fémur gauche, traité dans le protocole Sarcome 09 avec chimiothérapie néoadjuvante, résection tumorale et mise en place d’une prothèse totale de genou gauche, puis chimiothérapie adjuvante. Son traitement initial s’est terminé en juin 2011 mais les bilans de surveillance mettent en évidence en juillet 2013 une récidive locale et métastatique pour laquelle de très nombreuses lignes de chimiothérapie et immunothérapie (Cisplatine Adriamycine, Gemzar Taxotère, Regobone, Yondélis, Endoxan Rapamune, Cabone, VP16 Carboplatine) se succèdent, sans efficacité, associées à une amputation à mi-cuisse gauche le 28 octobre 2013 , ainsi qu’à des thoracotomies bilatérales (Janvier et février 20214). La maladie progresse au niveau pulmonaire, mais reste asymptomatique pendant longtemps, jusqu’à janvier 2016 où une toux apparait, rapidement suivie d’une dyspnée. Sabrina doit être hospitalisée début mars et s’aggrave très rapidement. La jeune fille décède le 15 mars 2016 dans le service, très entourée (famille et proches se relaient en permanence, environ une vingtaine de personnes se succèdent), après un épisode lentement progressif de détresse respiratoire, ayant nécessité une anxiolyse par Midazolam, à doses progressivement croissantes.

Leur relation

Sabrina et Doriane se sont donc rencontrées dans le service, en août 2013, au moment du diagnostic initial de la maladie de Doriane, alors que Sabrina était déjà traitée pour la récidive de son ostéosarcome. Dans l’unité AJA, il y a plusieurs espaces communs et de nombreuses activités communes sont organisées, favorisant les liens entre patients. Les deux jeunes filles ont tissé une amitié profonde, sincère.

Quand Doriane a été hospitalisée en décembre 2015, dans une situation palliative avec symptômes respiratoires (dyspnée, nécessitant de l’oxygène, un traitement morphinique puis une anxiolyse progressivement croissante), elle était très isolée, puisqu’orpheline de mère et en rupture totale avec son père. Sabrina, elle-même en situation oncologique palliative, ou plutôt sans espoir de guérison (situation qui lui avait été annoncée depuis plusieurs mois, et sur laquelle la jeune fille ainsi que sa mère étaient parfaitement lucides), alternait à ce moment les allers-retours à Curie, entre ses traitements. Elle était plutôt en bon état général, suffisamment pour être peu hospitalisée. Sabrina, en accord avec Doriane, s’est positionnée comme accompagnante de Doriane, exigeant de rester dormir avec elle dans la chambre (à Curie, chaque patient peut avoir un accompagnant en chambre, avec un lit d’appoint), l’accompagnant dans les soins, sans entraver le travail de l’équipe soignante, sortant quand nécessaire. Il est capital de rappeler que les deux jeunes filles étaient majeures.

Doriane est décédée le 11 Février 2016, dans les bras de Sabrina… Sabrina a été hospitalisée le 07 Mars 2016, et est décédée le 15 Mars, entourée de sa famille et ses proches.

Analyse de la situation

Problèmes soulevés par la situation

Ce lien entre elles deux, cette position adoptée par Sabrina, cette demande de Doriane, ont énormément questionné l’équipe : comment considérer Sabrina dans la chambre de Doriane ? Comme une accompagnante « lambda » ? mais elle était également sous traitement, avec des effets secondaires à surveiller, et en phase palliative avancée également, sans aucun espoir de guérison. Il était impossible de les mettre en chambre double, comme deux patientes puisque, dans l’unité, il n’y a que des chambres seules, et que leurs situations oncologiques respectives ne l’auraient de toutes façons pas permis. Nous avons pensé demander à Sabrina de ne pas être présente la nuit (pour qu’elle puisse elle-même se reposer, et pour ne pas rajouter une patiente de plus à surveiller aux infirmières, sans statut officiel de malade dans un lit) : mais c’était alors laisser Doriane seule, en fin de vie, augmentant ses angoisses de mort. Sabrina, vue à plusieurs reprises par notre psychiatre, argumentait qu’elle « ne laisserait jamais Doriane partir seule, que c’était son devoir d’amie de l’accompagner jusqu’au bout ». Cette situation nous a vraiment poussé dans nos retranchements, car aucune solution ne semblait être meilleure qu’une autre. Par ailleurs, nous nous sommes énormément questionnés sur ce que cet accompagnement pouvait renvoyer à Sabrina, puisque les deux jeunes filles étaient quasiment un miroir oncologique l’une de l’autre : Sabrina cherchait-elle à se confronter à sa propre mort à venir ? Nous avons également été amenés à réfléchir en équipe sur les liens qui se créaient entre les patients au sein d’une unité AJA : nécessité de créer du lien, mais aussi risque de créer du lien, nécessité de créer des unités adaptées aux jeunes, notamment en fin de vie ?

Problèmes rencontrés que nous allons traiter

Après avoir analysé de nouveau les éléments qui nous avaient questionnés pendant cette prise en charge, et aux vues d’événements récents survenus dans mon service actuel, j’ai choisi de discuter de l’intérêt de créer (ou non) des unités de soins palliatifs pour les Adolescents-Jeunes Adultes. Aujourd’hui, en Ile-de-France, il n’existe aucune structure dédiée à l’accompagnement de fin de vie des enfants et adolescents-jeunes adultes. La plupart de ces accompagnements se font au domicile ou dans les services de référence (service d’oncopédiatrie ou d’oncologie AJA), et très peu dans les unités de soins palliatifs (USP) adultes. Ainsi, l’objectif ambitieux de créer des unités d’accompagnement destinées aux patients AJA peut se discuter et se réfléchir. C’est dans cette optique de réflexion que l’histoire singulière de Sabrina et Doriane me semble intéressante : on peut y voir toute la difficulté de gérer des adolescents avec les liens qui peuvent se tisser entre eux, probablement bien plus qu’au sein d’un service d’oncologie adulte. On parle souvent de « communauté» de patients dans nos unités d’oncologie dédiée aux AJA : les relations entre patients sont très bénéfiques (rôle psychologique, moins d’isolement…) mais ces relations peuvent aussi se révéler sources de difficultés, au moment du décès de l’un des jeunes du groupe. Ces notions doivent clairement nous faire réfléchir aux bénéfices et aux risques de créer des unités d’accompagnement dédiées aux AJA : accompagner le patient et son entourage familial mais aussi accompagner le groupe de patients auquel le jeune appartient.

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Table des matières

Introduction
I. Narration de la situation clinique
A. Doriane
B. Sabrina
C. Leur relation
II. Analyse de la situation
A. Problèmes soulevés par la situation
B. Problèmes rencontrés que nous allons traiter
III. Recherche documentaire, discussion
A. C’est quoi être un AJA atteint de cancer ?
1. Adolescence et AJA
2. Notions d’épidémiologie en cancérologie
3. Conséquence de l’irruption du cancer dans la vie d’un AJA
B. Accompagnement, fin de vie et soins palliatifs chez les AJA
1. La fin de vie des AJA atteints de cancer : particularités et spécificités
2. Constat : USP et AJA ?
3. Intérêts et risques des unités dédiées
IV. Conclusion
V. Références bibliographiques

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