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Modèle sociologique
Les sociologues ont étudié l’adolescence selon deux angles différents : celui d’une période d’insertion dans la vie adulte et celui d’un groupe social avec ses caractéristiques socioculturelles particulières. De ce fait, selon les époques, les milieux sociaux, les cultures, l’adolescence sera différente. Dans le modèle de compréhension sociologique, l’adolescence n’est donc pas un phénomène universel et homogène.
De la même manière, dans une même culture, et en particulier dans notre société, l’adolescence variera également selon le milieu social d’origine ou selon les activités exercées.
Selon les sociologues, aujourd’hui, deux aspects principaux se détachent. D’une part la rapidité des changements d’une génération d’adolescents à la suivante avec le développement d’éléments de langage et de comportements qui leur sont propres. D’autre part, la dimension culturelle tend à se poser transversalement vis-à-vis des variables personnelles et sociales. L’identité culturelle ne coïncide plus forcément avec l’identité biologique ou sociale. Les différences culturelles au sein de la jeunesse sont de moins en moins liées aux différences de sexe, d’âge, d’origine régionale et d’origine sociale.
Au-delà de toute la complexité que peut revêtir l’analyse sociologique du phénomène adolescent, il peut certainement en être retenu la définition qu’en donne Cuin (5). Selon lui, les conduites adolescentes peuvent être analysées comme essentiellement déterminée par l’émergence d’une subjectivité, c’est-à-dire par un processus d’autonomisation de l’acteur par rapport aux contraintes sociales primaires ; sous l’influence de mécanismes psycho-physiologiques largement endogènes et qui échappent à l’analyse sociologique.
Cette subjectivité n’est ni une pure conformation à des modèles socioculturels (normes et valeurs) adultes ni une totale immersion dans des stratégies utilitaires. La théorie qu’il propose décrit le phénomène de l’adolescence comme « le processus par lequel un individu, plus encore qu’il ne se construit comme sujet, tend nécessairement à se départir du statut d’objet dans lequel ses compétences psycho-physiologiques propres d’une part et d’autre part, un système normatif donné tendent à le réduire.
De ce fait, si la subjectivation peut n’être qu’une fin ultime jamais totalement réalisée, il est incontestable que, sauf cas pathologique, la désobjectivation infantile est le moteur de l’essentiel des conduites dont les adolescents font montre au sortir de l’enfance. »
Ces aspects d’individuation et de rejet d’un système normatif s’expriment en particulier sur le plan scolaire. A. Thiercé évoque dans Histoire de l’Adolescence (6), comment depuis le 19ème siècle, les révoltes lycéennes sont indissociables du phénomène d’adolescence. Ces révoltes prennent racine dans le refus d’obéissance à un système normatif et rigide, dans la transgression des règles et dans le rejet de l’autorité faisant ainsi écho à l’apparition d’un regard critique chez l’adolescent, et sa volonté d’être détaché du statut d’enfant.
Le modèle sociologique tente donc de comprendre comment l’individu parvient à se penser et s’individuer avec, comme paramètres majeurs ; d’un côté la subjectivité de l’individu, elle-même influencée, d’un autre côté par tous les phénomènes extérieurs et environnementaux.
Modèles psychanalytique et psychodynamique
Quant à lui, le modèle psychodynamique part du postulat qu’il est possible de décrire et comprendre l’adolescence comme un processus psychologique relativement homogène selon les sociétés.
Suite à Freud, la plupart des auteurs reconnaîtront l’importance de la puberté, le rôle joué par l’accession à la sexualité, l’excitation sexuelle et les modifications pulsionnelles, le corps, le deuil, les moyens de défense, le narcissisme, l’idéal du Moi, ou encore le problème de l’identité et des identifications.
Selon le modèle psychodynamique, l’adolescent, en proie à ses pulsions, doit rejeter ses parents dont la présence réactive les conflits œdipiens et le menace d’un inceste devenant réalisable. Dans ce même mouvement, il va aussi rejeter les bases identificatoires de son enfance, à savoir les modèles parentaux. Pour autant l’identification d’adulte ne pourra se faire que dans l’insertion de l’adolescent dans la lignée familiale ; d’où une recherche désespérée d’une image de soi dans les racines culturelles, dans le groupe social, ou dans les souvenirs familiaux.
Comme le décrit Winnicott dans Jeu et réalité (7), « Grandir est par nature un acte agressif ». Confronté à ce paradoxe, l’adolescent doit éprouver ses conflits avant d’en trouver la solution. Les moyens de défense dont il dispose ont pour but de rendre supportable cette incertitude identificatoire.
De manière schématique, il est distingué deux principaux regroupements conceptuels :
– Celui inscrivant l’adolescence dans un processus développemental, dans une forme de continuité. Il est marqué par le processus de séparation, avec les angoisses qui en découlent.
– Celui qui marque l’adolescence comme un moment structural critique, permettant l’arrivée d’une nouvelle organisation psychique, mais pouvant être à risque de désorganisation psychopathologique. Ce modèle est celui de la crise, du pubertaire.
Le pubertaire a été décrit par Philippe Gutton en 1991(8). Ce concept issu des théories œdipiennes de Freud, va permettre de distinguer deux processus.
D’une part les processus du pubertaire, désignant les phénomènes psychiques induits par l’entrée dans la puberté physiologique. Le pubertaire évoque donc une sorte de point de rupture, faisant date, ouvrant à la nouveauté.
D’autre part l’adolescens évoque les phénomènes de transformation des identifications, qui peuvent avoir lieu tout au long de la vie.
C’est avec la survenue de la puberté et de ses pulsions sexuelles que va survenir la lutte de l’adolescence. En effet, par la découverte de la capacité à pouvoir réaliser l’acte sexuel, l’adolescent va se retrouver à repousser toutes les représentations incestueuses issues des fantasmes œdipiens infantiles. C’est seulement doté de ces fantasmes œdipiens d’enfant que le sujet va tenter de comprendre l’arrivée de l’instinct pubertaire, l’éprouvé originaire de puberté. Ce tout nouvel éprouvé va mener l’adolescent vers une nouvelle sexualité qui va bouleverser les schémas précédents et remettre en question les structures relationnelles déjà connues, notamment avec les parents, que Gutton nomme les scènes pubertaires.
La construction adolescente ne peut donc se faire qu’en éprouvant ces scènes, permettant de s’individuer des parents par le rejet des fantasmes inscestueux et parricides.
Pour Corcos et Jeammet (9), en plus du rejet des bases identificatoires de l’enfance, le développement psychique de l’adolescent se doit d’adopter le rythme et la forme de son environnement socioculturel et celui-ci est largement influencé par la pression sociale. C’est dans ce monde de contraintes diverses, qu’elles soient dues au processus adolescent lui-même, ou à l’environnement que la personnalité de l’adolescent va se construire.
Pour Jeammet (10), la construction de la personnalité s’opère suivant deux axes de développement.
Un premier axe est d’ordre relationnel, constitué des échanges entre l’individu et son environnement. Tout l’intérêt développemental de cet axe tient dans la conscience de l’individu dans l’attachement qu’il peut exister avec son entourage et de la différenciation de cet attachement selon les personnes.
Le second axe de construction est en lien avec le développement de l’autonomie et toujours, la prise de conscience de cette évolution.
Cette compétence de prendre conscience de son propre développement, de sa propre évolution est définie comme la capacité réflexive ; « permettant de se voir, de se juger, de percevoir sa finitude, ses manques, sa dépendance, de se comparer aux autres ». Cette compétence va permettre à l’adolescence de se bâtir, selon un équilibre fragile entre ressources internes nouvellement perçues et le recours au monde externe.
Modèles cognitif et éducatif
Selon ce modèle, il existe un bouleversement au niveau des structures cognitives, évoluant à égale mesures avec les transformations pubertaires physiques.
Piaget et Inhelder (11) ont décrit dans les années 1950 l’apparition d’une nouvelle forme d’intelligence au cours de l’adolescence, l’intelligence opératoire formelle dont les structures se mettent en place vers l’âge de 12-13 ans. Dans leur théorie, le stade des opérations formelles correspond au développement de la structure de « groupe combinatoire » et débute vers l’âge de 12 ans.
L’accession au stade opératoire formel se traduit par la capacité de l’adolescent à raisonner par hypothèse, d’envisager l’ensemble des possibles et de considérer le réel comme un simple cas particulier.
A ce stade, le rapport au monde change du tout au tout. Le développement de cette nouvelle forme d’intelligence permet l’accession à des capacités nouvelles. La pensée formelle peut se porter sur des énoncés verbaux, et plus uniquement sur des objets. De ce fait, cette logique nouvelle, de propositions, permet d’accéder à un plus grand nombre d’opérations et de combinaisons mentales, permettant de s’émanciper du concret.
Le déploiement de ce mode de pensée apparait au début de la puberté, et ouvre à la pensée réflexive ; permettant ainsi à l’adolescent de pouvoir s’appréhender, lui et son environnement. L’adolescence se marque aussi comme une période privilégiée pour les apprentissages sociaux et culturels à un âge où l’individu n’est pas encore contraint de se conformer à un rôle défini.
Selon Wallon (12), la fonction de l’adolescence est de permettre à l’individu de découvrir puis d’élaborer son propre système de valeurs sociales, qu’elles soient éthiques, culturelles ou professionnelles ; à travers la prise de conscience de soi et l’affirmation de son identité. Cette période permet donc d’atteindre à la fois le sentiment d’individualisme mais aussi d’intégration sociale, grâce à l’apprentissage. Via les réponses que lui renvoient son environnement, et en particulier la société, l’adolescent apprend progressivement les limites de ses actions et des rôles qu’il adopte.
Modèle neurocognitif
Ce modèle rejoint le modèle éducatif et cognitif, dans le sens où elle tente d’expliquer l’apparition de l’intelligence opératoire formelle, grâce aux avancées de la neuro-imagerie, entre autres.
La recherche suggère que les hormones pubertaires participent à la modification de la structure et du fonctionnement du cerveau lors de l’adolescence. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) a notamment permis l’identification de changements dans la matière grise corticale pendant l’adolescence et chez l’adulte jeune (13). Les cortex frontaux, temporaux et pariétaux connaissent une augmentation de volume pendant l’enfance et jusqu’à un pic à l’adolescence puis une diminution progressive (14).
Cette courbe d’évolution correspond à une croissance dendritique et une synaptogénèse (correspondant à l’augmentation du volume de la matière grise) puis à un élagage synaptique ultérieur (évoquant alors la diminution du volume de la matière grise).
L’élagage synaptique correspond à un affinement, une spécialisation des fonctions neuronales. Cet affinement des connections synaptiques reflète un remodelage cérébral en réponse aux stimulations émotionnelles et comportementales. Les connections les plus usitées vont prospérer tandis que celles non utilisées vont être vouées à disparaître.
De ce fait, l’adolescent par ses activités, et par son environnement, vont avoir une grande influence sur la structure définitive de son cerveau.
Le cortex préfrontal, lieu de contrôle des fonctions exécutives, incluant la planification, la régulation émotionnelle, la prise de décision et la conscience de soi, est l’une des structures qui suit un développement prolongé chez l’être humain.
Il commence à se développer dès la petite enfance et continue après l’adolescence jusqu’à vingt ans environ (15). Ce développement pourrait expliquer l’acquisition progressive du contrôle de soi de l’enfance jusqu’à l’âge adulte.
A contrario, le système limbique, qui gère le traitement de la récompense, l’appétit, la recherche du plaisir, se développe plus tôt dans l’adolescence que le cortex préfrontal (16).
Ainsi, il existe un décalage de maturation entre le système limbique et le cortex préfrontal, paroxystique au milieu de l’adolescence. La prise de risque, augmentée à ce moment de la vie, pourrait s’expliquer par ce décalage développemental, favorisant les comportements dirigés par l’émotion et les récompenses sur la prise de décision rationnelle.
D’ailleurs, les adolescents semblent vulnérables pour la prise de décision dans les situations stimulantes ou stressantes, ainsi appelé hot cognition ; (17) surtout en présence de pairs. Une augmentation de l’activité dans le noyau accumbens, région liée à la récompense semble liée à la majoration des comportements à risque pendant la puberté (18).
La cognition dite « chaude » évoque l’influence des émotions sur les fonctions cognitives. Elle est opposée à la cognition dite « froide » qui représente les aspects non émotionnels de la cognition. Cependant, Damasio explique dans L’erreur de Descartes que cette dichotomie est à nuancer, évoquant notamment qu’émotions et raisonnement sont étroitement imbriqués (19).
Pour autant, la plasticité cérébrale est source de potentialités de fonctions et d’adaptation pour le sujet (20) et les relations entre structure et fonctionnement cérébral ne restent encore à ce jour que peu connues.
Sur le plan hormonal, l’impact des hormones sexuelles (testostérone et œstrogènes) sur le comportement est bien connu, même si leurs effets spécifiques est contexte dépendant (21). Néanmoins, d’autres systèmes hormonaux entrent en jeu lors de la puberté. Les systèmes adrénergiques et corticotropes par leur action de modulation sur l’axe hypothalamo-hypophyso-gonadique en lien avec le système neurovégétatif jouent un rôle important dans les phénomènes d’adaptation de la réponse au stress. Des changements pubertaires de l’ocytocine chez la fille et de la vasopressine chez le garçon sont en lien avec l’attachement social, aux pairs et au comportement parental.
L’action des hormones, bien que variable en fonction de facteurs génétiques, épigénétiques, de l’âge, du sexe et du stade pubertaire, reste modérée par les valeurs normatives du milieu socioculturel (22)
Modèle anthropologique
Comme le rappelle David Le Breton dans son ouvrage (23), ce sont les Romains qui ont défini l’âge de l’adolescence et lui ont donné un nom Adulescentia, qui signifie « croissance », et qui l’ont située entre 15 et 30 ans. Pour autant, même si la première définition de l’adolescence est romaine ; on note des traces de phénomènes équivalents dans l’Antiquité et les sociétés traditionnelles, marqués par des rites de passage ou d’initiation ; ayant pour but d’encadrer le passage à l’âge adulte et lui donner du sens.
Au fil des époques, la notion d’adolescence sera mise de côté, avant de réapparaître sous la plume de Jean Jacques Rousseau dans Emile ou de l’Education (24). Par le truchement d’un enseignement donné à un élève imaginaire, Rousseau décrit l’adolescent comme un être protestataire, dominé par ses passions, objet de toutes les attentions et les obsessions.
Pourtant, comme le fait remarquer Van Gennep (25), que ce soit dans les sociétés dites primitives ou les plus actuelles, il existe une universalité du processus adolescent, marqué par les rites de passage. Cela est appuyé par Claude Lévi-Strauss (26) expliquant que « les sociétés archaïques les plus différentes à travers le monde conceptualisent de façon identique les rites d’initiation ». La finalité des rites consiste à intégrer les adolescents au groupe social en leur imposant des épreuves violentes, exigeant une soumission complète. Le schéma initiatique selon Van Gennep comprend trois phases : la séparation, la réclusion en marge, puis la réintégration dans le groupe.
Par analogie, la séparation de l’individu équivaut à une mort symbolique ; la mise en marge peut correspondre à une gestation symbolique, puis la réintégration de l’individu dans le groupe et dans une nouvelle situation sociale constitue une renaissance symbolique en tant qu’adulte.
Adolescence et conduites à risque
Définitions
Un risque peut se définir dans le langage courant comme un danger éventuel plus ou moins prévisible auquel on s’expose. Il comprend ainsi une part d’aléatoire, mais aussi une notion d’enjeu. Par enjeu, on peut entendre le caractère subjectif à évaluer la possible dangerosité d’un événement ou d’une situation.
De ce fait, la prise de risque se définit comme une décision impliquant un choix qui se caractérise par un certain degré d’incertitude quant aux probabilités d’échec ou de réussite (27). Le risque peut avoir un caractère utilitaire ; le danger qu’il implique peut être recherché s’il permet quelque chose ou s’il répond aux besoins du sujet.
Ainsi les conduites à risque peuvent être assimilées à une série de comportements disparates mettant symboliquement ou réellement l’existence en danger (28).
L’adolescence, une période à risque
Sur le plan développemental, la prise de risque peut se considérer comme étant intrinsèque aux processus d’acquisition, d’indépendance et d’individuation. Tout individu est dès la naissance confronté à deux besoins contradictoires. D’une part la recherche de la sécurité, d’autre part le besoin d’explorer, de découvrir son environnement ; exploration qui en elle-même est source de risque. L’adolescence, de par son caractère de processus de transition, en fait la période propice de la vie pour s’adonner à l’expérimentation de différents comportements, dont certains pourront être considérés comme dangereux, risqués pour l’intégrité physique et mentale.
Par cette expérimentation, l’adolescent va pouvoir questionner ses acquis, ses valeurs et tenter d’établir un nouvel équilibre psychique et ainsi, un nouveau paradigme dans sa vie. En cela, la prise de risque apparaît comme un moyen pour l’adolescent de développer ses compétences sociales, d’autonomie, d’indépendance et d’autorégulation.
Fonction des comportements à risque chez l’adolescent
Prise de risque et régulation émotionnelle
La prise de risque peut se comprendre comme un moyen de régulation émotionnelle. Trull et Sher (29) ont montré qu’une émotionnalité négative est en lien avec des comportements à risque. Ils évoquent notamment que la prise de risque serait un moyen de lutte permettant de mettre à distance un affect négatif ; ainsi celle-ci serait thérapeutique.
Cette étude de Shapiro et al (30) a notamment tenté d’explorer les motivations invoquées par des adolescentes décrites comme « preneuses de risque ».
L’analyse des motivations a permis de montrer que la prise de risque dépend d’une forte perception des bénéfices que cela peut apporter, comme le plaisir, les sensations ; mais aussi que le contexte émotionnel en est un des moteurs. Ainsi, on peut entendre que la prise de risque à l’adolescence soit liée à la recherche de plaisir, mais aussi le reflet de difficultés affectives, et fait ainsi écho à la vulnérabilité des adolescents dans les situations où la cognition dite « chaude » est invoquée.
La recherche de stimulations par des comportements de prise de risque devient alors un moyen d’auto régulation émotionnelle.
Prise de risque et insertion dans le groupe de pairs
La prise de risque peut aussi permettre à l’adolescent l’exploration de son identité, et être l’expression de son autonomie auprès des autres.
Certaines activités à risque sont valorisées par les pairs et suscitent parfois l’admiration. Cela illustre la théorie de Jessor (31) selon laquelle les adolescents fréquemment exposés à des activités à risque perçoivent moins le danger que ceux qui n’y sont pas exposés. Mais surtout, ces comportements prennent une valeur sociale pour l’adolescent en favorisant son insertion dans le groupe de pairs.
Ainsi, on peut considérer que la prise de risque est appréhendée comme conduite sociale, et est une voie effective pour gagner l’indépendance vis-à-vis des parents. L’adolescent en se testant et en affrontant le danger, brise symboliquement les barrières de l’enfance en devenant partie intégrante du groupe de pairs. La prise de risque peut de ce fait, se rattacher aux rites de passage.
Les conduites à risque permettent aussi selon Irwin et Millstein (32) d’exercer au sein du groupe de pairs, une forme de contrôle voire de domination.
En faisant intervenir le groupe de pairs comme spectateur de la prise de risque, cela permet à l’adolescent de conforter son image vis-à-vis de lui-même et des autres ; s’inscrivant ainsi dans une relation statutaire. La prise de risque prend ici une fonction de prestige aux yeux des pairs.
Recherche de sensations et adolescence
Parmi l’ensemble de manifestations comportementales émergeant à l’adolescence, la recherche de sensations tient une place importante. Les conduites à risque peuvent s’étudier sous l’angle des sensations qu’elles engendrent.
C’est Marvin Zuckerman (33), qui en 1964 alors qu’il travaille sur la valence individuelle des réponses de sujets soumis à des conditions d’isolement sensoriel ou a contrario des sur-stimulations, qui va définir le concept de recherche de sensations. Selon lui, l’amateur de sensations aurait tendance à adopter des comportements permettant de maintenir un niveau optimum de stimulation.
Il modifiera son concept au vu du développement des connaissances biologiques, pour évoquer plutôt un niveau optimum de l’activité des systèmes catécholaminergiques et dopaminergiques. A la lumière de ces nouveaux éléments, les amateurs de sensations auraient dans un état de non-stimulation une activité catécholamiergique faible et seraient à la recherche de substances ou de comportements qui augmenteraient cette activité.
La recherche de sensations peut se définir comme le besoin d’expériences et de sensations variées pouvant mener l’individu à s’engager dans des conduites de désinhibition, des activités physiques et sociales risquées.
En France, c’est Grégory Michel (34) qui a travaillé cette question de recherche de sensations chez les adolescents, notamment via la traduction et l’adaptation de l’échelle de Zuckerman.
Cette échelle de recherche de sensations est divisée en trois dimensions : la désinhibition, la recherche de danger et d’aventures et le non conformisme. Via cette échelle, on découvre que la recherche de sensations est plus développée chez les garçons avec cette recherche de danger et d’aventures. Les filles quant à elles sont dans une recherche plus prononcée pour le non conformisme.
La recherche de sensations (tant chez l’adulte que chez l’adolescent) est fortement impliquée dans les conduites de prise de risque, passant notamment par la consommation de toxiques et d’alcool ; et elle favorise à l’adolescence l’expérimentation de la prise de risque.
Conduites à risques et conduites ordaliques
Le terme Ordalie est une notion apparue au Moyen Age. Etymologiquement ce mot provient de l’anglais médiéval ordal et du germanique urthel signifiant « jugement de Dieu ». Au sens strict, le mot ordalie est réservé aux épreuves par les éléments naturels et distingué des serments et autres duels.
Le fantasme ordalique serait le fait de s’en remettre au hasard, au destin, à la chance, pour le maîtriser ou en être l’élu, et, par sa survie, prouver son droit à la vie.
La conduite ordalique telle qu’elle est définie par Valleur (35) consiste pour « un sujet à s’engager de façon plus ou moins répétitive dans des épreuves comportant un risque mortel : épreuve dont l’issue ne doit pas être évidemment prévisible et qui se distingue de ce fait tant du suicide pur et simple que du simulacre ».
On entend dès lors que la conduite ordalique est porteuse de deux dimensions : abandon ou soumission au verdict du destin, mais aussi tentative de maîtrise, de reprise de contrôle sur sa vie.
Il existe donc un rapport subjectif positif au risque ; le risque est choisi et non subi. Le sujet en attend plus ou moins consciemment un mieux-être. La prise de risque est vécue comme une épreuve, pouvant être traversée avec succès, voire comme une séquence de mort suivie de résurrection. Par ailleurs, la conduite ordalique porte une composante transgressive. Ainsi, la prise de risque est une façon d’invalider les dépositaires de l’autorité, comme si le fait de risquer sa vie place le sujet au-dessus de toute règle et de toute convention.
Les conduites à risque et la recherche de sensations occupent donc des places prépondérantes dans le processus adolescent, notamment au vu des fonctions qu’elles peuvent avoir dans la construction de l’adolescent. Par ailleurs, Le Breton (36) fait le rapprochement entre conduites ordaliques et rites de passage, en particulier autour de la quête de sens ; dont elles sont porteuses.
Adolescence et rites de passage
Définition
Comme cela l’a été évoqué auparavant, on ne peut parler d’adolescence sans évoquer les rites de passage ; marquant selon le modèle anthropologique, la transition symbolique d’enfant à adulte. Les rites de passage consistent en un ensemble de séquences cérémonielles qui accompagnent le passage d’une situation à une autre et d’un monde à un autre ; le caractère cérémoniel marquant publiquement cette transition. Selon Van Gennep (25), cette cérémonie est constituée de trois moments : séparation, marge et agrégation.
Fonctions des rites de passage
Les rites de passage revêtent trois fonctions, correspondant à trois aspects : un aspect sociologique, un aspect psychologique et un aspect spirituel (37).
Sur le plan sociologique, les rites de passage permettent la détermination des statuts. La société imposant que le statut de chacun soit rendu public, invoque un caractère contraignant et obligatoire dans le rite de passage, même si cette contrainte est intériorisée par l’individu.
Sur le plan psychologique, les rites offrent une fonction d’aide et de sécurisation du sujet à des moments cruciaux de l’existence, et en particulier lors de l’adolescence. Ils permettent de surmonter l’appréhension de la nouveauté, la peur de l’inconnu et des sensations nouvelles, toujours perçus comme dangereux. Ils peuvent être comparés à des chrysalides, offrant d’une part un cocon protecteur, de l’autre, ils sont le lieu d’une métamorphose psychique et de transformation de la personnalité.
Enfin sur un plan spirituel, les rites de passage permettent de donner sens à la vie, à la mort, au monde.
Comme l’évoque Mary Douglas (38), l’homme est « un animal rituel », suggérant même que supprimer « une certaine forme de rite, et il réapparaît sous une autre forme, avec d’autant plus de vigueur que l’interaction sociale est intense. Les rites sociaux créent une réalité qui, sans eux, ne serait rien. (…) Il n’y a pas de rapports sociaux sans actes symboliques ».
Par les fonctions qu’il porte, et notamment son utilité sociale, le rite est inaliénable de la condition humaine.
Rites de passage contemporains
Selon David Le Breton (36), dans nos sociétés modernes, il y a une perte de sens dans les rites tels que nous les pratiquons aujourd’hui. Perte de sens devant la multiplicité des rites mais notamment devant l’idée qu’il n’y a plus de mort, ni de renaissance symbolique publique ; comme cela pouvait être représenté dans les rites des sociétés primitives.
Dans ce contexte, la ritualisation d’un événement ou d’une situation connaît maintes formes, où l’individu devient l’artisan du sens et des valeurs de son existence. « L’individualisation démocratique de nos sociétés induit une individualisation du sens ».
Avec ce constat, les adolescents se servent des rituels et du comportement ritualisé afin de mettre en scène leur propre communauté, de se démarquer, d’intensifier le sentiment d’appartenance à la communauté ; tout en revendiquant le droit à la spontanéité, la non-structure, l’immédiateté et la liberté (39).
Dès lors, on comprend que les rituels adolescents peuvent revêtir une variété de formes différentes, la consommation d’alcool et les alcoolisations ponctuelles importantes pouvant être l’une de ses représentations. Pour autant, dans ces rites aux formes nouvelles et multiples, persistent des éléments rémanents, évoquant le rite dans sa définition première.
La volonté de s’affirmer à ses yeux comme aux yeux des pairs, la recherche de réassurance, de sécurisation et la quête de sens. Ces objectifs, finalement vitaux dans la construction de l’adolescent, ne sont atteignables que par la mise en danger et la prise de risque, permettant ainsi de tester ses limites face à la mort.
Au final, les conduites à risque, les conduites ordaliques, les rites de passage peuvent être considérés comme des comportements par lesquels, l’adolescent en mettant sa vie en péril, vont donner du sens, et lui permettre de se transcender.
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Table des matières
INTRODUCTION
A- APPROCHE THEORIQUE
1- L’adolescence
a) Modèle physiologique : la puberté
b) Modèle sociologique
c) Modèles psychanalytique et psychodynamique
d) Modèles cognitif et éducatif
e) Modèle neurocognitif
f) Modèle anthropologique
2- Adolescence et conduites à risque
a) Définitions
b) L’adolescence, une période à risque
c) Fonctions des comportements à risque chez l’adolescent
d) Recherche de sensations et adolescence
e) Conduites à risque et conduites ordaliques
3- Adolescence et rites de passage
a) Définition
b) Fonctions des rites de passage
c) Rites de passage contemporains
4- Addictologie et alcool
a) L’alcool en France
b) Importance culturelle de l’alcool en France
c) Usages et mésusages de l’alcool
d) Impact de la consommation d’alcool à l’adolescence sur le plan neuro cognitif
B- ADOLESCENCE ET CONSOMMATION D’ALCOOL : UNE REV LITTERATURE QUALITATIVE
1- Intérêt d’une revue de la littérature qualitative et scoping reviews
a) Choix d’une revue de la littérature qualitative
b) Scoping reviews ou examens de portée
2- Méthodologie
3- Résultats
a) Alcool et représentations adolescentes
b) Alcool et perspectives sociologiques
c) Alcool et représentations parentales des usages
d) Approche préventive
e) Regard environnemental, impact des alcooliers et du marketing
C- DISCUSSION
a) Alcool et représentations adolescentes
b) Alcool et perspectives sociologiques
c) Alcool et représentations parentales des usages
d) Approche préventive
e) Regard environnemental, impact des alcooliers et du marketing
CONCLUSION
RESSOURCES BIBLIOGRAPHIQUES
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