Historique du cannabis
Le cannabis, Cannabis Sativa, est une plante connue et cultivée par l’homme depuis des millénaires. Ses usages sont très variés : production de fibres pour la fabrication de cordages, de tissus ou de papier, mais aussi source d’aliments pour le bétail ou l’homme, et enfin ingrédient de médicaments traditionnels ou de préparations consommées dans un but rituel ou hédonique [7]. C’est une plante très polymorphe qui présente une capacité d’adaptation remarquable. Son origine exacte est difficile à déterminer mais la plupart des spécialistes pensent qu’il proviendrait de régions situées près de la Mer Caspienne correspondant actuellement à l’Asie Centrale, à l’ex URSS et au Nord-Ouest de la Chine [8]. La migration du cannabis au cours de l’histoire suit celle des hommes. A la fin du IIIème millénaire av. JC, les peuples de l’Est et de l’Asie Centrale commencent à voyager. De la Mer Caspienne, ils se déplacent tout d’abord vers l’Est en emportant le cannabis, pour arriver en Inde. La plante y est rapidement utilisée pour ses propriétés psychotropes à des fins mystiques [7,9]. Encore plus à l’Est, en Chine, l’empereur et botaniste Shen-Nun, fondateur de la médecine chinoise, en découvre les premiers intérêtsthérapeutiques, en l’expérimentant, comme toutes les plantes de son herbier, sur lui-même [8]. Au fil des siècles, à l’usage médical s’ajoute l’usage mystique en Chine. De tout temps, les Chinois ont également cultivé le chanvre pour ses fibres, utilisées pour fabriquer des filets de pêche, des textiles destinés aux populations les plus pauvres [7,8]. A l’Ouest vers l’Europe, on trouve de nombreuses traces de cannabis datant du IIème millénaire avant JC, notamment des poteries décorées d’un cordon de chanvre. Un bol ressemblant à un fourneau de pipe et contenant des graines a également été découvert dans un lieu funéraire de Roumanie [9]. Jusqu’à l’ère chrétienne, les invasions indo-européennes par des peuples nomades achèvent d’ancrer le chanvre en Europe, parmi eux les Seythes, peuple guerrier établi près du Danube. Le cannabis était pour eux non seulement un moyen de communication avec l’au-delà, lors des cérémonies religieuses, mais aussi, sous forme d’un breuvage absorbé avant les combats, un moyen de lutter contre leur peur et de décupler leur courage. Leurs nombreuses conquêtes ont contribué à la diffusion du cannabis dans la Thrace, une région de la péninsule Balkanique partagée de nos jours entre la Bulgarie, la Grèce et la Turquie [7,9]. Les échanges entre les peuples avec la création des premières routes commerciales, a permis à l’Afrique de découvrir à son tour le cannabis. Celui-ci arrivant de l’Asie et de l’Europe, l’Egypte fut naturellement sa première destination africaine. Un papyrus écrit sous le règne d’Aménophis 1er, au XVIème siècle av. JC, le présente comme une plante sacrée des pharaons [9]. Malgré la proximité des pays, l’extension du cannabis sur le continent africain se fait très lentement, probablement liée en partie à la culture d’autres plantes psychotropes indigènes [8]. La culture de cannabis longe au cours des siècles le pourtour de l’océan Indien et Atlantique. On retrouve des traces de chanvre datant du début du XIIIème siècle de notre ère au Kenya et en Ethiopie et du XVème siècle en Afrique du Sud. Remontant vers l’Ouest, la plante envahit le Zaïre (RDC), le Congo et l’Angola dans la seconde moitié du XIXe siècle [8,9]. Les autres pays de l’Afrique de l’Ouest n’ont connu que très récemment le cannabis, vers 1945, lors du retour des soldats nigérians ayant combattu en Asie aux côtés de la Grande-Bretagne pendant la seconde guerre mondiale [10,11]. Aujourd’hui, le cannabis est une plante répandue dans le monde où il est utilisé principalement pour ses effets psychotropes. Malgré l’interdiction par la loi dans la plupart des pays, des études visant à l’utilisation de la plante dans le domaine médical sont en cours.
Les récepteurs cannabinoïdes
La plupart des effets du THC sont provoqués par l’interaction avec le système « endocannabinoïde » qui comprend des récepteurs spécifiques et des ligands endogènes. Deux types de récepteurs sont identifiés : le CB1 et le CB2. Le récepteur CB1 est situé principalement au niveau du système nerveux central et périphérique, son activation est responsable des effets psychotropes du cannabis. La concentration des récepteurs CB1 dans le cerveau est particulièrement élevée, surtout dans les zones du cerveau qui sont impliquées dans les effets comportementaux typiques du cannabis. Le récepteur CB2 est essentiellement cantonné aux cellules immunitaires [23]. En 1992, Devane et son équipe isolent chez le porc un ligand endogène des récepteurs CB1 et CB2 aux cannabinoïdes. D’autres ligands seront découverts confirmant l’existence d’un véritable système endocannabinoïde composé de substances neurochimiques et de récepteurs [21]. Les principaux cannabinoïdes n’ont pas les mêmes propriétés. Le Δ9-tétrahydrocannabinol est un agoniste partiel donnant un effet maximum inférieur de moitié à celui de l’agoniste très puissant CP 55940. Il présente une affinité pour les récepteurs CB1 et CB2, l’activation serait totale pour les CB1 et très faible pour les CB2 [24]. Le cannabidiol aurait une propriété antagoniste selon certaines études. Il a une faible affinité pour les CB1 et CB2 [22]. Le cannabinol n’a pas de propriété antagoniste même à forte dose. Il a moins d’affinité pour les récepteurs des cannabinoïdes que le Δ9-tétrahydrocannabinol. Il a plus d’affinité pour les CB2 que pour les CB1. Son activité intrinsèque est faible, elle n’équivaut qu’à un quart de l’activité observée avec le CP 55940. Par contre, il potentialise les effets du Δ9-tétrahydrocannabinol [23].
Pharmacocinétique du THC et de ses métabolites
Seule la pharmacocinétique du THC dans le cadre d’un usage récréatif pour définir la durée de l’emprise cannabique a été bien étudiée. Les deux métabolites principaux du THC sont le 11-OH THC, métabolite psychoactif dont les niveaux plasmatiques sont parallèles à la durée de l’action observable du cannabis et le 11-nor-9-carboxytétrahydrocannabinol (THC-COOH), marqueur de l’observance régulière d’un traitement par THC Ce dernier se présente à nouveau sous une forme acide, comme le précurseur du THC, et possède des propriétés anti-inflammatoires. Le 11- OH THC, métabolite intermédiaire psychoactif, est oxydé rapidement en THC-COOH, métabolite final non psychoactif qui s’accumule dans les liquides biologiques avant d’être éliminé [21,25].
Tolérance et dépendance
L’usage prolongé du cannabis s’accompagne du développement d’une tolérance et d’une dépendance requérant l’augmentation des doses inhalées pour produire les mêmes effets. L’exposition chronique au THC produit une diminution de la densité des récepteurs CB1 dans le cerveau et leur désensibilisation. L’apparition d’une tolérance a pour conséquence que les récepteurs deviennent moins nombreux et moins efficaces [23]. Chez l’Homme, les essais cliniques réalisés à ce jour indiquent qu’une tolérance se développe au moins vis-à-vis des effets euphorisants et relaxants du cannabis. Les effets cardiovasculaires (tachycardie) s’atténuent également avec la répétition des doses. En revanche, les performances de la mémoire à court terme ainsi que les temps de réaction à des tâches complexes semblaient encore plus diminués après répétition des doses [16]. On considère comme dépendantes les personnes dont la vie est gouvernée par la préoccupation majeure de se procurer et de consommer du cannabis, alors même que ce comportement a des incidences négatives sur leur vie sociale et professionnelle ainsi que sur leur santé. Le problème de la dépendance concerne une personne sur dix consommant du cannabis. Les personnes dépendantes ont beaucoup de peine à interrompre leur consommation pendant une période de temps significative et elles sont incapables de gérer leur consommation. La cessation de la consommation provoque chez la personne dépendante des symptômes de sevrage surtout psychologiques qui l’incitent à recommencer [19]. Dépendance psychique : c’est le besoin de maintenir ou de retrouver les sensations de plaisir, de bien-être, la stimulation apportée par la substance au consommateur et éviter la sensation de malaise psychique survenant en l’absence de produit ce qui va se traduire par la recherche compulsive de la substance, contre la raison et la volonté, expression d’un besoin majeur et incontrôlable. Dépendance physique : elle est définie comme un état adaptatif caractérisé par l’apparition de troubles physiques et psychologiques désagréables parfois intenses lorsque l’administration du produit est suspendue brusquement (ou lorsqu’on administreun antagoniste), leur ensemble constituant le syndrome de sevrage ou d’abstinence. Le syndrome de sevrage est spécifique au produit consommé. La poly-consommation se définit simplement par la consommation d’au moins 2 substances psychoactives. Cependant, elle englobe des conduites variées d’associations de produits pouvant générer des conséquences diverses qualitativement et quantitativement. Le nombre de combinaisons et les problématiques différentes rendent donc ce problème difficile à traiter. Elles concernent des situations cliniques et/ou des patients très différents :
– les consommations peuvent s’associer ou se succéder dans le temps
– la consommation d’un produit peut prédominer ou pas,
– les catégories d’usage peuvent être différentes selon les produits consommés.
La poly-toxicomanie correspond à l’association de produits intégrant au moins un produit illicite et souvent à des formes graves avec usage nocif et/ou dépendance. Le terme de poly-addiction renvoie souvent à la polydépendance. Il peut aussi faire référence à l’association de plusieurs conduites addictives, avec ou sans dépendance. On pourrait aussi parler d’abus ou de dépendances multiples [1].
Comorbidités psychiatriques
Les comorbidités psychiatriques sont des associations nosographiques sans lien sans causalité affirmée. Une co-occurrence trop fréquente pose des questions étiopathogéniques en particulier pour le trouble schizophrénique. La consommation de cannabis, comme de toute substance psychoactive, est un facteur d’aggravation de toutes les psychopathologies avec des rechutes, arrêts de traitement, réhospitalisations et recours au service d’urgence plus fréquents, une augmentation du risque de désinsertion sociale. Ces éléments de gravités sont corrélés à l’importance de la consommation [47].
Schizophrénie : L’étude de Zammit et coll. a montré qu’il existe un facteur causal et un risque doublé de développer une schizophrénie dans les 15 ans qui suivent le début de la consommation chez l’adolescent. Entre 8 et 14 % des cas de schizophrénie pourraient être attribués à une prise précoce de cannabis. L’usage de cannabis agirait plus vraisemblablement comme facteur déclenchant chez des individus vulnérables plutôt que comme facteur causal chez des patients non prédisposés. La vulnérabilité à développer une schizophrénie est constituée aussi bien par l’environnement psychosocial que par le substrat génétique de la victime. Cependant, il semblerait qu’une prédisposition à développer des troubles psychotiques ne favorise pas une future consommation de cannabis [48].
Les troubles de l’humeur : 30 à 50% des consommateurs de cannabis présenteraient un trouble de l’humeur [42]. On distingue :
– Les états dépressifs majeurs caractérisés en rupture par rapport au fonctionnement antérieur et qui nécessitent des chimiothérapies antidépressives à doses adaptées et habituellement élevées ;
– Des réactions dépressives aiguës survenant lors des événements de vie ou des frustrations mal tolérées, insensibles aux antidépresseurs, améliorées par les anxiolytiques et neuroleptiques ou antipsychotiques désinhibiteurs ;
– Les structurations dépressives de la personnalité de type borderline, abandonnique ou narcissique, insensible aux antidépresseurs nécessitant des suivis psychothérapeutiques ;
– De possibles troubles de l’humeur induits par le cannabis contemporain de l’intoxication, spontanément résolutifs lors de l’abstinence, associés habituellement à un syndrome amotivationnel.
Tentative de suicides : les patients ayant faits une tentative de suicide sont plus fréquemment abuseurs de substances psychoactives dont le cannabis de 16 à 31% que la population générale. A l’inverse, les patients abuseurs et dépendant de cannabis ont fait significativement plus de tentatives de suicides que ceux n’en ayant jamais consommé. Cette consommation est souvent associée à une symptomatologie dépressive plus marquée. La gravité des tentatives de suicide est corrélée à l’importance de la conduite addictive [43].
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE
I. GÉNÉRALITÉS SUR LE CANNABIS
I.1 Historique du cannabis
I.2 Législation
I.3 Pharmacologie du cannabis
II. CONDUITE ADDICTIVE ET DÉPENDANCE AU CANNABIS
II.1 Usage
II.2 Tolérance et dépendance
III. ÉPIDÉMIOLOGIE DE L’USAGE DU CANNABIS
III.1 Épidémiologie descriptive
III.2 Épidémiologie analytique
IV. ASPECTS CLINIQUES ET COMORBIDITÉS PSYCHIATRIQUES
IV.1 Aspects cliniques
IV.2 Comorbidités psychiatriques
DEUXIEME PARTIE
I. BUT ET OBJECTIFS
I.1 But de l’étude
I.2 Objectif général
I.3 Objectifs spécifiques
II CADRE D’ÉTUDE
II.1 Présentation du CEPIAD
II.2 Fonctionnement du CEPIAD
III. MÉTHODOLOGIE
III.1 Type et période d’étude
III.2 Population d’étude
III.3 Recrutement
III.4 Outils et technique de recueil des données
III.5 Définition des variables
III.6 Saisie et analyse des données
III.7 Considérations éthiques
IV. RÉSULTATS
IV.1 Résultats descriptifs
IV.1.1 Caractéristiques sociodémographiques
IV.1.2 Données juridiques
IV.1.3 Caractéristiques cliniques
IV.2 Résultats analytiques
IV.2.1 Déterminants à l’addiction sévère
IV.2.2 Déterminants aux troubles psychiatriques
IV.2.3 Facteurs associés à l’addiction sévère au cannabis
IV.2.4 Facteurs associés aux troubles psychiatriques chez les usagers de cannabis
V. DISCUSSION
V.1 Limites de l’étude
V.2 Caractéristiques sociodémographiques
V.3 Données juridiques
V.4 Aspects cliniques
V.5 Facteurs associés à une addiction sévère au cannabis
V.6 Facteurs associés aux troubles psychiatriques chez les usagers de cannabis
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
RÉFÉRENCES
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