Cocaïne
La cocaïne est le stimulant le plus consommé en Europe. Son usage est le plus souvent récréatif et occasionnel mais il existe tout de même des consommateurs chroniques.
On constate qu’aujourd’hui les catégories socio-professionnelles concernées par la consommation de cocaïne ont évoluées. Les usages touchent désormais toutes les catégories socio-culturelles. Les niveaux de consommation de cocaïne sont relativement stables depuis plusieurs années voire même en légère baisse, tout comme les saisies.
Globalement, les tendances font apparaître une hausse de la pureté de la cocaïne ces dernières années, tandis que le prix est resté relativement stable.
On estime qu’environ 3,4 millions d’adultes de 15 à64 ans auraient consommé de la cocaïne lors de l’année écoulée, ce qui représente globalement 1% de la population européenne concernée. Quant à la part d’adultes ayant consommé de la cocaïne au moins une fois au cours de leur vie, elle représente environ 4% de la population européenne, soit 15,6 millions de personnes entre 15 et 64 ans (Figure 3).
La consommation de cocaïne est plus élevée dans les populations fréquentant les milieux festifs. Une enquête réalisée en 2004 et 2005 dans l’espace festif « musique électronique » de cinq villes françaises (Nice, Toulouse, Rennes, Bordeaux, Metz) révèle que 35% des personnes fréquentant cet espace déclarent avoir consommé de la cocaïne au cours du mois écoulé et que près des deux tiers (63%) en ont pris au moins une fois dans leur vie6.
Amphétamines
Les substances stimulantes sont également utilisées de manière récréative par des jeunes bien intégrés ou de manière instrumentale pour permettre au consommateur de rester vigilant plus longtemps ou de conduire de longues distances, pour améliorer le comportement sexuel ou pour atténuer les effets d’autres substances. La méthamphétamine est généralement plus chère mais aussi de pureté supérieure à l’amphétamine. La consommation de méthamphétamine était jusqu’alors limitée à la République Tchèque et à la Slovaquie mais il semblerait que ce produit se diffuse vers les pays d’Europe centrale tels que l’Allemagne, l’Autriche et la Pologne . La consommation de méthamphétamines dans les milieux homosexuels où peuvent être associés comportements sexuels à haut risque et injection ne fait qu’augmenter les préoccupations au sujet de cette drogue, au même titre que la présence sur le marché de cristaux très fortement dosés.
Au cours de l’année écoulée, on estime qu’environ 1,6 million d’adultes de 15 à 64 ans ont consommé des amphétamines, soit 0,5% de la population concernée. Quant à la part de lapopulation ayant consommé des amphétamines au cours de leur vie, ellereprésente 3,5% des personnes concernées, soit 12 millions d’adultes (Figure 4).
Cannabis
Le cannabis est la substance illicite consommée la plus fréquemment au sein de la population française avec 17,0 millions de personnes à l’avoir déjà expérimentée, soit une proportion de 42% des 11-75 ans. Son usage régulier(au moins dix fois par mois) concerne 1,4 million de personnes, quant à son usage quotidien, il représente 700 000 personnes.
L’expérimentation du cannabis chez les jeunes de 17ans connaît une hausse de 41 à 48% entre 2011 et 2014 alors même qu’il était en stabilisation depuis 2002. Cette hausse concerne également l’usage régulier de cette drogue puisque 9% des jeunes sont des fumeurs réguliers, contre 6% en 2011. Là encore, la proportion de garçons est plus importante pour ces chiffres. En 2014, 8% des jeunes de 17 ans présentent un risque élevé d’usage problématique ou de dépendance contre 5% en2011 tandis que chez la population âgée de 18 à 64 ans, cette proportion est de 21%.
Les enquêtes menées en 2014 ont estimé à plus de 38000 le nombre de personnes prises en charge pour un problème de consommation de cannabis, que ce soit pour un usage régulier ou plus occasionnel. Le cannabis serait en cause dans 175 à 190 décès lors d’accidents de la route à la fin des années 2000.
Consommation chez les jeunes
De manière générale, les tendances de consommation chez les jeunes sont proches de celles des populations adultes. Ces tendances sont analysées à l’aide d’une enquête menée depuis 2000 lors de la Journée Défense et Citoyenneté nommée enquête ESCAPAD (Enquête sur la Santé et les Consommations lors del’Appel de Préparation À la Défense). Le questionnaire présenté lors de cette journée cible les consommations de produits psychoactifs chez les jeunes garçons et jeunes filles âgées de 17 ans. L’étude ESCAPAD 2014 est la huitième enquête de ce type qui a été menéedu 17 au 21 mars 2014 sur un échantillon de 22 023 métropolitains âgés de 17 ans. Elle permet d’analyser les statistiques sur l’ensemble de la population jeune concernée mais aussi de les pondérer suivant les régions et le sexe. Nous avons donc des données fiables et précises sur laconsommation des SPA depuis 2000.
Lors de l’enquête ESCAPAD 2014, il est apparu que toutes les tendances de consommation de SPA étaient à la hausse chez les jeunes. En effet, en diminution entre 2000 et 2008, les usages réguliers d’alcool et de tabac sont repartis à la hausse et continuent leur augmentation depuis. Le cannabis en fait de même, que ce soit pour l’expérimentation ou l’usage régulier. Pour les autres SPA, seules les expérimentations sont analysées car la part d’usage régulier pour ces produits est trop faible. Et pour celles-ci, les tendances sont orientées à la hausse (MDMA/ecstasy, amphétamines, LSD) ou au mieux stables (cocaïne, héroïne, champignons hallucinogènes). Comme pour le début de cette thèse, nous n’analyserons que la consommation des substances illicites.
Consommation chez les jeunes en Basse-Normandie
Pour ce qui est de la consommation des jeunes en Basse-Normandie, l’enquête ESCAPAD permet de déterminer où se situe cette région par rapport à la métropole . Elle s’est référée à un échantillon de 489 jeunes, garçons et filles confondus pour évaluer leur consommation actuelle. Il est à noter que la Basse-Normandie fait partie des régions où l’usage régulier d’alcool à 17 ans est le plus important (17%) après celui de la Bretagne (22%), alors que la moyenne nationale est de 12,3%.Il en est de même avec l’usage régulier de tabac où la Basse-Normandie se démarque avec un niveau de jeunes consommateurs de l’ordre de 37% contre 32,4% pour la France métropolitaine.
En revanche, pour le cannabis, la consommation régulière est en deçà de celle de la France métropolitaine. La France possède des taux de consommation régulière de cannabis allant de 6 à 13% pour le plus important, avec une moyenne métropolitaine de 9,2%. La Basse-Normandie atteint les 7% de jeunes consommateurs réguliers selon les chiffres de l’enquête ESCAPAD 2014 (Figure 10).
Les opiacés
Le terme d’opiacés regroupe un certain nombre de substances dérivées de l’opium, provenant de la culture du pavot. La morphine est le produit de référence de cette famille et les opiacés désigne aujourd’hui l’ensemble des molécules ayant un effet de type morphinique. Certains produits sont extraits de l’opium alors que d’autres sont produits de manière semi-synthétique voire totalement synthétique ; ces derniers composés sont d’ailleurs appelés des substances opioïdes. Tous ces composés sont dotés de puissantes propriétés pharmacologiques : la morphine possède un pouvoir analgésique remarquable tandis que la codéine, la codéthyline et la pholcodine sont antitussifs. La différence d’action pharmacologique s’explique par l’existence de plusieurs récepteurs aux opiacés. Ils possèdent tous un très fort potentiel de dépendancephysique qui se traduit par un syndrome de sevrage à l’arrêt qui est en général limité dans le temps (une semaine environ) mais également une dépendance psychique qui elle peut persister plusieurs années après l’arrêt de la consommation.
En France, on rencontre plusieurs types d’opiacés. Les premiers sont des drogues licites produites par les laboratoires pharmaceutiques dans un but thérapeutique mais dont l’usage peut être détourné. C’est le cas de la codéine, des sulfates de morphine normalement utilisés pour traiter des douleurs intenses et/ou rebelles aux autres traitements analgésiques ; on retrouve également les traitements antitussifs à base de codéine et de pholcodine et aussi les traitements de substitutionaux opiacés (TSO) que sont la méthadone et la buprénorphine. Ces derniers sont utilisés dans un but thérapeutique d’aide au sevrage et/ou à la stabilisation de la consommation qui sera développé plus loin. Le deuxième type d’opiacés mais non des moindres est constitué par l’héroïne ou diacéthylmorphine, drogue illicite dix fois plus puissante que la morphine (Figure 15). C’est l’opiacé le plus recherché en tant que drogue. Elle est métabolisée en quelques heures par l’organisme en morphine et persiste dans les urines pendant 2 à 3 jours.
Dépendance et addiction
Définition
Connaître les propriétés pharmacologiques d’une substance psychoactive ne suffit pas pour comprendre les comportements d’abus et de dépendance. Il est important de prendre en compte la personnalité du consommateur ainsi que les événements de sa vie qui entrent obligatoirement en considération dans l’usage de ces drogues, sans oublier la dimension génétique et épigénétique. Il y a une dimension psychiatrique que l’on retrouve dans l’étymologie même de la « toxicomanie ». Ce mot tient son origine du grec « toxikon », poison, et « mania », folie. Ceci nous rappelle l’ambiguïté et la difficulté à faire rentrer ce terme dans un cadre bien défini. Dès lors qu’une dimension psychiatrique entre en jeu, il est ardu de poser précisément les limites d’une pathologie. Il n’y a donc pas qu’une seule forme d’addiction ou de dépendance. Elles sont multiples et dépendent chacune non seulement de la substance utilisée mais aussi du consommateur.
L’addiction est un terme lourd de sens signifiant «contrainte par le corps » (ad dicere) et qui est souvent employé dans le sens de « dépendance ». Le psychiatre Goodmana publié en 1990 des critères du trouble addictif qui font aujourd’hui autorité (Tableau 4).
L’addiction, définie par Goodman est « un comportement qui peut avoir pour fonction de procurer du plaisir et de soulager un malaise intérieur, et qui se caractérise par l’échec répété des tentatives de contrôle et par sa persistance en dépit des conséquences négatives ». Cette définition a le mérite de mettreen évidence le fait que les addictions ne sont pas forcément liées à une substance et qu’elles peuvent d’ailleurs exister sans. C’est le cas des addictions au jeu, des addictions sexuelles !Ce sont des « conduites addictives ».
Des dépendances peuvent survenir à tout âge, mais la période de 15 à 25 ans est la plus propice à leur émergence. Les premières expériences menées lors de cette période de la vie ainsi que l’exposition précoce à des drogues augmentent de façon exponentielle le risque de développer une addiction à l’âge adulte. De manière générale, les personnes de sexe masculin sont beaucoup plus touchées par l’addiction comparé au sexe féminin.
Dépendance
Depuis 1964, l’OMS recommande l’abandon du terme « toxicomanie » au profit du concept de « dépendance ». C’est cette notion de dépendance qui est en grande partie reprise sous le terme actuel d’ « addiction ». Le sujet principal étant ici l’abus d’une substance psychoactive, la pharmacodépendance est le terme approprié. Elle est définie par l’OMS comme un « état psychique et parfois physique, résultant d’une interaction entre un organisme vivant et une drogue, se caractérisant par des modifications de comportement et par d’autres réactions, qui comprennent toujours une pulsion à prendre le produit de façon continue ou périodique afin de retrouver ses effets psychiques et quelquefois d’éviter le malaise de privation. Cet état peut s’accompagner ou non de tolérance. Un même individu peut être dépendant de plusieurs produits».
La dépendance à une substance va être caractérisée comme « un mode d’utilisation inadapté d’une substance conduisant à une altération du fonctionnement ou à une souffrance cliniquement significative, et caractérisée par la présence de trois (ou plus) des manifestations suivantes » (Tableau 7) :
Vulnérabilité aux processus addictifs
Nous avons vu que les addictions aux substances psychoactives ont des similitudes comportementales qui s’expliquent par des mécanismes neurobiologiques comparables mettant en jeu le circuit de la récompense. Cependant, tous les individus ne sont pas égaux devant le risque d’addiction. Il existerait une comorbidité dans la vulnérabilité aux drogues qui impliquerait les pathologies mentales en relation avec le système dopaminergique comme les états dépressifs, les troubles obsessionnels compulsifs ! D’ailleurs, 18% des personnes avec un problème de drogues présentent également un ASPD (Antisocial Personnality Disorder), c’est-à-dire un trouble de la personnalité antisociale contre 9% dans la population générale . Il est également admis qu’une exposition à des situations anxiogènes à des périodes critiques de la vie pourrait provoquer chez les individus les plus vulnérables l’instauration d’un comportement addictif. Une fois encore cette théorie se retrouve chez le modèle animal . En effet, des singes qui ont été exposés à un stress ont une propension plus importante à s’auto-administrerune drogue (de l’alcool en l’occurrence) contrairement aux animaux témoins. La consommation de drogue est ainsi perçue comme une sorte d’automédication pour palier à ces états anxieux ou dépressifs. C’est pourquoi il est très difficile pour une personne dépendante de décrocher sans une aide psychothérapeutique. Mais parfois, la consommation de drogue peut précéder l’apparition du trouble psychiatrique même s’il n’est pas à exclure que le trouble préexistait et qu’il a été exacerbé par la prise de SPA. C’est ce qui en ressort d’études sur le cannabis et del’incidence de la schizophrénie dans les populations consommatrices de cette SPA puisqu’il est apparu qu’un consommateur de cannabis avait plus de chance de développer cette maladie qu’une personne naïve.
Les prédispositions génétiques à l’addiction existent mais les liens avec des gènes particuliers ou traits de l’addiction sont difficiles à mettre en œuvre. En effet, il existe une théorie génétique de la vulnérabilité aux processusaddictifs qui a été mise en avant lors de l’étude des addictions à l’alcool. Les praticiens ont effectivement constaté qu’il existait desfamilles chez qui le risque de dépendance à l’alcool était plus important que chez d’autres.
De nombreuses études ont été effectuées sur ce sujet, en particulier en comparant les jumeaux monozygotes et dizygotes et vont presque toutes dans le même sens : les monozygotes se ressemblent plus, pris deux à deux que les dizygotes en ce qui concerne leur consommation d’alcool. De même, il a été mené des études sur des cohortes de jumeaux par rapport à la consommation de SPA. Ainsi, chez des vrais jumeaux, lorsque l’un consomme de la cocaïne, l’autre fait de même dans 54% des cas alors qu’ils ne sont pas dans les mêmes environnements . Ce taux est beaucoup plus faible chez les faux jumeaux.
La susceptibilité d’une vulnérabilité génétique à la dépendance a orienté les chercheurs vers les variantes génétiques des récepteurs GABA et à la dopamine, principaux médiateurs de la dépendance. Le GABA est normalement un neuromédiateur inhibiteur. Lors de la fixation de
drogues sur les récepteurs, on observe une hyperpolarisation des récepteurs GABA, uneinhibition du relargage de GABA et donc une augmentation de la dopamine libérée, d’où lasensation de plaisir éprouvée (Figure 32).
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Table des matières
Remerciements
I.! Abréviations
II.! Introduction
III.! Contexte, produits, usagers, décès par overdose
A.! Epidémiologie : où en sommes-nous ?
1.! Europe
a.! Cannabis
b.! Opiacés
c.! Cocaïne
d.! Amphétamines
e.! Ecstasy et MDMA
f.! Décès imputables aux substances psychoactives
2.! France
a.! Plusieurs catégories de consommateurs
b.! Cannabis
c.! Opiacés
d.! Cocaïne
e.! Amphétamines
f.! Ecstasy et MDMA
g.! Synthèse
3.! Consommation chez les jeunes
a.! Cannabis
b.! Autres substances illicites
4.! Consommation chez les jeunes en Basse-Normandie
a.! Synthèse
5.! Conclusion
B.! Présentation des différentes SPA
1.! Le cannabis
a.! Usage et intoxication aiguë
2.! Les opiacés
a.! Usage et intoxication aiguë
3.! Les psychostimulants
a.! La cocaïne
b.! Les amphétamines
4.! L’ecstasy ou MDMA
C.! Dépendance et addiction
1.! Définition
a.! Usage
b.! L’usage nocif pour la santé
c.! Dépendance
2.! Neurobiologie
a.! Des mécanismes complexes
b.! Adaptations cellulaires et moléculaires induites par la prise répétée de drogues
c.! Vulnérabilité aux processus addictifs
3.! Impact des SPA sur le système limbique
a.! Le cannabis
b.! Les opiacés
c.! Les psychostimulants
d.! L’ecstasy ou MDMA
D.! Risques inhérents à la consommation de SPA
1.! Syndrome de sevrage : la dépendance physique
2.! La dépendance psychique
3.! Les risques liés au mode d’usage
a.! Héroïne
b.! Cocaïne
c.! Psychostimulants : amphétamines et ecstasy
4.! Le risque d’overdose
E.! Conclusion
IV.! La réduction des risques (RdR) : approche concrète
A.! Les établissements médico-sociaux spécialisés
1.! Les CAARUD
2.! Les CSAPA
3.! Les communautés thérapeutiques (CT)
4.! À l’hôpital
5.! Les salles de consommation à moindre risque (SCMR)
a.! Définition d’une salle de consommation à moindre risque
b.! Les enjeux et résultats des SCMR
c.! Contextes légaux
d.! Les SCMR dans le monde et en France
e.! L’opposition aux « salles de shoot »
f.! Synthèse
B.! Le matériel d’injection
1.! Accès à du matériel stérile
2.! Impact et résultat de la mise à disposition de matériel
C.! Les traitements de substitution
1.! La méthadone
2.! La Buprénorphine Haut Dosage (BHD)
3.! Comparaison et impact des TSO
4.! Limites des TSO
D.! Cas particulier : la grossesse
1.! Risques liés à l’addiction dans un contexte de grossesse
2.! Prise en charge de la femme enceinte
E.! Résultats de la RdR
V.! Conclusion
VI.! Bibliographie