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Sigmund Freud (1856-1939) : la psychanalyse nait de l’hypnose
Né à Freiberg en Moravie, FREUD n’a que trois ans lorsque son père, négociant en textile, dut se réfugier à Vienne après avoir fait faillite. Il engagea des études de médecine, puis se spécialisa dans l’étude du système nerveux. FREUD fut sensibilisé à l’hypnotisme notamment par son ami BREUER qui lui fit le récit du cas de sa célèbre patiente Anna O. , patiente présentant un tableau de “double personnalité“ attifée de divers “symptômes névrotiques“, et soulagée par les séances d’hypnose de BREUER.
FREUD se destinait à devenir spécialiste en neuropathologie, et partit donc à Paris en 1885 afin de suivre quelques mois durant l’enseignement du célèbre Pr CHARCOT. Il fut littéralement fasciné par la pensée et le brio de ce dernier, qui bouleversa les conceptions et desseins de FREUD. Celui-ci délaissa d’ailleurs rapidement ses travaux sur les anomalies morphologiques du cerveau pour s’intéresser plutôt à la psychopathologie. Assistant à certaines expériences réalisées à La Salpêtrière, il sera ainsi en mesure de se convaincre de la réalité des processus inconscients. Les paralysies provoquées sous hypnose, ne correspondant à aucune systématisation neurologique, l’intriguèrent tout particulièrement. En effet CHARCOT pense que les névroses ne sont pas la conséquence de lésions structurales du système nerveux, mais plutôt de traumatismes psychiques. FREUD embrassa cette théorie et assura à Charcot dans Résultats, idées, problèmes de 1890 à 1920 (97) « pour tous les temps la gloire d’être le premier à avoir expliqué l’hystérie ».
De retour à Vienne, il s’installa comme praticien spécialisé en neuropathologie pour des raisons matérielles, et traduisit en Allemand plusieurs textes de CHARCOT dont les Leçons sur les maladies du système nerveux en 1886. Cependant selon L. CHERTOK en 1989 (47) FREUD hésita à faire passer dans sa pratique l’hypnose, ayant à cette époque assez mauvaise presse dans le milieu médical viennois.
Ce n’est que vers fin 1887 qu’il se décida à employer l’hypnotisme, probablement déçu par l’électrothérapie en vogue, après avoir entendu parler des travaux de BERNHEIM et LIEBAULT utilisant l’hypnose dans un but thérapeutique contrairement à La Salpêtrière. Il fut très vite séduit par cette pratique, et dira en 1966 (92) : « … j’ai obtenu toute sorte de succès… » ou encore en 1974 (94) : « le travail au moyen de l’hypnose était fascinant. On éprouvait pour la première fois le sentiment d’avoir surmonté sa propre impuissance… ».
Il traduisit le livre de BERNHEIM en 1888 : “De la suggestion et de ses applications en thérapeutique“.
J. BREUER note en 1895 (30) qu’initialement FREUD utilisait des suggestions directes en état hypnotique, notamment dans le cas d’Emmy Von N.
FREUD utilisa l’hypnose sur l’exemple de BREUER dans la prise en charge de patients psychotraumatisés. Il cherchait à obtenir une libération des affects liés au traumatisme, nommée “abréaction“. L’objectif était ensuite de mettre du sens sur le chaos émotionnel par “catharsis“, tentant de retrouver le traumatisme infantile fondateur responsable des symptômes actuels. L’hypnose est un outil psychothérapeutique facilitant la catharsis.
Or il pensait que la méthode cathartique n’était possible que si le patient plongeait dans une transe profonde somnambulique, état qu’il n’arrivait justement pas à produire chez sa patiente Emmy Von N.
FREUD (95) pris donc le train en 1889 avec sa patiente en direction de Nancy, afin d’y rencontrer BERNHEIM. Il fut impressionné par les praticiens de l’école de Nancy, et dira même : « … je fus témoin des expériences de Bernheim sur les malades de l’hôpital, et c’est là que je reçus les plus fortes impressions relatives à la possibilité de puissants processus psychiques demeurés cependant cachés à la conscience des hommes. »
Cependant BERNHEIM ne parvint guère plus que FREUD à faire entrer la patiente en hypnose profonde, et lui exliqua même qu’il ne retrouvait que rarement cet état au sein de sa clientèle. Malgré LIEBAULT lui signifiant que l’état somnambulique n’était pas forcément indispensable à l’obtention d’effets, FREUD fut tenté d’abandonner la méthode cathartique car il restait convaincu que seule l’hypnose profonde pouvait élargir le champ de la conscience jusqu’aux souvenirs pathogènes.
Pourtant BERNHEIM lui montra par expérience que les amnésies provoquées par hypnose n’étaient qu’apparentes et que l’on pouvait faire revenir certains souvenirs à l’état de veille. FREUD en déduisit qu’il existait des représentations psychiques dont le sujet n’avait pas conscience mais dont il gardait le souvenir dans sa mémoire inconsciente, comme le rapporte P. AIM en 2009 (4). Voici donc l’origine du concept du refoulement.
FREUD se mit donc à pratiquer la “Druckmethode“ consistant à exercer une pression sur le front du patient tout en l’exhortant à former des images à partir des symptômes, et fut assez satisfait de cette méthode lui évitant tout recours au somnambulisme. En effet, il écrira à ce propos en 1895 (30). « J’étais las, après avoir répété cette affirmation et cet ordre : « Vous allez dormir…Dormez ! » de m’entendre répondre sans cesse, dans les degrés légers d’hypnose : « Mais docteur, je ne dors pas ! » »
FREUD s’éloigna donc petit à petit de l’hypnose, abandonna les suggestions visant à produire un hypnotisme complet ainsi que l’induction par confrontation visuelle ou injonction verbale. Il alléguait le caractère aléatoire de l’hypnotisabilité, l’aspect parfois éphémère des guérisons obtenues, et craignait une implication érotique de la relation hypnotiseur hypnotisé.
Puis il renonça au contact physique, ne demandant plus au malade, allongé sur un divan sans contact même visuel afin d’exclure toute influence, de fermer les yeux et de laisser les idées surgir sans aucun filtre, spontanément, comme il l’explique dans ses Essais de Psychanalyse de 1921 (93).
C’est la technique de l’association libre, nécessitant au médecin un état d’attention flottante pour mieux capter l’inconscient du patient, technique encore aujourd’hui centrale de la psychanalyse, qui est donc issue de l’hypnose.
Toutefois le rapport de FREUD avec l’hypnose reste ambigu. Il suffit pour s’en convaincre de lire ce passage écrit en 1895 dans les Etudes sur l’hystérie (30) : « Donc, quand une première tentative (d’induction par injonction de sommeil) n’aboutissait ni au somnambulisme, ni à des modifications somatiques nettes, j’abandonnais en apparence l’hypnose pour n’exiger que la concentration et ordonnais au malade de s’allonger et de fermer les yeux afin d’obtenir celle-ci. Sans doute suis-je parvenu ainsi à obtenir le degré le plus élevé possible d’hypnose. »
Ainsi la création de la psychanalyse par FREUD se présente historiquement comme une évolution d’une pratique hypnotique fondée sur la suggestion à une pratique hypnotique fondée sur le changement d’état de conscience, selon Y. HALFON en 2007 (143).
FREUD approfondit avec BREUER l’idée de “rapport“, terme utilisé par MESMER pour qualifier la relation hypnotique, et inventa la notion de “transfert“, projection inconsciente d’affects du patient sur la personne du thérapeute, mais ne lui étant pas spécifiquement destinés.
L’analyse de ce transfert et la levée des résistances empêchant l’accès à l’inconscient sont les objectifs de la cure analytique.
Quant au conflit opposant l’école de La Salpêtrière et celle de Nancy, Freud n’y prendra guère réellement position, reconnaissant à la fois que l’hypnose ne pouvait se limiter à la seule étude des hystériques mais qu’elle n’était point non plus un traitement universel. Il reprocha à Bernheim de ne pas suffisamment s’exprimer sur l’essence de la suggestion, qui serait censée tout expliquer.
Il entreprit de théoriser l’hypnose, ce que nous verrons un peu plus loin, la comparant à un état amoureux, ou encore à « la formation d’une foule à deux » (96).
L’intérêt persistant de FREUD pour l’hypnose se manifeste par exemple lorsqu’il invita à Vienne en 1924 Franz POLGAR, un jeune médecin ayant acquis une notoriété dans le domaine de l’hypnose, afin de réfléchir sur l’origine de celle-ci selon A. BIOY en 2005 (18).
Ainsi le refus de l’hypnose que l’on trouve aujourd’hui chez certains psychanalystes n’est pas hérité directement de Freud, mais plutôt de certains de ses successeurs d’après HALFON en 2007 (143).
Bien qu’il situa la naissance de l’analyse au jour où il renonça à pratiquer l’hypnose,
jamais FREUD ne dénia sa dette envers la génitrice de la psychanalyse, ni ne chercha à sacrifier dans sa théorisation les marques de fabrique signant les origines de sa découverte, ainsi que l’explique F. ROUSTANG en 2002 (165).
ROUSTANG explique le parcours de FREUD par l’interprétation difficile des résultats qu’il obtenait avec l’hypnose, le conduisant à toujours vouloir sonder plus loin dans le fonctionnement psychique. L’évolution de cette idée princeps de changement par l’hypnose, à celle de la “Druckmethode“ puis d’une cure psychanalytique émane de cette effective curiosité du chercheur. C’est l’origine qu’il recherche en premier, et non la guérison.
En effet FREUD en 1925 (99) dira lui-même découvrant la méthode cathartique , qu’elle « satisfait aussi le désir du savoir du médecin, qui avait tout de même le droit d’apprendre quelque chose de l’origine du phénomène qu’il s’efforçait de supprimer ». Ou encore en 1937 (98) dans l’article Analyse terminable analyse interminable , où FREUD finalement mitigé quant à l’efficacité de la psychanalyse, tente un bilan : « la guérison vient de surcroît ».
Au XXème siècle néanmoins, la psychanalyse acquiert une place prépondérante –le génie de son créateur n’y étant probablement pas étranger, et devient quasiment la seule interprétation valable du psychisme et même des relations humaines en général et de la société, ainsi que le souligne P. AIM en 2009 (4). Nombre de psychothérapies émergeront d’elle. L’hypnose, thérapie finalement solutionniste et non pas toujours explicative, se trouve reléguée au second plan en Europe. Ainsi JUNG la délaisse afin de comprendre comment le processus de guérison intervient. Il s’inquiète même qu’elle puisse atteindre les noyaux psychotiques. LACAN ira jusqu’à l’interdire à ses élèves, dans son discours fondateur de Rome en 1956 comme le rapporte G. BOUSINGEN en 1968 (129).
Et ce malgré cette phrase de FREUD, écrite dans l’un de ses derniers textes en 1937 (98) « L’hypnose semblait être un excellent moyen pour atteindre nos fins ; on sait pourquoi nous avons dû y renoncer. On n’a pas trouvé jusqu’à présent de substitut à l’hypnose. »
VERS L’HYPNOSE CONTEMPORAINE
Au début du XXème siècle l’intérêt porté à l’hypnose se déporta principalement aux Etats-Unis dans le cadre des névroses de guerre.
Si les psychiatres militaires de la Première Guerre Mondiale peinaient à s’entendre sur une nosographie précise des psychotraumatismes, l’hypnose était une méthode thérapeutique répandue. L’américain Thomas SALMON édicta des principes de gestion de soins de guerre, la maladie étant décrite comme secondaire à une auto-suggestion du patient, mécanisme devant être retourné à des fins thérapeutiques en hypnose afin d’obtenir un rapide retour au front.
L’évolution d’une pratique traditionnelle de l’hypnose vers sa pratique actuelle se déroulera principalement sous l’effet de trois facteurs distincts :
. la pratique hypnoanalytique dont Lewis WOLBERG sera le principal représentant, remettant 24 en question l’utilité thérapeutique de la pratique suggestive caractéristique de la fin du XIXème siècle par le soucis de faciliter l’émergence des représentations mentales du sujet,
. le courant des recherches expérimentales sur l’hypnose dont le début se situe dans les années 1960, aboutissant à une remise en cause de nombreuses croyances erronées et d’un certain ésotérisme, puis facilitant des changements fondamentaux sur la manière de concevoir le rôle de l’hypnotiseur et les techniques d’induction,
. le courant thérapeutique initié par Milton ERICKSON et ses élèves vers les années 1970, jouant un rôle déterminant dans la résurgence de l’hypnothérapie, avec une approche nouvelle et originale de la pratique hypnotique.
Lewis Wolberg (1905-1988) et l’hypnoanalyse
L’idée de l’hypnoanalyse est simple : combiner les avantages thérapeutiques de l’hypnose et ceux de la psychanalyse.
En effet un des reproches rapidement fait à la psychanalyse fut celui de son efficacité trop souvent aléatoire, d’ailleurs FREUD lui-même écrira en 1937 (98) qu’elle « a toujours raison en théorie mais pas toujours en pratique ». Ainsi certains s’attelèrent à mener une analyse encore plus profonde, à développer de nouveaux concepts, tandis que d’autres revinrent plutôt aux sources de l’hypnose pour y puiser de nouvelles inspirations .
C’est le cas de Lewis WOLBERG qui fut l’un des premiers à utiliser l’hypnose pour dynamiser la cure analytique. Il publia son livre intitulé Hypnoanalysis en 1945.
L’hypnose lui permettait d’accéder à certains contenus fortement émotionnels, et ainsi de remettre en mouvement des phases de stagnation jalonnant le processus de cure analytique.
Il évoqua une série de difficultés liées certainement à l’utilisation d’une technique d’induction, de mise en hypnose un peu autoritaire, avec usage de l’impératif, comme cela était coutumier depuis longtemps pour les hypnotiseurs. Cela entraînait une suspension provisoire des capacités expressives du sujet . D’où la nécessité selon lui d’un travail actif une fois l’hypnose induite afin de rétablir l’expression libre du sujet et une relation permettant le travail associatif, comme le rapporte HALFON en 2007 (143).
L’hypnose resta employée lors de la Seconde Guerre Mondiale dans le cadre du psychotraumatisme, associée parfois à l’emploi de barbituriques dans la narco-hypnose, mais la méthode cathartique et ses outils hypnothérapeutiques furent mis de côté, comme le 25 souligne M. KAUFMAN en 1947 (120).
La pratique de l’hypnose a désormais basculé principalement vers le Nouveau-Monde. J.P. ZINDEL en 2012 (203) définit les raisons d’une part historiques avec la fuite du nazisme, mais probablement aussi culturelles, l’esprit américain primant parfois plus l’efficacité que la nuance alors qu’en Europe, une certaine tendance à l’intellectualisation eût pu se faire parfois au détriment de la pratique.
Nous retrouvons donc J.G. WATKINS, professeur de psychologie à Montana, qui acquit une véritable expérience dans le traitement des névroses de guerre de la Deuxième Guerre Mondiale et étudia de près les états dissociatifs. En effet si l’hypnose se développa aux Etats-Unis comme outil thérapeutique dans le cadre des pathologies post-traumatiques, elle suscita aussi certains débats comme celui des cas de personnalités multiples.
L’abord de WATKINS diffèrait de celui de WOLBERG par une utilisation plus systématique de l’hypnose, dans laquelle les conceptions psychanalytiques servaient plus de repères pour travailler avec l’hypnose que de trame de la thérapie.
Erika FROMM, autre célèbre pionnière de l’hypnoanalyse, partant des théories de la psychologie du moi, s’intéressa entre autre à intégrer les concepts d’activité et de passivité du moi dans le travail hypnotique. Elle utilisa ensuite l’hypnoanalyse dans le cas de troubles de la personnalité de type état limite.
Notons aussi le nom de G. GARDNER, tendant pareillement vers une approche permettant de mieux adapter la situation hypnotique au moyen de la technique analytique.
Vinrent d’autres mérites comme ceux de KUBIE et MARGOLIN (1944), KLINE (1958), GILL ET BRENMAN (1959) , ayant apporté de passionnantes contributions à la théorie psychanalytique de l’hypnose, telle que la vision de l’hypnose en tant que “régression au service du moi“ ou “perméabilisation des limites du moi“.
Nous avons néanmoins en Europe L. CHERTOK (1979) dont nous parlerons plus tard, puis J. PALACI (1991) qui plaideront en faveur de cette pratique thérapeutique tout en oscillant entre une approche strictement analytique et une approche hypnosuggestive.
De même signalons le français F. ROUSTANG, ainsi que les allemands KRETSCHMER et LANGEN ayant, chacun à sa manière, jeté des ponts entre l’hypnose et la psychanalyse (143). Il faudra toutefois attendre quelques années pour que des thérapeutes tels que les Docteurs E. COLLOT, auteur de l’encyclopédie médico-chirurgicale, et J.P. ZINDEL, actuel président de la société médicale suisse d’hypnose, développent et enseignent une technique véritablement hypnoanalytique.
Cette approche est certainement l’une des plus employée par les hypnothérapeutes actuels, bien que son expression reste relativement discrète.
La recherche sur l’hypnose
Aux Etats-Unis, la pratique de l’hypnose se développa dès la première moitié du XXème siècle avec notamment de nombreuses recherches et expérimentations, au contraire d’une pratique devenant plus confidentielle en France.
Le débat opposant CHARCOT et BERNHEIM au sujet de la nature de l’hypnose : état particulier ou suggestibilité, sera repris par les expérimentateurs américains et ne trouvera d’autre conclusion qu’une querelle entre étatistes et non-étatistes. Cette dernière ne sera dépassée que grâce à l’application thérapeutique développée par M. ERICKSON.
Citons tout d’abord Clark HULL (1884-1952) , psychologue comportementaliste qui lança en 1933 le premier programme de recherche à grande échelle sur l’hypnose, inaugurant par ses travaux à l’Université de Yale l’ère moderne de l’étude de cette discipline, d’après P. AIM en 2009 (4).
Il défendit l’idée que l’état hypnotique est une activité mentale normale, et fut l’un des premiers à appliquer les méthodes expérimentales et statistiques de la psychologie moderne à l’étude de l’hypnose et de la suggestibilité. ERICKSON fut l’un de ses élèves avant de s’éloigner de certaines de ses positions.
A cette époque la perspective de recherche fut plutôt comportementaliste, et certains comme T.R. SARBIN en 1972 (170) avancèrent que l’hypnose correspondait à une sorte de jeu de rôle consenti de la part de l’hypnotisé, se plaçant dans une position psycho-sociologique lui permettant de se conformer aux suggestions. N’ayant à l’époque aucun corrélat physiologique à l’hypnose, il adopta la position des non-étatistes. Cette théorie fut à l’origine de certaines recherches concluant qu’il était impossible en ce temps de discerner des sujets simulant l’hypnose de ceux réellement en état hypnotique, même par des experts.
M.T. ORNE mit cependant en évidence un certain nombre de critères cliniques permettant de faire cette différence : congruence du comportement , réaction en l’absence de l’hypnotiseur comme la fin de transe progressive pour l’hypnotisé mais brutale pour le simulateur, fonctionnement logique durant la transe, efficacité des suggestions post-hypnotiques.
Utilisant le paradigme de la simulation, il mit en évidence des comportements spécifiques de l’hypnose, notamment l’absence d’efficience de la logique habituelle. Il y a donc pour M.T. ORNE en 1959 (151) des modifications du fonctionnement mental en état hypnotique.
De plus les expériences de ORNE permirent de montrer à quel point les modèles fournis par la situation influent sur les comportements du sujet en hypnose mais aussi dans toutes les expériences en sciences humaines.
BARBER (1927-2005) tout comme SPANOS (1942-1994) ne croyaient pas à l’existence d’un véritable état hypnotique, affirmant que tout ce que l’on pouvait faire pendant ce soi-disant état était faisable sans, avec une motivation et des capacités cognitives adaptées. Selon SPANOS les phénomènes observables en hypnose étaient explicables par différentes données psychologiques et sociologiques, tel que le rapporte Y. HALFON (143).
HILGARD (1904-2001) quant à lui, anima une unité de recherche au sein de l’université de Stanford et développa de nombreux programmes de recherches jusqu’à son décès, il y a quelques années seulement. Nous lui devons notamment l’échelle d’hypnotisabilité de Stanford, demeurant un outil de référence pour les études sur l’hypnose même si elles sont peu utiles en pratique pour les thérapeutes.
Très inspiré par JANET, il considérait l’état hypnotique comme un état de conscience particulier résultant d’une capacité normale, présente chez chacun dès la naissance et inhibée de façon variable au cours du développement. Opposé à BARBER, il ne confondait donc pas la suggestibilité présente à l’état de veille avec l’hypnose.
I. STENGERS rapporta entre autre en 1998 (185) certaines expériences sur l’analgésie avec des sujets hypnotisés étant leurs propres témoins dans des groupes contrôle à l’état de veille, afin de démontrer les différences entre les deux états. La motivation et l’imagination des sujets contrôlées, l’état hypnotique provoque une modification de la suggestibilité et ne peut donc être réduit à celle-ci.
HILGARD proposa le concept de “néodissociation“ , inspiré de la désagrégation mentale de JANET, expliquant que certaines informations apparemment perçues par le patient ne se retrouvaient pas accessibles à la conscience par un mécanisme de dissociation. Nous développerons par la suite sa théorie qu’il présenta en 1977. Il fournit en effet un modèle explicatif du fonctionnement cognitif normal qui serait le fruit d’un système exécutif coordonnant l’action de multiples sous systèmes de contrôle cognitif, en s’adaptant à la réalité. Il définit ainsi l’action de l’hypnose comme « des sous systèmes de contrôle temporairement dissociés du contrôle exécutif conscient, activés directement par la suggestion », cité par J. GODIN 1991 (102).
HILGARD suggère l’existence d’un “observateur caché“ pouvant ressentir et rapporter les stimuli douloureux chez un sujet en analgésie hypnotique, qui présentera pourtant une amnésie de la séance d’hypnose. Ce résultat indique pour lui qu’une séparation de la conscience peut être effectuée grâce à cette barrière mnésique divisant la perception en plusieurs canaux indépendants. Cette théorie basée sur l’empirisme fut par la suite critiquée, mais eut tout de même le mérite de tenter d’expliquer un phénomène central de l’hypnose, perçu alors de manière subjective.
Après plus d’un demi-siècle de recherches expérimentales sur la nature de l’hypnose, les étatistes et non étatistes se retrouvèrent sur plusieurs points, notamment sur le fait que l’hypnose est autre chose qu’un simple comportement compliant de la part du sujet, ou encore sur les différentes modifications physiologiques produites par les suggestions.
Depuis quelques années, le débat concernant la réalité de l’état hypnotique s’est déplacé du côté de la neurophysiologie qui, comme nous l’évoquerons plus tard, est actuellement en mesure d’objectiver la réalité de cet état.
Aux U.S.A. et au Canada, de nombreux chercheurs travaillent sur le sujet et en particulier sur ses implications cognitives et sociales. Citons parmi les principaux chercheurs contemporains J. KHILSTRÖM, S.J. LYNN, J.R. LAURENCE, E.J. CRAWFORD…
En Union Soviétique PAVLOV (1849-1936) et ses collaborateurs s’intéressèrent à l’hypnose dans l’élaboration de leur concept du conditionnement. Ils théorisèrent l’hypnose à partir de l’expérimentation animale. En effet le chien endormi qui a été préalablement conditionné avec un signal sonore associé à la nourriture, ne se réveille qu’à ce même signal sans pourtant réagir aux autres sons. Ainsi pour PAVLOV le cortex du chien est inhibé mais persistent certaines zones cérébrales vigiles (143).
Il en serait donc de même pour le cortex de l’hypnotisé maintenant certaines zones actives, qui permettent de garder le contact avec l’hypnotiseur. Seulement chez l’homme le stimulus signal est la parole, considéré comme pouvant être aussi efficace que le stimulus physique chez l’animal. PAVLOV ne reconnaissait pas l’existence de l’inconscient mais admit cependant que le stimulus par la parole ne pouvait être assimilable au stimulus physique en raison d’un vécu particulier à chaque être humain. Il poursuivit facilement ses recherches même après l’arrivée du bolchévisme car l’hypnose était considérée comme une psychothérapie à base physiologique.
En Allemagne, J. Heinrich SCHULTZ, psychanalyste et disciple de FREUD et élève d’Oskar VOGT, pionnier de l’autohypnose, inventa le “training autogène“ en 1912, méthode de relaxation permettant aux patients d’apprendre à lutter contre leur stress, et toujours utilisée aujourd’hui.
En France il faudra attendre les années 1950 pour voir réapparaître des publications traitant de l’hypnose , mais c’est principalement à Léon CHERTOK que revient le mérite d’avoir donné un nouvel essor à l’hypnose en France. Nous traiterons de cela un peu plus loin.
Ainsi une véritable réhabilitation de l’hypnose s’est produite notamment aux U.S.A. , à l’occasion des deux guerres mondiales, dans le champ des pathologies post-traumatiques. Plus qu’un objet de recherche, l’hypnose est redevenue un véritable outil thérapeutique intégré au patrimoine médical, et ce notamment grâce à ERICKSON.
L’intérêt pour cet outil thérapeutique se généralise progressivement, et son utilisation en psychothérapie s’étend quasiment à l’ensemble des indications. Son utilisation dans le domaine médical touche le traitement des douleurs aiguës et chroniques, le traitement des brûlures ainsi que de nombreux troubles psychosomatiques comme l’asthme, l’eczéma, les verrues…
Outre ces indications, l’hypnose peut également être utilisée sur un mode préventif dans le cadre de certaines difficultés émotionnelles, motivationnelles ou encore de troubles anxieux comme la phobie sociale.
L’hypnose permet encore l’apprentissage par chacun de techniques auto-hypnotiques susceptibles de permettre d’agir sur différents aspects physiques ou psychiques.
Nous aurons l’occasion de revenir sur l’apport de la recherche à plusieurs reprises, mais il est important de noter que si elle pose parfois certains problèmes méthodologiques, elle a considérablement modifié le regard porté par la communauté scientifique sur les phénomènes hypnotiques. En effet, de nombreuses publications ont à l’heure actuelle exploré différents axes de recherche, démontrant par là même que l’hypnose était un phénomène tout à fait susceptible de se plier à une approche scientifique.
Cela contribue en outre à recréditer l’hypnose aux yeux de la société, la libérant progressivement de son carcan d’idées reçues ou d’ésotérisme.
Milton Hyland Erickson (1901-1980)
Milton H. ERICKSON, psychiatre américain, va jouer un rôle déterminant dans l’évolution des pratiques hypnotiques et dans la résurgence de l’hypnothérapie. Pour comprendre sa façon d’aborder l’hypnose, il semble nécessaire d’évoquer son histoire personnelle, ayant forgé sa personnalité hors du commun et considérablement influencé son œuvre.
Né en 1901 dans le Névada, ERICKSON était atteint d’une dyschromatopsie rare, dont la conséquence est que la seule couleur qui lui soit agréable est le violet. Il souffrait de plus d’une amusie ou agnosie musicale rendant l’expression et la compréhension discriminante des sons musicaux difficiles.
E.L. ROSSI souligne en 1980 (75) qu’ ERICKSON était donc dès son plus jeune âge confronté à une perception du monde différente des autres, ce qui l’amènera à se questionner sur la relativité des cadres de références des êtres humains.
Sa surdité l’invita à mieux s’écouter lui-même et à trouver son propre rythme : le pouls, et la respiration. Celle-ci devint pour lui un moyen de suivre le rythme des autres. Nous verrons qu’effectivement la prise en compte du rythme respiratoire du sujet renforce considérablement sa collaboration avec le thérapeute.
ERICKSON fut scolarisé, c’est alors que l’on se rendit compte qu’il souffrait d’un autre handicap : la dyslexie. On le vit alors des heures durant s’attacher à lire le dictionnaire –d’où le surnom de “Monsieur Dictionnaire“, et se passionner pour la langue et la sémantique. Le voici donc commençant à jouer sur les différents niveaux d’abstraction de la communication, désignant plusieurs choses avec un seul mot, disant simultanément une chose et son contraire, ou encore parlant d’un sujet tout en attirant l’attention de son interlocuteur sur une autre. C’est ce que l’on nommera “la communication indirecte multi-niveaux“ ; or, il se trouve que ce mode de communication facilite précisément l’induction hypnotique.
Enfant, il guérira subitement de sa dyslexie dans ce qu’il interprétera plus tard comme une expérience auto-hypnotique spontanée, une sorte de “flash visuel“ l’ayant aidé à comprendre l’orientation nécessaire du “3“ et du “m“, alors qu’il était en leçon avec son professeur, 31 d’après ERICKSON et ROSSI en 1977 (74). Il en tirera trois leçons a posteriori : l’hypnose est un phénomène se produisant dans la vie quotidienne ; elle facilite le changement ; et la compréhension de la cause n’est pas toujours nécessaire à l’obtention de la guérison.
En 1919 à l’âge de 17 ans, Milton H. ERICKSON fut frappé d’une forme grave de poliomyélite aiguë antérieure. Il s’agit d’une maladie sans traitement évoluant en plusieurs stades, avec une phase d’invasion virale puis d’extension des paralysies, parfois mortelle, ou bien entraînant après récupération un syndrome post-poliomyélitique de gravité et de survenue variables, plusieurs dizaines d’années après la phase aiguë.
Alité dans la pièce voisine, Erickson entendit les médecins expliquer à sa mère qu’il serait mort le lendemain matin.
Plein de colère et de rage de vivre, il demanda à sa mère de déplacer son lit afin de pouvoir observer par la fenêtre un dernier coucher de soleil. Le soir venu, il concentra toute son attention sur le soleil, et dans une attention sélective il exclut consciemment tous les obstacles du paysage comme le rocher ou la barrière. Il tomba dans un coma durant trois jours, puis se réveilla, cependant paralysé totalement au niveau moteur et sensitif. Seules ses capacités à bouger les yeux et à entendre n’étaient pas affectées.
C’est alors qu’ERICKSON se mit à observer son entourage et son environnement à travers les informations sensorielles lui parvenant encore, décelant par exemple l’importance de la communication non verbale. Plutôt que d’attendre une récupération spontanée, il développa certains exercices mentaux ne relevant pas simplement de l’imagination, comme par exemple des exercices de réactivation de souvenirs sensoriels remontant à l’époque où il était en bonne santé. Un jour qu’il était assis sur un fauteuil à bascule l’envie de regarder par la fenêtre trop loin située le prit, et le voici qui se mit à se représenter mentalement l’image du balancement. Grande fut sa surprise quand il s’aperçut que son fauteuil se balançait imperceptiblement, et qu’il s’était rapproché de la fenêtre. La représentation mentale avait donc pu influencer directement sa motricité, selon ROSSI (74).
Ayant une petite sœur à l’âge de la marche, il l’observa minutieusement franchir les différentes étapes de l’apprentissage de la marche, se les répétant mentalement afin de réapprendre lui-même à marcher et de recouvrer l’usage de ses membres.
De cet évènement de vie difficile, ERICKSON sut tirer parti et développer , ainsi qu’au soir du coucher de soleil, des stratégies mentales qu’il décodera comme autohypnotiques, l’ayant aidé à mobiliser ses propres ressources afin de survivre et de progresser dans le processus de guérison. Grâce à ces expériences précoces Erickson saura par la suite inventer des approches extrêmement originales permettant différents réapprentissages de la sensibilité et de la motricité, et d’amplifier les capacités hypnotiques de la personne. En effet, il perçoit l’hypnose comme un moyen donné à la personne de potentialiser ses ressources pour changer.
En 1921 il était capable de marcher avec des béquilles et s’inscrivit parallèlement en médecine et en psychologie à l’Université du Wisconsin, ayant du renoncer à devenir fermier. Il y rencontra Clark L. HULL, un des pères fondateurs de la psychologie expérimentale et des théories de l’apprentissage aux Etats-Unis.
Séduit par la personnalité d’ERICKSON, celui-ci l’invita à participer à ses séminaires réputés sur l’hypnose. Ainsi ERICKSON put mettre des mots sur son vécu autodidacte : autohypnose, processus idéomoteurs, hallucination… HULL lui permit de commencer à pratiquer l’hypnose, ce qu’il fit au point que l’on le surnommait désormais “Monsieur Hypnose“. HULL appliquait une méthodologie expérimentale stricte, et prit parti en faveur de l’école deNancy, la plupart de ses expériences reprenant le thème de la suggestibilité ainsi que le note L. CHERTOK en 1984 (48).
Cependant pour HULL, l’opérateur prend une place plus importante en hypnose que les processus comportementaux internes, selon ERICKSON en 1980 (75). Il cherchait à mettre en place un protocole universel, standardisé d’hypnose applicable à tous les individus. ERICKSON critiqua cela en démontrant le paradoxe de cette recherche, car l’hypnose devait selon lui tenir compte et s’exprimer à travers l’individualité de chacun.
Il s’éloigna donc de HULL, obtint son doctorat en médecine en 1928 et se spécialisa en psychiatrie. Il travaillera dans l’Université du Wisconsin, puis à Rhode Island, et enfin dans le Massachussetts en 1930. Durant ces années, certains services hostiles à l’hypnose lui interdisaient de la pratiquer. ERICKSON contourna cette résistance en développant alors certaines techniques de communication d’allure non hypnotiques.
A 33 ans il devient Professeur de Psychiatrie et s’installe dans le Michigan, où il put officiellement reprendre la recherche fondamentale sur les phénomènes psychologiques et l’hypnose. C’est ici qu’il réalisera la plupart de ses expériences sur l’hypnose.
Pour M. H. ERICKSON l’inconscient est tout ce qui n’est pas conscient, c’est le dépositaire des apprentissages de la vie du patient, une instance positive et créatrice où, avec l’aide du thérapeute, le patient peut trouver de nouvelles solutions plus souples et plus adaptées que la conduite symptomatique actuelle, comme l’explique D. MICHAUX en 2007 (143). Cela vient briser, dans une époque très psychanalytique, l’image négative encore souvent répandue d’un inconscient uniquement source de souffrances ou de symptômes liés aux souvenirs refoulés.
En opposition avec les notions classiques d’emprise et de manipulation rattachées à l’hypnose, il prouve que l’état hypnotique permet d’ouvrir un espace de plus grande liberté. Il permet d’accéder à ses propres ressources inconscientes afin d’engendrer les changements dont on a besoin.
De plus, ERICKSON s’éloigna des suggestions assénées de manière autoritaire visant le symptôme, comme des tentatives de « greffe psychique » du changement. D’ailleurs nombre de chercheurs pensent actuellement qu’il faut remettre en question cette notion de suggestion, toujours rattachée à l’hypnose.
ERICKSON développa des suggestions indirectes et non pas directes, réalisées de manière non autoritaires, mais permissives.
Le thérapeute sait que la personne possède les ressources nécessaires au changement, et il sait utiliser le langage du patient pour lui permettre d’y accéder.
Il imagina des techniques extrêmement variées et parfois inattendues afin de contourner les résistances du patient et d’obtenir l’effet recherché. Par exemple pour un sujet ne répondant pas aux suggestions classiques de diminution douloureuse, l’on pourra utiliser la technique dite de distorsion du temps afin d’obtenir une diminution suggérée du temps d’exposition à la douleur.
En mai 1942 ERICKSON fut invité à New-York par le psychanalyste et neurologue KUBIE dans le cadre d’une conférence traitant de l’inhibition cérébrale. Elle était organisée par le directeur médical de la fondation Macy et traitait principalement de l’hypnose et des réflexes conditionnés. Y participaient le neuropsychiatre et mathématicien McCULLOCH, le neurophysiologiste ROSENBLUETH, Gregory BATESON et Margaret MEAD. ERICKSON et Howard LIDDELL, spécialiste du conditionnement animal, animaient principalement le débat.
Cette conférence fut à l’origine de la naissance de la cybernétique, science des systèmes autorégulés étudiant et modélisant les interactions entre les différents éléments d’un système vivant ou physique (75).
A 47 ans il quitta pour raisons de santé le Michigan afin de s’installer à Phoenix dans le désert de l’Arizona, et entama une pratique libérale, renonçant définitivement à toute pratique hospitalière.
Dans cette période d’après guerre où la psychanalyse était encore très présente, ses nombreux succès thérapeutiques intriguèrent et, non seulement les patients vinrent de plus en plus loin mais aussi de nombreux professionnels de santé tel des psychiatres, anesthésistes, dentistes, etc., afin de comprendre l’origine de ses succès. ERICKSON était très demandé et continuait son travail d’enseignement avec notamment des séminaires donnés à travers tous les Etats-Unis.
Il contribua à la création de la Society for Clinical and Experimental Hypnosis.
En 1952, à l’âge de 51 ans, il se trouva de nouveau paralysé par le syndrome post poliomyélitique, comme le souligne ROSSI en 1980 (75). Il perdra l’usage de ses jambes et d’un bras, et peu à peu ne quittera plus sa chaise roulante. Les muscles phonatoires seront également touchés. Tout le reste de sa vie il sera amené à simplifier ses techniques du fait de ces difficultés.
En 1953 ERICKSON organisa un séminaire sur l’hypnose dans la région de Palo Alto. L’anthropologue BATESON y invita Jay HALEY, qui participa à son programme de recherche sur l’étude de la communication et désireux de rencontrer ERICKSON. De 1954 à 1960, HALEY et John WEAKLAND passeront de longues heures chez lui à Phoenix à l’observer, filmer les séances avec des patients, et à discuter sur la nature de l’hypnose. Ces discussions seront reprises régulièrement notamment avec BATESON, et c’est sur ces bases que naîtra l’école de Palo Alto, école renommée de communication à l’origine aussi des thérapies familiales et systémiques.
En 1957 ERICKSON fonda l’American Society of Clinical Hypnosis en vue de proposer une approche plus ciblée sur les spécificités de la transe et de son induction.
Il dirigera pendant dix ans l’American Journal of Clinical Hypnosis, revue scientifique d’hypnose faisant référence encore aujourd’hui.
Jay HALEY publia en 1973 le livre “Un thérapeute hors du commun“ qui dévoila ERICKSON au grand public et achèvera d’établir sa renommée internationale.
Comptons, parmi ses derniers élèves, ROSSI qui s’employa à décoder la “boîte à outils“ de la communication indirecte d’ERICKSON, ROSEN ou encore ZEIG qui dirigent encore aujourd’hui la fondation Erickson.
ERICKSON mourut le 25 Mars 1980 à l’âge de 79 ans, six mois avant le premier Congrès International lui étant consacré.
Son apport est tellement fondamental qu’aujourd’hui la plupart des hypnothérapeutes font référence à son œuvre. Il donna un nouvel essor à l’hypnose, la faisant entrer dans le champ de la psychothérapie et la modernisant. En effet, son approche innovante révolutionna la manière de pratiquer l’hypnose.
Il se situe de plus au carrefour de différentes approches existant en psychothérapie comme l’école de Palo Alto, les thérapies systémiques, stratégiques et familiales et la programmation neurolinguistique. Tous les tenants de ces approches font référence à son œuvre.
La réintroduction de l’hypnose en France
L’hypnose a connu en France à la fin du XIXème siècle un vif succès, de rayonnement international, notamment avec le débat opposant l’école de CHARCOT et celle de BERNHEIM. Plusieurs grands congrès furent organisés, différentes revues créées, regroupant les grands noms de la psychiatrie et de la psychologie.
Cependant cette pratique connaîtra, peu après la mort de CHARCOT, un vif déclin en France. Citons à ce propos PIERRE JANET en 1923 (116) : « […] la décadence de l’hypnotisme n’a pas grande signification, elle est déterminée par des causes accidentelles, des regrets et des déceptions après des enthousiasmes irréfléchis ; elle n’est qu’un accident momentané dans l’histoire du somnambulisme provoqué et dans l’histoire de la psychothérapie. »
Ce déclin rapide, encore mal expliqué, semble avoir résulté principalement de deux causes d’après D. MICHAUX en 2007 (143) : les théories de BERNHEIM, qui l’emportèrent sur celles de CHARCOT, expliquaient l’hypnotisme par la suggestion ce qui diminua le crédit que put lui porter la communauté scientifique. En effet la suggestion renvoie l’hypnose du côté du subjectif et de l’imagination, ce qui augmente donc le risque d’inauthenticité ; de plus la tendance du moment à la survalorisation de la puissance suggestive la fit invoquée à l’époque comme excuse dans la défense de certains criminels affirmant avoir été hypnotisés pour commettre leur crimes. Si la justice ne reçut pas ce type d’accusations, cela contribua tout de même à jeter un certain discrédit sur la pratique de l’hypnose.
Cette mise à l’écart durera en France pratiquement un siècle. Seul JANET et quelques thérapeutes isolés continuèrent d’exercer l’hypnose.
L’introduction progressive de la psychanalyse en France ne se fit que vers les années 1910, il est donc inexact de lui attribuer le déclin de cette pratique. Dans la deuxième moitié du XXème siècle la psychanalyse adopta cependant une position parfois différente, et que FREUD n’avait pas choisie. En effet si FREUD pensait avoir découvert avec la psychanalyse un outil plus performant, jamais il ne nia l’intérêt thérapeutique de l’hypnose. Cette négation est donc beaucoup plus récente et s’est surtout développée comme une réaction de défense envers un éventuel réexamen de la portée thérapeutique de l’hypnose.
A partir des années 1950, ce fut essentiellement Léon CHERTOK (1911-1991), psychiatre de formation psychanalytique, qui donna en France un nouvel élan à la pratique de l’hypnose et qui prit sa défense dans le monde médical.
Alors qu’il était assistant à l’hôpital psychiatrique de Villejuif, au centre de médecine psychosomatique, il décida d’entreprendre l’étude du processus hypnotique après avoir rencontré un franc succès thérapeutique grâce à lui. En effet il l’utilisa sans grande conviction et plutôt par hasard chez une patiente ayant totalement perdu le souvenir de ses douze dernières années de vie, et qui après une brève séance, recouvra totalement la mémoire. De formation analytique, il enfreignit cependant l’interdit de son maître et analyste Jacques LACAN, qui lui donna vraisemblablement la réplique plus tard dans son fameux discours de Rome. Afin de saisir les processus psychophysiologiques ayant été à l’œuvre dans la guérison de sa patiente, CHERTOK s’intéressa aux expériences menées à l’étranger puis quitta l’hôpital psychiatrique pour créer un nouveau département de médecine psychosomatique à l’Institut de Psychiatrie de La Rochefoucauld.
Il pratiquait l’hypnose de manière classique, directive et directe. Il voyait dans la relation hypnotique la création d’un lien affectif archaïque et développa selon le modèle éthologique le concept d’attachement. Notons que l’éthologie correspond à l’étude des comportements communs à une espèce, indépendants de l’apprentissage. Dans cette perspective émergeait clairement selon lui le caractère non sexuel de l’hypnose, qui déconcertait tellement FREUD. Si ses recherches se poursuivirent dans un contexte thérapeutique nettement hostile, il ne cessa de présenter son combat comme au service d’une psychanalyse devant pour survivre intégrer la condition hypnotique.
Entouré de psychologues expérimentaux et de quelques psychanalystes, il créa en 1972 le Centre Dejerine, structure de recherche dont il confia la responsabilité à D. MICHAUX.
Ce dernier, après un séjour d’étude aux USA dans différents laboratoires de recherche, y conduisit diverses expériences, avec ses confrères psychologues PEUCHMAUR et BLEIRAD, sur les relations entre l’hypnose et la suggestion, la mémorisation, la forme de communication, l’analgésie ou les effets physiologiques de l’hypnose, entre autres.
Malgré ce travail de recherche et les rencontres scientifiques qu’organisait très régulièrement L. CHERTOK avec les mondes de la psychanalyse, de la psychologie ou encore des sciences en général, il faudra attendre encore des années avant que la réhabilitation de l’hypnose comme véritable outil thérapeutique s’opère.
Vers la fin des années 1970, un psychanalyste nommé François ROUSTANG se forma à l’hypnose et l’intégra dans sa pratique. Il s’éloigna peu à peu de l’école analytique, et s’attacha à décrire les différentes étapes de l’hypnose ainsi qu’à développer de nouveaux concepts dans différents ouvrages, comme celui d’état “d’éveil paradoxal“.
Reconsidérant la place du thérapeute ainsi que celle du corps dans la thérapie, travaillant la notion de changement rendu possible par le “non-vouloir“, encore appelé aujourd’hui le “lâcher-prise“, François ROUSTANG est un des plus brillants penseurs de l’hypnose dans le monde francophone actuel, comme le rapporte J. BENHAIEM en 2009 (12).
Dans les années 1980, la création de deux formations proposées d’une part par L. CHERTOK et D. MICHAUX, et d’autre part par les psychiatres ericksonniens J. GODIN et A. MALAREVICZ, ont eu un rôle d’entraînement important pour les thérapeutes et ont permis ce regain d’intérêt pour l’hypnose perceptible tant chez certains médias d’orientation médicale que chez le grand public. La diversité des pratiques proposées, de l’hypnoanalyse à l’hypnose ericksonnienne, l’application dans les nombreux aspects du traitement de la douleur et des traumatismes et, depuis quelques années, son utilisation comme outil de concentration et de gestion émotionnelle ont permis aux thérapeutes et patients de juger de l’intérêt de ces pratiques.
Notons le travail considérable effectué par le Dr FAYMONVILLE au CHU de Liège dans le traitement de la douleur, dans le cadre de ce qu’elle appela l’hypnosédation, ayant permis de réaliser de nombreuses interventions chirurgicales nécessitant jusqu’alors une anesthésie générale.
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE I – HISTOIRE DE L’HYPNOSE
A\ L’ANTIQUITE : AUX ORIGINES DE L’HYPNOSE
1) Le papyrus d’Ebers
2) Dans la Grèce antique
3) Chez les hébreux
B\ DU MOYEN-AGE AUX LUMIERES
1) Alexandre de Tralles
2) Maïmonide
3) Saint Thomas d’Aquin ( 1225-1274)
4) Paracelse (1493-1541)
C\ DU MAGNETISME ANIMAL AU SOMMEIL LUCIDE
1) Franz Anton Mesmer (1734-1815)
2) Armand Marie Jacques de Chastenet de Puységur (1751-1825)
D\ L’AVENEMENT DE L’HYPNOTISME
1) José Custodio de Faria (1755-1819)
2) Alexandre Bertrand (1795-1831)
3) James Braid (1795-1860)
4) Ambroise Auguste Liébeault (1823-1904)
5) Jean Martin Charcot (1825-1893)
6) Hippolyte Bernheim (1840-1919)
7) Pierre Janet (1859-1947)
8) Sigmund Freud (1856-1939) : la psychanalyse nait de l’hypnose
E\ VERS L’HYPNOSE CONTEMPORAINE
1) Lewis Wolberg (1905-1988) et l’hypnoanalyse
2) La recherche sur l’hypnose
3) Milton Hyland Erickson (1901-1980)
4) La réintroduction de l’hypnose en France
5) Hypnose et thérapies brèves
5.1. Milton H. Erickson
5.2. L’école de Palo Alto
5.3. La thérapie orientée vers les solutions
5.4. La Thérapie Cognitivo-Comportementale ou TCC
5.5. La programmation neuro-linguistique ou PNL
5.6. L’Eye Movement Desensitization and Reprocessing ou EMDR
5.7. Autres thérapies brèves
PARTIE II – ACTUALITES DE L’HYPNOSE MEDICALE
A\ THEORIES EXPLICATIVES DE L’HYPNOSE
1) La théorie psychosociale
2) Théories d’inspiration psychanalytique
2.1. Freud : l’hypnose comme régression archaïque
2.2. Gill et Brenman : une régression au service du moi
3) Janet et la dissociation
4) Hilgard et la théorie de la néodissociation
B\ NEUROPHYSIOLOGIE DE L’HYPNOSE
1) Lien hypnose et sommeil
2) Lien hypnose et veille
2.1. L’Electroencéphalogramme
2.1.1. Relations ondes alpha et hypnotisabilité
2.1.2. Relations ondes thêta et hypnotisabilité
2.1.3. Les ondes bêta
2.1.4. Les ondes gamma
2.1.5. Différences statistiques dans l’ensemble du spectre EEG
2.2. Analyse des potentiels évoqués liés à la suggestion hypnotique
2.3. Topographie cérébrale
2.3.1. Différence entre les deux hémisphères
2.3.2. Les lobes frontaux
2.3.3. Les données de l’imagerie cérébrale fonctionnelle
2.3.3.1. L’analgésie hypnotique
2.3.3.2. Effet des suggestions hypnotiques
2.3.3.3. Evocation de souvenirs
2.3.3.4. Lévitation du bras
C\ TECHNIQUES ET PROCESSUS HYPNOTIQUES
1) Définitions
1.1. Définition d’André Weitzenhoffer de 1988 (77)
1.2. Définition de l’Association Médicale Britannique de 1955
1.3. Définition de Michel Kérouac de 1996 (77)
1.4. Définition de L’Encyclopaedia Britannica de 1999
1.5. Définitions de Milton Erickson de 1980 (75)
2) Induction hypnotique
2.1. La suggestion traditionnelle
2.2. La révolution et l’apport ericksonien
2.3. La pratique contemporaine de l’induction hypnotique
2.3.1. La fixation de l’attention
2.3.2. Induction extérieur/intérieur
2.3.3. L’évocation d’un souvenir agréable
2.3.4. La fixation de la main à hauteur du visage
2.3.5. La catalepsie ou lévitation de la main
3) La phase de travail pendant la transe
3.1. Fonctionnement inconscient
3.2. Le langage non verbal
3.3. Le langage figuratif
3.4. Le langage dissociatif
3.5. L’ajustement
3.6. La réponse minimaliste du sujet
3.7. La rhétorique hypnotique
3.7.1. La grammaire hypnotique
3.7.1.1. Les pronoms personnels
3.7.1.2. Les temps de conjugaison
3.7.1.3. La négation
3.7.1.4. Les questions
3.7.1.5. La suggestion composée
3.7.1.6. La suggestion implicite
3.7.1.7. La suggestion post-hypnotique
3.7.2. Les truismes et la séquence d’acceptation
3.7.2.2. La séquence d’acceptation
3.8. La construction des suggestions
3.8.1. Les suggestions directes
3.8.2. Les suggestions indirectes
3.8.3. La confusion
3.8.4. L’alternative illusoire ou le double lien
3.8.5. Le “comme si“
4) Comportements hypnotiques
4.1. Comportements spontanés
4.1.1. Indices corporels
4.1.2. Indices psychologiques
4.2. Comportements suggérés ou phénomènes hypnotiques
4.2.1. Effets sensitivo-moteurs
4.2.2. Effets mnésiques et idéationnels
4.3. Profondeur et mesure de l’hypnose
5) La fin de la séance
PARTIE III – HYPNOSE ET PSYCHOTRAUMATISME
A/ PSYCHOTRAUMATISME ET ETAT DE STRESS AIGU
1) Le psychotraumatisme
1.1. Définitions
1.2. Historique de la psychotraumatologie
1.3. Déclinaison des troubles
1.3.1. La réaction immédiate
1.3.2. La réaction post-immédiate
1.3.3. Les troubles chronicisés
2) L’Etat de Stress Aigu
B/ ETAT DE STRESS POST-TRAUMATIQUE
1) Généralités
1.1. Epidémiologie
1.2. Vulnérabilité et facteurs de risque
1.2.1. Facteurs pré-traumatiques
1.2.2. Facteurs péri-traumatiques
1.2.3. Facteurs post-traumatiques
1.3. Mesure et évaluation
2) Clinique et évolution du PTSD
3) Pathogénie
3.1. Aspects théoriques
3.1.1. Approche psychanalytique
3.1.1.1. Conception du traumatisme psychologique de Janet
3.1.1.2. Conception freudienne
3.1.1.3. La théorie de la pensée de Bion
3.1.1.4. L’Ecole française
3.1.2. Approche cognitiviste
3.1.3. Approche comportementale
3.1.4. La dissociation péri-traumatique
3.2. Aspects neurobiologiques
3.2.1. Anomalies neurologiques fonctionnelles
3.2.1.1. L’amygdale
3.2.1.2. L’hippocampe
3.2.1.3. Le système perceptif
3.2.1.4. Le cortex frontal
3.2.2. Anomalies neuro-endocriniennes
3.2.2.1. Hypothèse de « stress inadapté »
3.2.2.2. Hypothèse « d’excès de réactivité cérébrale »
3.2.2.3. Hypothèse de « dysmodulation fonctionnelle »
3.2.2.4. Hypothèse « d’excès de mémorisation »
4) Thérapeutique
4.1. Le « débriefing » psychologique
4.2. Les psychothérapies
4.2.1. Approche psychanalytique
4.2.2. La Thérapie Cognitivo-Comportementale ou TCC
4.2.3. L’Eye Movement Desensitization and Reprocessing ou EMDR
4.2.4. L’hypnothérapie
4.2.5. Approches à l’étude
4.3. La pharmacothérapie
4.3.1. Les antidépresseurs
4.3.2. Les antipsychotiques atypiques
4.3.3. Les benzodiazépines
4.3.4. Les anticonvulsivants
4.3.5. Les bêta-bloquants
4.3.6. L’hydrocortisone
C/ TRAITEMENT DES ETATS DE STRESS POST-TRAUMATIQUES PAR L’HYPNOSE
1) Liens entre psychotraumatisme et hypnose
1.1. Psychotraumatisme et hypnotisabilité
1.2. Analogies mentales entre les deux états
1.3. Analogies neurophysiologiques
2) La dissociation : un outil thérapeutique
3) Les outils hypnotiques dans la névrose traumatique
3.1. Techniques non spécifiques
3.2. Techniques de travail du souvenir traumatique
3.3. Technique de régression temporelle
4) L’hypnothérapie dans le traitement du psychotraumatisme
D/ DISCUSSION
CONCLUSION
ANNEXES
LEXIQUE
BIBLIOGRAPHIE
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