En France, en cent ans, l’espérance de vie à la naissance a augmenté de 30 ans. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, tandis que l’espérance de vie à la naissance continue d’augmenter au même rythme, d’environ 3 mois par an, l’espérance de vie à 65 ans augmente encore plus rapidement, notamment chez les femmes. La conséquence de cette évolution est un vieillissement considérable de la population. En France, l’espérance de vie à la naissance est de 78,5 ans chez les hommmes et 85 ans chez les femmes. Moins de 2 % d’entre elles pouvaient espérer fêter leur 90e anniversaire dans les conditions de mortalité de 1907 ; un siècle plus tard, près de 40 % peuvent espérer atteindre et dépasser cet âge. Le nombre de centenaires double environ tous les 10 ans en France comme dans les autres pays européens. L’augmentation continue de l’espérance de vie aux âges élevés a conduit à s’interroger sur la qualité des années gagnées à ces âges où les maladies chroniques et les problèmes de santé s’accumulent, fragilisant l’individu : les prévalences des problèmes de santé, très faibles à 20 ans, doublent tous les 5, 10 ou 15 ans selon les pathologies et affichent des niveaux très élevés à 85 ans. Ces situations de santé engendrent différents niveaux d’incapacité : altérations des fonctions motrices, sensorielles ou cognitives, qui à leur tour peuvent induire des difficultés à réaliser des activités du quotidien, voire conduire à des situations de dépendance requérant aides et assistance pour réaliser des tâches élémentaires. Si entre 1995 et 2010 l’espérance de vie à 65 ans en France est passée de 20,9 à 23,5 ans (+ 2,6 ans) pour les femmes et de 16,2 à 18,9 ans (+ 2,7 ans) pour les hommes, l’espérance de vie sans limitation d’activité semble augmenter beaucoup moins vite, au moins depuis 2004 selon l’enquête européenne EU-SILC (European Union – Statistics on Income and Living Conditions) menée dans quelques pays de l’Union. Au-delà de 85 ans, plus des trois quarts des Français déclarent des limitations dans leurs activités.
Les chutes, événements fréquents dans la population des personnes âgées, s’inscrivent au cœur de ces questions. Elles reflètent une dégradation de l’état de santé et participent aussi grandement aux limitations fonctionnelles et à la perte d’autonomie. Elles peuvent être très coûteuses en termes de qualité de vie pour les personnes concernées mais aussi de coûts financiers liés à la prise en charge des chutes et de la dépendance qui peut en résulter. Dans un contexte de vieillissement de la population, la prévention des chutes et la préservation de l’autonomie dans les activités quotidiennes sont primordiales et constituent des enjeux majeurs de santé publique.
Quelques définitions : personne âgée, fragilité, chute, chutes répétées, chutes graves, exercice physique, activité physique
La définition de la « personne âgée » retenue pour cette expertise repose sur le critère d’âge de 65 ans et plus. La population des personnes âgées constitue cependant un groupe très hétérogène d’un point de vue médical et fonctionnel, au sein duquel, on distingue schématiquement, trois catégories de personnes en fonction de leur état de santé :
• les personnes dites « vigoureuses » : en bon état de santé, indépendantes et autonomes ;
• les personnes dites « malades » : dépendantes, en mauvais état de santé en raison d’une polypathologie chronique évoluée génératrice de handicaps ;
• les personnes dites « fragiles » : à l’état de santé intermédiaire et à risque de basculer dans la catégorie des malades.
La fragilité peut se définir comme une diminution des capacités de réserves fonctionnelles et des capacités à faire face à un stress quelle qu’en soit la nature. La fragilité est associée à un risque élevé de perte d’indépendance.
Tout le monde sait intuitivement ce qu’est une chute. Pourtant, sa définition concrète et opérationnelle a fait l’objet de longues discussions. La définition qui semble faire consensus aujourd’hui est celle proposée par Hauer et coll. en 2006 : « perte brutale et totalement accidentelle de l’équilibre postural lors de la marche ou de la réalisation de toute autre activité et faisant tomber la personne sur le sol ou toute autre surface plus basse que celle où elle se trouvait ». Les chutes répétées ont été définies par la Haute autorité de santé (HAS) comme la survenue d’au moins deux chutes dans des intervalles de temps s’étendant de 6 à 12 mois. Elles sont considérées comme un indicateur de mauvais état de santé et un marqueur de fragilité chez les personnes âgées. Les personnes chutant 2 fois ou plus dans l’année, sont plus à risque d’avoir des traumatismes que les « mono-chuteurs ». La littérature s’est intéressée à la chute répétée pour approcher au mieux la spécificité gériatrique de la chute. Il est pertinent de classer les chutes selon la sévérité de leurs conséquences, la finalité première de toute action de prévention étant de prévenir les chutes « graves ». Cependant, dans la littérature, la définition ou la caractérisation des chutes graves est très variable d’un texte à l’autre, les chutes graves se retrouvant souvent sous l’intitulé « chutes justifiant une hospitalisation ou, plus largement, une intervention médicale ». On entend donc habituellement par chute grave toute chute ayant des conséquences traumatiques sévères, nécessitant une intervention médicale et/ou suivie d’une station prolongée au sol. Le terme de chute critique est parfois employé pour désigner les chutes suivies d’une station prolongée au sol, du fait de l’incapacité de la personne à se relever du sol.
L’activité physique regroupe à la fois celle liée aux activités professionnelles, celle exercée lors de tâches domestiques et de la vie courante (déplacements compris), l’activité physique de loisirs, et la pratique sportive. Le sport, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), est un sous-ensemble de l’activité physique, spécialisé et organisé. Les exercices physiques peuvent être définis comme actions ou moyens pour améliorer ses performances physiques.
La fragilité est associée à un risque majoré d’événements péjoratifs de santé dont les chutes : après 65 ans, 15 à 20 % de la population vivant à domicile seraient fragiles
L’âge est un déterminant majeur de fragilité mais n’explique pas à lui seul ce syndrome. Si le concept de fragilité est reconnu par l’ensemble de la communauté scientifique, il n’existe toutefois ni de définition, ni d’outils de dépistage de la fragilité qui fassent consensus. Pour porter le diagnostic de fragilité, deux modèles ont émergé de la littérature. Le premier modèle a conduit à la proposition des « critères de fragilité » dits « de Fried ». Le phénotype de fragilité repose sur cinq critères cliniques : amaigrissement (perte de poids ≥ 5 % par an) ; fatigue subjective (sensation d’épuisement en permanence ou fréquemment) ; sédentarité (moins de 1 à 2 marches par semaine) ; vitesse de marche réduite (difficulté à marcher 100 mètres) ; faible force de préhension. La personne est considérée fragile si elle présente au moins 3 critères, préfragile en présence de 1 ou 2 critères, et non fragile en l’absence d’observation de ces critères. Le second modèle propose un « indice cumulé de fragilité » reposant sur 92 déficits, symptômes ou situations cliniques. D’autres outils composites comme l’Edmonton Frail Scale, qui inclut le Timed Up and Go Test et des tests cognitifs ont été développés. Cet outil simple peut être utile aux professionnels de santé pour repérer en routine les sujets fragiles. Après 65 ans, 15 à 20 % de la population à domicile seraient fragiles. Au-delà de 85 ans, 25 à 50 % des sujets seraient fragiles. La fragilité est associée à un risque majoré de mortalité et d’évènements péjoratifs, notamment d’incapacités, de chutes, d’hospitalisations et d’entrée en institution. La fragilité et les caractéristiques qui l’accompagnent, comme la sédentarité, la baisse de la force musculaire, la perte de poids sont des conditions pouvant favoriser l’ostéoporose, la chute et la fracture. La prise en charge des déterminants de la fragilité peut réduire ou retarder ses conséquences. Ainsi, la fragilité s’inscrirait dans un processus potentiellement réversible. L’intérêt principal du syndrome de fragilité est qu’il ouvre des perspectives d’organisation de soins préventifs de la dépendance et d’évènements péjoratifs comme les chutes.
La chute est un évènement fréquent aux conséquences multiples et souvent graves
Environ une personne sur trois âgée de plus de 65 ans et une personne sur deux de plus de 80 ans chutent chaque année. Parmi les chuteurs, la moitié aurait fait au moins deux chutes dans l’année
La multiplicité des définitions des chutes ainsi que le manque de standardisation des études peuvent expliquer la variabilité de la prévalence et de l’incidence estimées des chutes. Ces disparités peuvent être à l’origine d’une difficulté d’interprétation des évaluations des stratégies interventionnelles proposées pour la prise en charge des chutes, ce qui peut freiner leur mise en application pratique. Les données épidémiologiques sont difficiles à comparer d’une étude à l’autre et d’un pays à l’autre en raison des conceptions différentes des études, des caractéristiques variables des populations étudiées, de la multiplicité des définitions considérées et des différentes méthodes de recueils d’informations. Ainsi, les données reposant sur l’interrogatoire des personnes sur le nombre de chutes survenues au cours de l’année écoulée présentent le risque d’une sous-estimation en raison de la tendance des personnes à oublier leurs chutes, au moins quand elles n’ont pas eu de conséquences sérieuses.
En France, selon le Baromètre santé, en 2005, 24 % des personnes de 65 à 75 ans auraient chuté dans l’année écoulée. Selon l’édition 2010, plus d’une personne de la tranche d’âge 55-85 ans sur 5 (21,6 %) déclare avoir chuté au cours des 12 derniers mois. Selon d’autres études menées dans les pays occidentaux, 20 à 33 % des personnes âgées de 65 ans ou plus rapportent avoir chuté au cours de l’année passée. L’incidence des chutes et des chuteurs augmenterait avec l’âge : le pourcentage de chuteurs se situerait autour de 50 % parmi les personnes de plus de 80 ans. La moitié des chuteurs auraient fait au moins deux chutes dans l’année. Les taux d’incidence de chute par an chez les plus de 65 ans sont plus élevés chez les femmes que chez les hommes, cette différence s’observe principalement avant 90 ans.
Les chutes représentent la principale cause de traumatismes physiques chez les plus de 70 ans et ont des conséquences psychiques et sociales sur l’autonomie et la qualité de vie
En France, en 2009, selon l’enquête permanente sur les accidents de la vie courante, les chutes représentent 90 % des accidents de la vie courante recensés aux urgences chez les plus de 75 ans. Elles sont les premières causes de décès par accident de la vie courante, soit 9 412 décès causés par chute en 2008. Plus des trois quarts de ces décès par chute concernent des personnes âgées de 75 ans et plus. Le taux de mortalité augmente avec l’âge, notamment après 75 ans. Chaque année, le nombre de chutes accidentelles suivies d’un recours aux urgences hospitalières est estimé à 450 000 chez les personnes âgées de 65 ans et plus, 330000 chez les femmes et 120 000 chez les hommes, soit un taux de 4,5 chutes accidentelles pour 100 personnes. Dans 37 % des cas, elles donnent lieu à une hospitalisation en court séjour après passage aux urgences. Dans la cohorte Safes (Sujets âgés fragiles, évaluation et suivi) qui s’est intéressée à 1 306 sujets de plus de 75 ans vivant au domicile et admis en hospitalisation après passage aux urgences, 81,1 % des personnes avaient des troubles de la marche et 50,6 % des troubles de l’équilibre. Six mois après le passage aux urgences, un des principaux facteurs de risque de mortalité était la présence d’un haut niveau de comorbidités. Le suivi à 3 ans de cette cohorte a montré que les facteurs influençant significativement la mortalité étaient outre la démence et la confusion, la présence de troubles de la marche. Entre 20 et 60 % des chuteurs souffrent de traumatismes, dont 10 % d’entre eux de traumatismes sévères. L’incidence des chutes avec traumatisme augmente avec l’âge, elle est plus élevée chez les femmes que chez les hommes. Les hommes présentent plus souvent des traumatismes crâniens, et les femmes des traumatismes des hanches ou du bassin. Les données d’incidence des fractures suite à une chute, chez les plus de 65 ans, sont variables dans la littérature, l’incidence variant de 0,2 % à 6 %. Dans un tiers des cas, la fracture intéresse l’extrémité supérieure du fémur. En France, on estime entre 50 000 et 80 000 le nombre de fractures de l’extrémité supérieure du fémur chez les personnes âgées, par an. La très grande majorité de ces fractures du fémur sont consécutives à des chutes. En France, en 2007, selon une enquête de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), les patients hospitalisés pour une fracture de l’extrémité du fémur étaient à 76 % des femmes d’âge moyen 83 ans et 24 % des hommes d’âge moyen 80 ans. La fracture de l’extrémité du fémur est une des principales causes de mortalité chez les plus de 65 ans. Dans l’année qui suit l’accident, la mortalité est de 10 à 20 % plus élevée que celle de sujets de même âge et de même sexe. D’autres fractures sont la conséquence de chutes comme les fractures du bassin, du bras, du poignet, mais aussi des vertèbres, ces dernières étant une cause majeure de douleur à long terme et pouvant entraîner une perte d’autonomie. La gravité de la chute et ses conséquences en termes de morbimortalité ne sont pas seulement liées à la survenue de fractures. Ainsi, une incapacité à se relever avec un maintien prolongé au sol de plus d’une heure est un élément de mauvais pronostic en termes de mortalité : en effet, la mortalité à 6 mois des personnes passant plus de 1 heure au sol est multipliée par deux. Les principales complications de la station prolongée au sol qui en font la gravité sont les ulcères de décubitus, l’hypothermie, la rhabdomyolyse, les infections respiratoires. Les chutes peuvent avoir bien d’autres conséquences graves que les conséquences traumatiques, en particulier des conséquences psychiques et sociales. Les chutes sont souvent responsables d’une perte de confiance en soi, d’une peur de chuter à nouveau, pouvant conduire à une restriction des activités, à une dégradation de la vie sociale et à une perte d’autonomie. La qualité de vie est ainsi affectée par la survenue de chutes. Les chutes sont une cause fréquente d’entrée en institution gériatrique. La chute doit donc être considérée comme un marqueur fort de fragilité avec un risque de perte d’autonomie et d’institutionnalisation.
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Table des matières
I)INTRODUCTION
II) GENERALITES
III) METHODOLOGIE
IV) RESULTATS
V) COMMENTAIRES ET DISCUSSION
VI) CONCLUSION
VII) REFERENCES
ANNEXES
RESUME