La recherche de méthodes qui permettent l’exploitation des ressources les plus abondantes afin de synthétiser des molécules complexes est un objectif de longue date pour les chimistes. Ces dernières décennies, en accord avec les enjeux sociétaux et environnementaux, la notion d’activation de liaison C-H a pris une place plus grande dans ce domaine de recherche. Plus particulièrement, l’utilisation des métaux de transition (MT) en catalyse homogène a permis le développement de plusieurs stratégies efficaces.
En plus de permettre la diminution du nombre d’étapes de synthèse et de purification, réduisant ainsi la quantité de déchets, cette technique présente l’avantage de pouvoir utiliser directement les matières premières. En effet, la transformation directe d’alcanes en alcools, en acides ou en d’autres dérivés mono oxydés représente un des défis les plus stimulants et encore difficiles à atteindre. Dans ce contexte, le méthane est une source considérable pour la production d’énergie et son oxydation en méthanol faciliterait énormément son transport .
Pour ce qui concerne les substrats à chaine plus longue que le méthane, le plus gros défi est le contrôle de la sélectivité du site. En effet, une liaison C-H dans une position non activée est très peu polarisée et faiblement acide. En présence de plusieurs liaisons C-H non activées, la sélectivité peut alors être difficile à réaliser. En plus, l’activation directe d’une liaison C-H peut s’avérer très compliquée en présence d’autres liaisons plus facilement activables, ce qui présente un problème de chimiosélectivité.
En conséquence, ce type de réactivité entraîne donc un changement dans le raisonnement synthétique. Au lieu de concevoir des chemins se basant sur des groupes fonctionnels (GFs) classiques, la nouvelle approche est de choisir une méthode permettant la fonctionnalisation contrôlée d’une liaison C-H .
Mécanismes et exemples pionniers
Activation – fonctionnalisation de liaison C-H : quelques définitions
Dans le domaine de l’activation/fonctionnarisation C-H promue ou catalysée par un métal (M), Shilov et Shul’pin définissent « une véritable activation» comme étant la formation d’une liaison σ(M-C), suite à l’entrée de la liaison C-H dans la sphère de coordination du métal .
Crabtree, quant à lui, décrit deux types d’approche. « L’approche organométallique», où l’activation C-H est définie aussi comme étant le résultat d’une interaction directe entre le métal et la liaison C-H, suivie de la rupture de cette dernière, avec la formation d’une liaison M-C. Puis « l’approche de chimie de coordination » qui mime l’oxydation des alcanes réalisée par les enzymes. Dans ce dernier cas, la liaison C-H interagit directement avec un des ligands du complexe. Ces définitions ont été reprises ensuite par Sanford, qui utilise le terme « sphère interne » pour désigner «l’approche organométallique » et le terme « sphère externe » pour désigner «l’approche de chimie de coordination ».
De nos jours, les termes « activation C-H » et « fonctionnalisation C-H » sont utilisés de manière interchangeable. Toutefois, l’usage du terme « activation C-H » se limite souvent à un mécanisme de type sphère interne, alors que le terme « fonctionnalisation C-H » est utilisé pour décrire un mécanisme à sphère externe.
Mécanisme par sphère externe
Comme nous l’avons mentionné plus haut, ce type de mécanisme est basé sur l’action de certaines enzymes d’oxydation, comme le cytochrome P450 ou la méthane mono-oxygénase, qui permettent l’hydroxylation de liaisons C-H. Ces réactions passent généralement par un complexe métallique de type oxo, nitrène ou carbène, pour former respectivement des liaisons C-O, C-N ou CC. Notons toutefois, que la Nature utilise cette chimie seulement pour le premier cas de figure.
La première étape consiste en la génération d’un complexe métallique à haut degré d’oxydation et comportant un ligand hautement réactif. La deuxième étape peut être une étape métalloradicalaire suivant un mécanisme de type « rebond » radicalaire. C’est le cas du complexe oxo, qui va capter un atome d’hydrogène par abstraction homolytique, suivie de la réaction de l’espèce radicalaire ainsi formée sur le complexe hydroxyle résultant pour donner l’alcool correspondant (Schéma 4, haut). Dans le cas d’un carbène ou d’un nitrène, cette deuxième étape est une insertion directe dans la liaison C-H en parallèle de la dissociation du ligand du complexe métallique (Schéma 4, bas).
Un exemple qui illustre ce type de réactivité a été décrit par l’équipe de Doyle. L’utilisation d’un catalyseur chiral à base d’un dimère de rhodium [Rh2(4R-MPPIM)4] a permis la synthèse de lactones avec de bons rendements et de bons excès énantiomériques (Schéma 5). La génération du carbène se fait in situ par réaction entre le diazo-carbonyle et le complexe de rhodium. Cette méthode a été utilisée pour la synthèse de quelques produits naturels tels que la (+)-enterolactone.
Mécanisme par sphère interne
Historiquement, trois grandes classes de mécanismes ont été différentiées en se basant sur des études mécanistiques : l’addition oxydante (AO), la métathèse de liaison σ (σ-BM) et l’activation électrophile (AE). Cependant, ces dernières années, d’autres types de mécanismes ont été suggérés en se basant sur différentes observations expérimentales et études computationnelles.
Addition oxydante
Ce mécanisme est généralement admis pour un complexe comportant un MT nucléophile, à valence faible, situé en deuxième ou troisième rang. Parmi les premiers groupes à découvrir ce type de réactivité, on peut citer ceux de Green, Bergman, Graham et Jones. En effet, dès 1970, Green a montré qu’un complexe Cp2*W était capable de s’insérer dans une liaison C-H du benzène. Plus tard, Bergman a décrit l’utilisation d’un complexe dihydrido iridium qui, sous irradiation, pouvait subir une élimination réductrice de H2, suivie d’une addition oxydante en présence du benzène, du cyclohexane ou du néopentane comme solvant (Schéma 6).
Métathèse de liaison σ (σ-BM : σ-Bond Metathesis)
Pour les métaux de transition de configuration électronique d0 à haut degré d’oxydation, l’addition oxydante est impossible. Dans ce cas, l’activation C-H passe par un mécanisme de type σBM. Le premier exemple décrivant une telle réactivité a été décrit par Watson en 1983. Elle a montré qu’un complexe de type Cp2*Lu(CH3) peut réagir avec du méthane en échangeant le ligand CH3 par un 13CH3 (Schéma 7). La même réaction est possible avec des complexes du même type basés sur l’Yttrium.
Ces résultats ont été ensuite exploités par d’autres équipes qui ont contribué de manière remarquable à ce domaine. Par ailleurs, les différentes études réalisées par Hartwig sur la borylation directe des alcènes, des arènes et des alcanes l’ont amené à considérer un autre type de mécanisme qui serait entre une addition oxydante et une σ-BM. Ce type de réactivité a été observé en présence de complexe de type CpM(CO)n(BOR2) (où M = W, Fe, Co). Il a appelé ce type de mécanisme « transfert d’hydrogène par l’intermédiaire d’un métal aidé par le bore », qui est un cas particulier de la métathèse assistée par un complexe σ (σ-CAM). D’autres types de mécanismes peuvent être retrouvés en littérature : état de transition additionné oxydativement (OATS) et la migration oxydative d’hydrogène (OHM).
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre I : Activation de liaison C-H
I. Introduction – Historique
II. Mécanismes et exemples pionniers
1. Activation – fonctionnalisation de liaison C-H : quelques définitions
2. Mécanisme par sphère externe
3. Mécanisme par sphère interne
III. Sélectivité dans l’activation C-H
1. Couplage croisé déshydrogénant
2. Activation dirigée de liaison C(sp2)-H aromatique
3. Activation de liaison C(sp3)-H
4. Application de l’activation C-H en synthèse totale
5. Conclusion
Chapitre II : Oléfination et allylation de la pyridine N-oxyde par activation C-H
I. Introduction
II. Réactivité générale de la pyridine et de la pyridine N-oxyde
1. Réactivité classique de la pyridine
2. Fonctionnalisation de la pyridine N-oxyde
III. Fonctionnalisation par activation C-H de la pyridine
IV. Fonctionnalisation par activation C-H de la pyridine N-oxyde
V. Réaction d’allylation par activation C-H
1. Allylation catalysée par du palladium
2. Allylation catalysée par du ruthénium
3. Allylation catalysée par du rhodium
4. Allylation catalysée par du cobalt
VI. Oléfination et allylation palladocatalysée d’azines N-oxyde
1. Objectif
2. Choix de la réaction modèle et optimisation des conditions de réaction
3. Synthèse des substrats
4. Champ d’application des conditions d’oléfination
5. Post-fonctionnalisation des produits d’oléfination
6. Etudes mécanistiques
VII. Conclusion
Chapitre III : Réaction de Murai carbonylative sur les pyrroles
I. Introduction
1. Fonctionnalisation du pyrrole
2. Fonctionnalisation par activation catalytique de liaison C-H
II. Réaction de Murai-Historique
1. Premiers travaux
2. Etudes mécanistiques
3. Autres applications de la réaction de Murai
4. Réaction de Murai carbonylative
III. Résultats et discussion
1. Précédents travaux de l’équipe et objectif du projet
2. Synthèse des substrats
3. Choix de la réaction modèle et optimisation des conditions de réaction
4. Champ d’application des conditions optimisées
5. Mécanisme proposé
IV. Conclusion et perspectives
Conclusion générale
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