Auteur fécond, Henry de Montherlant a produit une œuvre intéressante dans laquelle le théâtre tient, depuis les années 1940, une place importante , c’est pourquoi sa dramaturgie a diversement été commentée. Ayant pour finalité d’ « exprimer avec le maximum de vérité, d’intensité et de profondeur un certain nombre de mouvements de l’âme humaine», Montherlant a trouvé avec cette forme littéraire un moyen d’expression approprié, comme le fait remarquer Jacques de Laprade : « Celui-ci ne libère pas seulement, dans son théâtre, les thèmes qui l’ont hanté dès qu’il a pris conscience de soi ; il y épanouit ses dons, ce qui caractérise le plus nettement son inspiration et sa nature même. » .
Si certains critiques lui reconnaissent un certain talent pour un homme venu tardivement au théâtre, d’autres n’hésitent pas à le critiquer . Paradoxalement, son œuvre connaît un succès remarquable, sans viser le public, elle le voit venir à lui . C’est ainsi qu’en 1960, l’Académie française lui ouvre ses portes, honorant par là même un écrivain soucieux d’examiner nos ressorts psychologiques, et de rendre compte de « la bête » et de « l’ange » qui sommeillent également en nous . Se marginalisant de la société contemporaine et cherchant à dépasser les luttes partisanes, il se consacre à l’écriture de son théâtre depuis la Seconde Guerre mondiale. Il y peint la grandeur et la misère des hommes et des femmes d’honneur, tiraillés par leurs passions, souvent trahis et perdus. La télévision aussi a fait vivre dans les maisons les figures de son théâtre.
À en croire son principal biographe Pierre Sipriot , Montherlant, durant sa vie s’est toujours avancé masqué, cultivant une forme de secret . La révélation posthume de ces faits a grandement modifié l’image qui dominait à son sujet de son vivant, contraignant certains a renoncer à un Montherlant idéalisé et d’autres à le relire de plus près.
Cependant, la controverse sur Montherlant reste bien ambiguë à cause de l’amalgame sur sa personne et sa production théâtrale qui a néanmoins connue plusieurs lectures et dans diverses perspectives. Si l’on se rapporte à ce qui se pose comme un programme pour les futurs chercheurs, une voie semble devoir être approfondie, elle concerne l’étude de la dramaturgie de Montherlant qui jusqu’à présent reste insuffisante. En effet, le bilan des études sur cet auteur offre un champ d’exploration possible; un parcours approfondi des critiques laisse constater une carence dans l’analyse de la dramaturgie de Montherlant.
Différentes études sur Montherlant
Jean-Louis Caret dans son analyse détaille comment Montherlant écrivain, homme et citoyen a été perçu principalement en France par ses contemporains. Il propose une biographie de l’auteur, les rapports entre les écrits de Montherlant et l’histoire. Le constat est que Montherlant crée des personnages que l’on pourrait mettre en parallèle.
Favre Frantz, dans Montherlant et Camus, une lignée nietzschéenne, rapproche Montherlant et Camus à travers la vérité qu’ils laissent profiler dans leurs œuvres : le sentiment de l’insignifiance de l’existence. Dans le même sens, Jacques Robichez, dans Le théâtre de Montherlant, présente une biographie de Montherlant et les principes généraux de son œuvre. Il livre également les thèmes dominants de celle-ci, sans oublier de rappeler ses sources, en revanche, il ne fait aucune allusion aux questions de dramaturgie .
L’ouvrage de Banchini Fernando , Le Théâtre de Montherlant propose une étude thématique de l’œuvre de Montherlant. Il éclaire également sur les rapports de l’auteur à ses personnages, et revient sur le style ainsi que les principales critiques de Montherlant. Manuel de Diéguez propose un résumé en actes du Maître de Santiago en rappelant les tendances principales de Montherlant, à savoir l’exigence morale et le nihilisme.
Il rejoint la critique selon laquelle cette pièce, comme les autres, nourrie d’un drame tout intérieur, se déroule avec simplicité et rigueur. Il a publié plusieurs articles sur Montherlant, souvent pour défendre « presque seul » dit-il, les œuvres qui faisaient contre elles l’unanimité de ces mêmes critiques qui, des années après, ayant changé « d’humeur ou de maîtres, criaient au chef-d’œuvre».
Après une critique aujourd’hui, encore strictement psychologique du style de Montherlant, Henry Perruchot signale qu’une étude sérieuse du style exigerait un long développement « qui dépasserait le cadre assigné ». Ce développement pourrait concerner la structure dramatique, précisément l’action. En effet, selon Jacques de Laprade : « Pouvons-nous oublier que Montherlant est l’un des moralistes qui comptent dans notre littérature ? C’est par le biais de sa « morale » que l’on cherche l’auteur sur sa scène. Car le pli est pris : depuis que Montherlant a saisi la plume, ce que les critiques et le public exigent de lui, c’est l’idéologie. ». Cela revient à dire que le théâtre de Montherlant n’est intéressant que parce qu’il y déploie son éloquence et qu’il y enseigne une certaine morale. L’étude de la dramaturgie est une fois encore oubliée.
Action dramatique et philosophie de l’action humaine chez Montherlant
L’action en déconstruction
Le système dramatique de Montherlant est demeuré fidèle à sa théorie restée longtemps une des devises de son œuvre: Aedificabo et destruam : « J’édifierai, et je détruirai ensuite ce que j’ai édifié», l’auteur veut montrer comment les personnages, à travers leurs actions (actes) ou leur inaction, détruisent leurs prétentions superbes. La tentation de détruire tout ce qu’on a construit est une de leurs obsessions. Il est question d’un processus qui résulte d’un parcours psychologique dont l’issue finale est la destruction de tout ce qu’on aurait construit. Montherlant dit à cet effet : « Tous mes personnages de théâtre, ou presque finissent (leur vie ou la pièce) détruis par une part d’eux-mêmes, une part dévoratrice, qui détruit celle qui pourrait lui résister.». La question de l’action ou de l’inaction est alors au centre de la thématique montherlatienne.
Tout le tragique de ce théâtre vient de ce que l’alternance et l’effort vers le syncrétisme sont non seulement des préceptes moraux mais aussi des principes esthétiques et rhétoriques qui imprègnent la configuration thématique de l’œuvre et affectent la structure et la composition dramatique. En effet, cette conscience des deux tendances (syncrétisme et alternance) conduit Montherlant vers des structures binaires (l’émotion qui donne la matière et l’art qui combine, construit). Globalement, Montherlant opère par une mise-en-intrigue (art) la matière que lui procure sa sensibilité (émotion).
S’inspirant du principe aristotélicien et classique selon lequel l’action doit être simple et chargée de peu de matière, Montherlant exprime, dans son théâtre, les mouvements de l’âme humaine ; cette simplicité, au centre de la conception montherlatienne du théâtre conduit à l’analyse de l’intériorité. L’action, du latin agere, agir, faire renvoie dans cette acception à l’action externe, au mouvement physique, activité à laquelle se livrent très peu ou pas les personnages de Montherlant. Dans son ouvrage : Du Texte à l’action, Paul Ricoeur , parlant de la fiction, précise qu’elle redécrit l’action humaine; de ce fait, l’action implique des buts et des moyens, une motivation et un pouvoir-faire qui relèvent de l’imagination. Si la philosophie de l’action humaine de Montherlant correspond à la vanité de tout, comment une dramaturgie spécifique est-elle mise en œuvre pour la représenter?
Le théâtre de Montherlant met en lumière le mystère de l’être humain, son but consiste pour l’auteur à : «Crier les hauts secrets qu’on ne doit dire qu’à voix basse.». La vérité est celle du personnage perçu non seulement comme une entité mais aussi une force qui fait l’action (agit). Nous allons nous inspirer d’une des études du personnage proposée par Montherlant. Il est question de l’analyse stylistique du langage des personnages qui se caractérise non seulement par son intériorité mais d’abord par sa parole .
Le personnage du théâtre de Montherlant sera considéré selon trois aspects : d’une part, dans sa grandeur et sa force, ensuite dans son aveuglement, pour aboutir enfin à sa déchéance. Ces trois étapes participent d’un parcours psychologique qui est l’un des ressorts de ce théâtre qui favorise l’action intérieure , comme le dit le dramaturge : « L’homme est pareil à un cours d’eau. Il est mobile et tout lui est possible. De sot, il devient intelligent ; de méchant, il devient bon ; on voit aussi l’inverse se produire. » . Dans ce chapitre, sera traitée l’action au sens du faire ; le personnage en position de force agit soit verbalement à travers ses décisions, ses exigences ou ses ordres, soit dans son changement mental lorsqu’il évolue dans son état psychologique.
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Table des matières
Introduction générale
Première partie : Action dramatique et philosophie de l’action humaine chez Montherlant
Chapitre I- L’action en déconstruction
I – Les drames du pouvoir et de la grandeur : pouvoir d’action et toute-puissance
II- L’ambiguïté des actes et l’inconstance
III- Une action chaotique
Chapitre II Les ressorts de l’action dramatique de Montherlant
I- La ligne d’action dramatique
II- L’organisation des pièces
Deuxième partie : L’action extérieure et la parole dramatique
Chapitre I Le destin de la parole dans les pièces de Montherlant
I-Le pouvoir de la parole
II- La dialectique du langage
Chapitre II- Fonction dramatique des personnages
I- Les fonctions actantielles et la loi d’alternance
II-Visualisation des schémas actantiels des pièces
Troisième partie : Temps et espace comme éléments constitutifs de l’action
Chapitre I- La spatialisation de l’action dramatique
I- La dualité de l’espace
II- Montherlant et l’unité spatiale
Chapitre II- Le cadre temporel de l’action
I- Le temps en instance
II- L’accélération du temps et la durée de l’action
Conclusion générale
Bibliographie