L’infection débute par l’introduction des spores de Clostridium tetani dans l’organisme à la faveur d’une effraction cutanée ou muqueuse. Puis, sous l’influence de facteurs favorisant une diminution du potentiel d’oxydoréduction local(comme l’ischémie ou la nécrose tissulaire), les spores qui se trouvent dans des conditions d’anaérobiose vont germer et redonner la forme bactérienne produisant la toxine tétanique in situ. Parmi les exoprotéines produites, seule la tétanospasmine est responsable de tous les symptômes de la maladie [4,16].
Action de la tétanospasmine sur le système nerveux central
La toxine tétanique pénètre dans le système nerveux au niveau des jonctions neuromusculaires des motoneurones proches de la porte d’entrée grâce à une vésicule d’endocytose. Une fois internalisée dans la terminaison du nerf moteur, sensitif ou sympathique, la toxine, devenue inaccessible aux antitoxines, chemine par voie rétrograde pour gagner le corps cellulaire des motoneurones au niveau de la corne antérieure de la moelle et du tronc cérébral [14, 16]. Une fois fixée au tissu nerveux, la toxine n’est pas neutralisée par l’anatoxine tétanique. La vitesse de transport de la toxine est la même dans tous les nerfs, expliquant l’atteinte initiale au niveau de l’extrémité céphalique où les nerfs moteurs sont les plus courts, alors que les muscles des membres sont atteints en dernier [16]. Arrivée dans les corps cellulaires, la toxine migre par voie trans-synaptique et gagne la terminaison présynaptique des neurones inhibiteurs de la moelle et du tronc cérébral, utilisant la glycine et l’acide gamma-amino-butyrique (GABA) comme neurotransmetteurs. Elle va cliver, par l’intermédiaire de sa chaîne légère, la synaptobrévine nécessaire à l’exocytose des neurotransmetteurs, empêchant ainsi leur libération ce qui provoque une desinhibition centrale des motoneurones α [2, 14, 16, 52]. Les neurones sont anormalement excitables et il apparaît des contractions musculaires anarchiques. La levée de l’inhibition des motoneurones concerne également l’innervation réciproque. Cette levée de l’inhibition sera à l’origine de contractures simultanées des muscles agonistes et antagonistes.
Action de la tétanospasmine sur le système nerveux autonome : la dysautonomie tétanique
La tétanospasmine n’épargne pas le système neurovégétatif, mais son action est encore mal connue. Elle pénètre dans les fibres sympathiques, franchit les ganglions sympathiques, et, par les fibres pré-ganglionnaires, gagne les cornes latérales de la moelle [16, 22]. Le blocage des synapses inhibitrices dans le système sympathique est responsable d’une hyperactivité sympathique par augmentation de la sécrétion de catécholamines expliquant la dysautonomie tétanique. Celle-ci se manifeste par des épisodes de tachycardie et d’hypertension artérielle. En outre certaines modifications métaboliques sympatho-dépendantes telles qu’une hyperglycémie, un hypercatabolisme ou une hypersudation sont constatées [5, 14, 16, 21]. Il existe également une hyperactivité parasympathique liée à l’augmentation de la synthèse, du stockage et de la libération d’acétylcholine dans les divers organes, combinée à une action cholinergique propre à la toxine. Ceci se traduit par des accès de bradycardie, d’hypotension artérielle voire d’arrêt cardiaque brutal .
CLINIQUE
Forme typique : le tétanos aigu généralisé du jeune circoncis non vacciné
Incubation
C’est la période, habituellement silencieuse, écoulée entre le jour de la circoncision et l’apparition du premier symptôme. La durée est en moyenne de 3 à 15 jours avec des extrêmes de 24 heures à 30 jours. Elle est d’autant plus brève que la maladie sera plus grave.
Début : période d’invasion
C’est la période séparant l’apparition des premiers symptômes et la généralisation des contractures. Le trismus est le plus souvent le symptôme inaugural de la maladie. Il est décrit chez un jeune circoncis à domicile, amené par ses parents en consultation pour une difficulté à l’ouverture de la bouche gênant toute alimentation. L’examen physique retrouve une contracture des muscles masséterins et temporaux occasionnant, au début, une simple gêne à l’ouverture buccale. Puis cette contracture des mâchoires devient progressivement croissante, permanente, douloureuse, bilatérale et symétrique. Elle est alors invincible, s’accentuant à l’ouverture de la bouche et retenant captif l’abaisse-langue introduit entre les arcades dentaires. La fièvre est absente et la conscience parfaitement conservée. A ce trismus vont rapidement s’associer d’autres signes :
– une impression de gorge serrée, gênant la déglutition, modifiant la voix,
– une contracture des muscles faciaux, donnant au faciès un aspect sardonique ou tétanique caractéristique : commissures labiales écartées simulant un rictus méprisant, rétrécissement des fentes palpébrales dû à la contraction des muscles orbiculaires, surélévation des sourcils et plissement du front, saillie des muscles peauciers du cou et de la face
– une contracture des muscles du cou entraînant une raideur de la nuque. Le patient présente par ailleurs une plaie récente du pénis.
Période d’état
Elle apparaît quelques heures (forme grave) à quelques jours (forme modérée) après les premiers symptômes et est caractérisée par :
-les contractures généralisées Le tétanos est dit généralisé lorsque les contractures s’étendent aux muscles de la nuque et du tronc. La nuque est raide et la tête rejetée en arrière. La contracture des muscles para vertébraux accentue la lordose lombaire permettant classiquement de glisser la main entre le plan du lit et le dos du malade : c’est la position en opisthotonos. L’atteinte des muscles thoraciques notamment diaphragmatiques entrave les mouvements respiratoires tandis que la rigidité des muscles abdominaux est similaire à la contracture abdominale de la péritonite et peut faire hésiter le diagnostic entre péritonite et tétanos après une chirurgie abdominale. Aux membres, les contractures prédominent habituellement sur les extenseurs aux membres inférieurs, et sur les fléchisseurs aux membres supérieurs. Il existe également une hyper réflectivité ostéo-tendineuse généralisée, sans signe de Babinski.
– les spasmes réflexes
A ces contractures permanentes se greffent des paroxysmes sous la forme de spasmes toniques spontanés ou déclenchés par des stimulations nociceptives, manuelles( lors de la mobilisation pour les soins), sonores ou lumineuses. Ils sont brefs mais douloureux et redoutés du malade dont la lucidité est conservée jusqu’à la mise en route du traitement. Dans les formes sévères, la répétition rapprochée de ces spasmes aboutit aux paroxysmes tonico-cloniques. Cette répétition réalise un état de mal tétanique marqué par des clonies répétées avec poussées hypertensives, tachycardie, hyperthermie et sueurs abondantes. Le risque vital est lié à la survenue brutale et imprévisible, au cours d’un paroxysme, d’un arrêt respiratoire par spasme glottique ou par blocage musculaire thoracoabdominal. Ce risque impose l’hospitalisation immédiate dans un service spécialisé de tout cas suspect de tétanos.
– les troubles neurovégétatifs [ 8, 19]
Le syndrome neurovégétatif ou dysautonomique est l’apanage des tétanos graves. Il se traduit par une tachycardie, une hypertension artérielle avec des troubles de la repolarisation à l’électrocardiogramme, une augmentation du débit cardiaque, des sueurs abondantes et une hyperthermie qui survient en dehors de toute infection. En l’absence de traitement, l’évolution se fait vers un état de choc avec vasoconstriction périphérique et bradycardie. Au point de vue biologique, le cortisol et les catécholamines circulants augmentent.
Paraclinique
Le diagnostic du tétanos est clinique. Les examens paracliniques demandés ne permettent que de juger des conséquences de la maladie. Il s’agit :
– du dosage des enzymes musculaires qui sont élevées surtout les CPK(créatine phosphokinase),
– de l’EMG qui montre une décharge continue des unités motrices, un raccourcissement ou une absence de l`intervalle silencieux normalement observé à la suite d’un potentiel d’action.
Evolution – Pronostic
Evolution
L’évolution du tétanos ne se conçoit que sous traitement dans une unité de soins intensifs.
Eléments de surveillance
Ce sont : – l’état d’hydratation et nutritionnel,
– les constantes surtout les courbes de température, de pouls et de pression artérielle,
– l’examen de tous les appareils, en particulier respiratoire et urinaire,
– la porte d’entrée,
– l’état de conscience,
– la classification par stades de MOLLARET .
Modalités évolutives
Plusieurs modalités évolutives sont possibles :
• La guérison
Elle survient au bout de 3 à 4 semaines (la toxine reste fixée 21 jours) avec cessation des paroxysmes, disparition progressive des contractures sous le contrôle des sédatifs, reprise d’une déglutition et d’une alimentation normale.
• Les complications
Elles peuvent survenir à tout moment et modifier le cours évolutif du tétanos. Ce sont des complications :
✧ cardiovasculaires
Il peut s’agir : – d’anomalies du rythme cardiaque à type bradycardie, de tachycardie, d’arythmies auriculaires ou ventriculaires, voire d’arrêt cardiaque, en rapport avec le syndrome dysautonomique,
– de variations de la pression artérielle (hypertension ou collapsus)
✧ respiratoires
La rigidité des muscles respiratoires est responsable de troubles ventilatoires à type d’encombrement bronchique et d’atélectasie. Par ailleurs le spasme glottique peut conduire à l’arrêt respiratoire à tout moment.
✧ thromboemboliques
La maladie thromboembolique, redoutable par sa latence, est un risque majeur. L’alitement, l’âge avancé, le mauvais état veineux pré-existant concourent à l’installation de la phlébite jambière et à l’embolie pulmonaire parfois révélatrice de la thrombose mortelle.
✧ infectieuses
Il peut s’agir d’une septicémie, d’une infection urinaire ou pulmonaire, infections qui sont en général iatrogènes (en rapport avec un cathéter, une sonde urinaire ou la trachéotomie)
✧ de décubitus
Il s’agit essentiellement des escarres, qui sont beaucoup plus fréquentes en raison de la pénurie chronique en personnel infirmier et en kinésithérapeutes.
• Les séquelles
Les séquelles sont représentées par :
✧ les fractures vertébrales
Elles sont dues aux contractures des muscles paravertébraux et se produisent souvent précocement, avant que la sédation thérapeutique soit satisfaisante. Ces fractures sont plus fréquentes chez les sujets de moins de 20 ans, probablement parce que les vertèbres ne sont pas complètement ossifiées. Il s’agit habituellement de fractures-tassements des vertèbres dorsales ( D 3 à D 10) ; les fractures cervicales et lombaires sont rares.
Parfois, ces fractures sont latentes ou n’entraînent qu’une gêne modérée, tandis qu’ailleurs, elles provoquent une déformation cyphotique.
✧ les paraostéoarthropathies
Les paraostéoarthropathies sont les séquelles les plus importantes du tétanos. Il ne s’agit pas de simples calcifications des tissus mous périarticulaires mais d’un véritable tissu osseux avec ostéoblastes, ostéoclastes et moelle osseuse. Leur pathogénie demeure obscure et elles surviennent surtout chez les sujets de 40 à 60 ans, ayant des tétanos graves. Elles sont vraisemblablement favorisées par l’intensité des contractures et des paroxysmes. Leur fréquence a beaucoup diminué depuis que, grâce au diazépam, une meilleure relaxation musculaire est obtenue. Sont atteints surtout les coudes et les épaules, moins souvent les genoux, les hanches, les articulations des mains. C’est en général entre le 20e et le 60e jour qu’apparaissent les signes cliniques, les signes radiologiques étant d’ordinaire tardifs. Les articulations ont une mobilité réduite, sont douloureuses, souvent gonflées et chaudes, le tout parfois accompagné de poussées fébriles. Les premiers signes radiologiques sont des opacités ponctuées ou nuageuses siégeant dans les parties molles périarticulaires ou au contact de l’os.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE I : HISTORIQUE
CHAPITRE II- EPIDEMIOLOGIE
2.1-Morbidité
2.2-Mortalité
2.3-Répartition
2.3.1- Selon l’âge
2.3.2-Répartition selon le sexe
2.3.3-Fréquence saisonnière
2.4-Le germe
2.4.1- Habitat
2.4.2- Produits élaborés
2.4.2.1- la tétanolysine
2.4.2.2- la tétanospasmine
2.5-Portes d’entrées
2.5.1-Portes d’entrée chirurgicales
2.5.1.1-Modes de contamination
2.5.1.2-Circonstances de survenue
2.5.2-Autres portes d’entrée
2.5.2.1-Porte d’entrée tégumentaire
2.5.2.2-porte d’entrée ombilicale
2.5.2.3-tétanos du post-partum
2.5.2.4-le tétanos post-injectionnel
2.5.2.5-porte d’entrée traditionnelle
2.5.2.6-porte d’entrée par otite chronique suppurée
2.5.2.7-portes d’entrée non retrouvées
CHAPITRE III- PHYSIOPATHOLOGIE
3.1-Action de la tétanospasmine sur le système nerveux central
3.2-Action de la tétanospasmine sur le système nerveux autonome : la dysautonomie tétanique
IV- CLINIQUE
4.1-Forme typique : le tétanos aigu généralisé du jeune circoncis non vacciné
4.1.1-Incubation
4.1.2-Début : période d’invasion
4.1.3-Période d’état
4.1.4-Paraclinique
4.1.5-Evolution – Pronostic
4.1.5.1. Evolution
4.1.5.2-Pronostic
4.2-Formes cliniques
4.2.1-Formes symptomatiques
4.2.1.1-formes frustres
4.2.1.2. formes hypertoxiques
4.2.2-Formes topographiques
4.2.3-Formes selon le terrain
4.2.3.1-Tétanos du sujet âgé
4.2.3.2-Tétanos du nouveau-né
CHAPITRE V –DIAGNOSTIC
5.1- Diagnostic positif
5.1.1- Arguments épidémiologiques
5.1.1.1- Le germe
5.1.1.2 -Portes d’entrée
5.1.1.3- Terrain
5.1.2. Arguments cliniques
5.2- Diagnostic différentiel
5.2.1-Les causes locales
5.2.2.Les causes générales
VI- TRAITEMENT
6.1.Traitement curatif
6.1.1-Traitement étiologique
6.1.1.1-Traitement de la porte d’entrée
6.1.1.2-Antibiothérapie
6.1.1.3- Sérothérapie
6.1.2-Traitement symptomatique
6.1.2.1-L’isolement sensoriel du malade
6.1.2.2-Les sédatifs
6.1.2.3-La réanimation respiratoire
6.1.2.4-Le maintien de l’équilibre hydroélectrolytique et nutritionnel
6.1.2.5-Le nursing
6.1.2.6-La prévention de la maladie thrombo-embolique
6.1.2.7-La kinésithérapie
6.2-Traitement préventif
6.2.1-Mesures générales : prévention du tétanos, comme infection nosocomiale, en milieu chirurgical
6.2.1.1. Stérilisation du matériel
6.2.1.2- Hygiène au bloc opératoire et organisation du programme
6.2.1.3-Préparation cutanée du patient au bloc opératoire
6.2.1.4. Hygiène des mains au bloc opératoire
6.2.2-La vaccination antitétanique
6.2.2.1-Le vaccin antitétanique
6.2.2.2-Le programme élargi de vaccination
6.2.2.3-Vaccination de l’adulte
6.2.2.4-Vaccination antitétanique et chirurgie
6.2.2.5. Prévention collective
6.2.3-La prévention antitétanique après exposition
5.2.4.Antibioprophylaxie et tétanos
CONCLUSION