Politiques et Acteurs de l’aménagement des bords de fleuves en Inde et à Chennai
Aménagement des fleuves : Influence occidentale & projets de « waterfront »
Avec la mondialisation, l’Inde est le témoin de la mise en place de projets de grande envergure inspirés des modèles occidentaux. Toutefois, nous verrons que le contexte historique et les enjeux déterminants pour ces projets sont bien différents. En ce sens, il est important de questionner l’exportation selon certains modèles, et les conditions de celle-ci.
L’origine et le contexte des projets de « waterfront »
Les premières installations sédentaires de l’homme visaient des endroits stratégiques permettant d’améliorer les conditions de survie. Les premières villes sont généralement bâties le long des rivières, cours d’eaux, mers ou océans, permettant la navigation et donc le commerce. Dans le cas des eaux courantes non salées, l’eau était également utilisée pour l’apport en eau douce, pour l’agriculture puis pour l’énergie (du moulin à vent aux plus grandes industries actuelles). Les bords de fleuves étaient déjà alors témoins des enjeux d’aménagement. Dans l’ouest, cette technique a fonctionné jusqu’à la deuxième moitié du XX ème siècle, où les révolutions dans les énergies et les techniques – avec l’industrialisation généralisée des processus et la course à la croissance – ont commencé à mettre en danger sur le long terme la capacité d’entropie des cours d’eau. Depuis, le phénomène de désindustrialisation en Europe et aux USA a fait naître la question de la réhabilitation du foncier libéré. On passe alors des villes industrielles, aux villes postindustrielles, marquées par l’économie libérale et les prises de conscience environnementale du début du XXIème siècle. Les villes se réapproprient leurs fleuves, comme inhérentes à leur identité, et des réflexions de reconnexion sociale vers les espaces aquatiques en ville voient le jour. Avec cette mutation des stratégies urbaines de développement, induites par l’évolution de la société et l’avènement des enjeux environnementaux et économiques issus de la mondialisation , de nouveaux paradigmes d’aménagement ont vu le jour. Parmi ceux-ci, le potentiel représenté par les espaces à proximité des zones aquatiques a donné lieu à de nombreux projets dit de « waterfront » (de l’anglais) englobant aussi bien les fronts de mers que les bord de fleuve. D’après un dossier de la Direction Générale Française de l’Urbanisation de l’Habitat et de la Construction, rédigé par Gabriele Lechner, le terme aurait son origine dans l’ouvrage de Bruttomesso « Waterfront ». A new Frontier for Cities on Water ».26 Ces espaces ont été ces dernières années le théâtre de projets de développement, de restauration et de protection de l’environnement, donnant en milieu urbain naissance à des espaces ouverts récréatifs ; comme, selon les cas, à des projets de création de zones d’activités haut de gamme, comprenant buildings et aménagements de luxe. Dans un cas comme dans l’autre ces projets participent d’un développement de la ville, de son image et de son identité. Particulièrement propices à des aménagements de grande envergure, les projets se sont multipliés sur les bords de rivières et fleuves urbains ces dernières années. En effet, les rivières urbaines sont devenues en quelques années des éléments structurels de l’aménagement de nombreuses villes des pays du « nord ». Par la même occasion, de nouvelles problématiques de régénération des cours d’eau, de nouveaux sentiments d’appropriation, de nouveaux usages ont vu le jour, entraînant de nouvelles politiques d’aménagement intégrant notamment la composante environnementale de l’eau. Ces espaces de réappropriation et de créations de nouveaux usages et pratiques, accompagnés d’une évolution des politiques urbaines, sont ditdits de « riverfront » et devenus centraux dans de nombreuses dynamiques métropolitaines.
Les premières reconversions d’anciens ports de commerces ou de cours d’eaux interieurs ont commencé en Amérique du Nord durant les années 60 (Baltimore, Boston, Chicago, etc.), avant d’atteindre l’Europe et ses métropoles vingt ans plus tard (Londre, Paris, Berlin, etc.). On observe donc le développement de nouveaux espaces urbains, généralement orientés vers une dynamisation du marché immobilier avec des habitations, des zones de plaisance ou des zones dédiées à la culture (et/ou le tourisme dans le même courant). Ces réalisations et leur impact, notamment leur potentiel économique, dans un contexte instable et à évolution rapide (voir la crise des subprimes de 2008), ont poussé les chercheurs à questionner la relation entre citadins et fleuves, ainsi que l’importance des espaces tampons que sont les berges : les « riverfronts » sont devenus progressivement un nouveau terrain d’étude de l’urbanisme à part entière. Associé aux prises de conscience environnementale, il est également le sujet de réflexions intégrant des notions nouvellement ajoutées à la pratique de l’urbanisme comme celle de « paysage » qui intègre elle-même les problématiques sociales et écologiques. Aujourd’hui, trois enjeux principaux guident les projets de « riverfront » : l’écologie (avec la préservation des zones aquatiques), l’économie (pour la création de zones d’activités particulièrement atypiques), et plus récemment le social (dans une démarche de reconnexion des habitants avec ces espaces de vie, et des projets à vocation récréative).
Les projets de « riverfront »
L’exportation des projets de « riverfront »
L’exportation de politiques publiques des pays du « nord » vers des pays du « sud » ,lesquels évoluent dans un contexte totalement différent où la différence d’enjeux peut entraîner des conséquences non maîtrisées, est un sujet de questionnement dans la discipline de l’aménagement (se référer aux études sur les « policy transfert»). Lorsque l’on observe les moteurs de création de lancement de projets de « riverfronts » en occident, on peut effectivement questionner leur transposition dans un pays où les rivières sont polluées à un stade extrême ; où les habitants n’ont pas de connexion avec ces espaces dont les villes Indiennes se sont détournées ; dans des économies dont l’explosion récente impacte encore dramatiquement la société, face à des problématiques sociales et environnementales fondamentales.
En Inde, le lancement de programme de financement des «100 Smart Cities » par le premier ministre Narendra Modi en 2014-2015 est autant un exemple qu’un catalyseur de ces transpositions de modèles occidentaux. En effet, avec l’objectif d’amener au développement de cent « smart cities », il vise à projeter les villes Indiennes qui font encore face aux nombreuses conséquences de leur explosion économique, au rang des plus grandes villes mondiales et de leurs enjeux respectifs. Les villes Indiennes, pour bénéficier des fonds du programme de soutien, comme pour rayonner à l’échelle internationale, sont appelées à proposer des projets innovants, inspirés des modèles occidentaux. Elles le font généralement avec l’assistance de cabinets Européens (France, Allemagne, Hollande, Angleterre, etc.) et Nord-Américains, avec une tendance au « copier-coller » de projets planifiés dans des contextes radicalement différents. Malgré la décolonisation, mais par le biais de la mondialisation, des nouvelles technologies de communication et d’information, ainsi que la pression de l’économie mondiale, les pays développés ont donc continué à imposer une normalisation des actions, des schémas et des modes (au sens de mode de vie et de modèles d’excellence), y compris dans le cadre de l’urbanisme.
Les villes Indiennes ont donc commencé à développer à leur tour leurs « riverfronts», avec pour vocation l’amélioration de la qualité et du cadre de vie, reposant sur des aspects économiques, sociaux et culturels. Les projets ont pour objectifs d’améliorer la structure spatiale et les conditions d’habitation des rives et espaces avoisinants. Ainsi les zones touchées profitent d’un regain d’attractivité, et attirent donc les investisseurs privés, participant à un regain de l’économie, et de ce fait à la stabilité de la ville. Ces politiques devant à terme améliorer les conditions de vies, avec plus d’espaces de loisirs et de commerces. Elles participent d’un désir d’amener certaines métropoles au rang de villes de classe mondiale. S’ensuit en théorie une augmentation des standards de vie et des conditions de vies des habitants (critiquées au nom de la paupérisation et de l’augmentation des clivages sociaux), avec des rivières restaurées et connectées à la ville, à sa croissance et son développement. De nombreuses villes Indiennes voient donc leur rapport à l’eau se modifier profondément en ce début de XXIème siècle. Ahmedabad, Pondichéry, Delhi, Chennai ou Bombay ; puis Nanded, Lucknow, Guwahati ou Pune, à une plus petite échelle, sont autant d’exemples de villes ayant enclenché une politique engagée de modification de leur rapport aux espaces aquatiques. Un des projets précurseurs de développement des « riverfronts » en Inde est celui de la rivière sacrée Sabaramati à Ahmedabad, mis en place par la « Sabaramati Riverfront Development Corporation Ltd » (SRFDCL). Il fait pour beaucoup aujourd’hui encore office de modèle d’excellence, autant qu’il est critiqué.
L’exemple de Sabaramati
« L’objectif originel était de fournir à Ahmedabad un environnement de waterfront qui ait du sens le long des rives de la rivière Sabaramati, et ainsi de redéfinir l’identité d’Ahmedabad autour de sa rivière. Le projet semble reconnecter la ville au fleuve, et positivement transformer les aspects négligés du « riverfront ». » .
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE I : CONTEXTE
I.A.LA VILLE DE CHENNAI
I.A.1.Histoire, Géographie et Démographie
I.A.2.Pauvreté et Crise du Logement
I.A.3.Les fleuves à Chennai
I.B.Politiques et Acteurs de l’aménagement des bords de fleuves en Inde et à Chennai
I.B.1.Aménagement des fleuves : Influence occidentale & projets de « waterfront »
I.B.2.Les projets de « riverfront »
I.B.3.Acteurs de l’Aménagement et de la Politique Urbaine
I.C.Cas d’étude : le fleuve Adyar
I.C.1.Évolution de l’urbanisation du fleuve au cours du temps
I.C.2.Situation actuelle de l’Adyar
I.D.Méthodologie
I.D.1.Projets Institutionnels et Usages
I.D.2.Question de Recherche et Hypothèses
I.D.3.Méthodologie et Outils de recherche
PARTIE II :Cartographie et Étude des Usages du Foncier et des Projets le long de l’Adyar
II.A.Usages et Pratiques
II.A.1.Pratiques : Analogies par groupes socio-économiques et secteurs d’activité
II.A.2.Cartographie
II.A.3.Étude des pratiques et de leurs répartitions
II.B.Projets Urbains Institutionnels
II.B.1.Restauration écologique de l’Adyar
II.B.2.Autres Projets
II.B.3.Cartographie
II.C.Analyses croisées
II.C.1.Méthode
II.C.2.Pratiques et Projets
II.C.3.Autres données Reliées
CONCLUSION
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