Accompagnement des viticulteurs à la réduction des intrants phytosanitaires par la méthode Optidose

L’impact des produits phytosanitaires sur la santé

L’impact des produits phytosanitaires sur la santé des utilisateurs et des consommateurs a largement été commenté. Selon l’OMS, ce sont 220 000 morts par an dues aux pesticides et 3 millions d’empoisonnement (Pimentel et al., 1997). Durant la période végétative de la vigne, la MSA recense un pic des symptômes d’irritation cutanée, hépato digestifs, neurologiques ou encore respiratoires et cardiovasculaires. Pour ce qui est de la santé des consommateurs, le règlement (CE) n°396/2005 régi la concentration seuil de résidus de pesticides tolérable dans ou sur les aliments grâce à l’indicateur de Limite Maximale de Résidus (LMR). Ces LMR sont définis pour chaque produit alimentaire et pour une matière active donnée. Ces seuils sont définis sur la base d’un niveau de consommation de l’aliment donné et de la Dose Journalière Acceptable (DJA) quotidienne de résidus qui peut être ingérée par l’Homme en toute sécurité. Pour la vigne, les LMR ne sont fixés que pour le raisin ; ce sont donc ceux là qui prévalent pour les analyses sur vins. Sur total de 2298 analyses faites sur raisins et pour 48 matières actives, seules 0,3% présentaient des teneurs en résidus supérieures aux LMR (plan de surveillance 1990-2003 DGAL-SDQPV). Sur les vins issus de ces raisins, seul un tiers des molécules analysées ont été retrouvées à un taux de transfert de 10 à 50%. L’étude PAN (Pesticides Action Network) faite sur 40 vins européens confirme ce résultat : les quelques molécules détectées étaient présentes à des concentrations 20 à 5000 fois inférieures aux LMR fixées dans le raisin. Néanmoins les craintes des consommateurs pour leur santé n’en sont pas moins grandes.
C’est dans ce contexte là qu’Alain Berthon, directeur de la filiale ardéchoise de la Maison Louis Latour, s’est engagé, dès 2012, dans une démarche de réduction des doses de produits phytosanitaires. En effet, alors que dans de nombreux pays européens (Allemagne, Suisse, Espagne, Italie), les doses homologuées de produits phytosanitaires varient en fonction de la situation à traiter (Codis et al, 2012), en France, il ne s’agit que d’une unique dose exprimée en quantité (kg ou L) par hectare cadastral. Cette dose homologuée est calculée pour une efficacité du produit dans les conditions les plus favorables au développement de la maladie (pression parasitaire, surface de végétal, qualité d’application, matière active).

Menaces épidémiologiques

Le vignoble est situé au sud de l’Ardèche entre les gorges de l’Ardèche et le massif du Coiron, sur des terroirs argilo-calcaires, régulièrement ventés et bénéficiant d’un bon ensoleillement. Ces conditions rendent peu propices le développement du mildiou ; la menace épidémiologique est alors dominée par l’oïdium. Dans un objectif de réduction des intrants phytosanitaires, les viticulteurs sont amenés à tolérer la présence de quelques symptômes à la parcelle. Il est alors devenu nécessaire de fixer un seuil de nuisibilité en intensité d’attaque des maladies fongiques sur grappe, au delà duquel les dommages sont considérés comme néfastes d’un point de vue qualitatif et quantitatif.

L’oïdium

L’oïdium est causé par le champignon ascomycète Erysiphe Necator, parasite obligatoire de la vigne (Pearson et Gadoury, 1992) . Celui-ci passe l’hiver soit dans les bourgeons sous forme de mycélium dormants (Sall et Wrysinski, 1982 ; Pearson et Gärtel, 1984), soit sur les écorces du bois ou les feuilles mortes, sous forme de cléistothèces (structures formées par reproduction sexuée à la surface des organes herbacés en fin de saison). Au printemps, avec la hausse des températures, les mycéliums dormant peuvent se développer en émettant des hyphes et envahissent les jeunes pousses. Le champignon pénètre ensuite dans les cellules grâce à des suçoirs lui permettant de s’alimenter. C’est le type d’inoculum primaire responsable des symptômes d’oïdium à drapeaux (Bélanger et al., 2002). Les cléistothèces, quant à eux, maturent et émettent des ascospores pouvant germer dès leur présence sur un organe herbacé ; il s’agit alors d’un inoculum primaire. Après pénétration dans les cellules, celui-ci produit, en surface, des conidiophores contenant les conidies. Ce sont ces conidies qui seront dispersées (essentiellement par le vent) et contamineront d’autres organes ou de nouveaux ceps. Elles seront à l’origine de contaminations secondaires. Plusieurs cycles asexués de ce type peuvent avoir lieu au cours de la saison. E. Necator se développe à des températures entre 4°C et 35-40°C avec un optimum à 25°C (Delp, 1954) et est stimulé par une humidité relative (HR) importante, avec un optimum de l’ordre de 85% (Carroll et Wilcox, 2003). Une vigne présentant un excès de vigueur avec un feuillage dense sera alors plus propice à son développement (Keller et al., 2003).

Le mildiou

Plasmopara viticola, l’agent du mildiou de la vigne, bien que moins virulent que l’oïdium sur le vignoble ardéchois du fait des conditions climatiques asséchantes (mistral, températures estivales élevées) et de l’implantation du vignoble sur des sols drainants. Bien que le Chardonnay y soit peu sensible, il n’est pas rare d’en observer quelques symptômes.
Dès que des phénomènes de pluie deviennent réguliers, l’hygrométrie élevée et les températures entre 11 et 30°C, des contaminations primaires peuvent avoir lieu par dissémination d’oospores (œufs d’hiver). Celles-ci sont contenues sur les feuilles mortes, les rameaux ou des baies momifiées et sont dispersées par éclaboussure sur les parties aériennes. Ces œufs peuvent se conserver plusieurs années dans les sols viticoles et des contaminations primaires de ce type peuvent avoir lieu tout au long de la saison. Le champignon pénètre alors dans les cellules par l’intermédiaire notamment des stomates et colonise les cellules végétales. Les premiers symptômes de feutrage blanc face inférieure puis de « tâches d’huile » face supérieure sont visibles après une période d’incubation d’une dizaine de jours suite à une contamination. En présence d’eau, des contaminations secondaires peuvent avoir lieu par dissémination de zoospores, fruit de la reproduction sexuée. La durée d’incubation est alors raccourcie et n’est plus que de 4-5 jours en conditions favorables. Les contaminations secondaires nécessitent des conditions climatiques similaires à celles de l’inoculum primaire (Lafon et Clerjeau, 1988). L’épidémie se poursuit alors par une succession de cycles secondaires. La période d’apparition des premiers symptômes primaires est donc cruciale et doit faire l’objet de traitements fongiques afin de contrôler l’épidémie (Gobbin et al., 2007). Le mildiou s’attaque préférentiellement aux organes jeunes et, s’il n’est pas contrôlé, peut provoquer des pertes de récolte importante.

Stratégie de lutte

L’oïdium est une maladie dont les premiers symptômes sont difficiles à observer (face inférieure des feuilles). Il est alors préconisé de commencer les traitements anti-oïdium à partir du stade 7-8 feuilles déployées, sauf sur cépages sensibles comme le Chardonnay ou dans le cas de parcelles historiquement sensibles où il est préférable d’avancer le premier traitement au stade 5-6 feuilles déployées. Après la véraison la sensibilité de la vigne diminue et la protection peut être arrêtée dès la fin de la véraison sur les parcelles saines (IFV, CA Languedoc-Roussillon, PACA, Rhône-Alpes). La vigne est sensible au mildiou dès l’apparition des premières feuilles et ce jusqu’à la véraison. Dans une stratégie de lutte raisonnée, les traitements anti-mildiou pourraient ne débuter qu’après apparition des premiers symptômes secondaires ou avant un épisode de pluie important. Néanmoins, les viticulteurs optent souvent pour une protection plus précoce et en préventif (dès le stade 5-6 feuilles déployées), quitte à faire des impasses après la floraison. Des symptômes peuvent réapparaître en fin de saison sous forme de mildiou mosaïque qui, s’il est précoce, peut entraîner une défoliation importante. De nombreux viticulteurs choisissent de traiter avec un anti-mildiou après vendange afin de maintenir le feuillage afin de favoriser la mise en réserve et diminuer le stock d’inoculum dormant.
Que ce soit pour la lutte contre le mildiou ou l’oïdium, le renouvellement des traitements se fait soit lors de l’observation de symptômes à la parcelle soit lors de la fin de rémanence du produit précédemment appliqué. En plus de cela, dans le cas d’utilisation d’un fongicide pénétrant ou de contact, le renouvellement doit se faire après une pousse de plus de 20 cm. Enfin après utilisation d’un fongicide de contact, s’ajoute la règle de renouvellement après un lessivage, soit un cumul de pluie d’au moins 20 à 25 mm. A noter que, à dose réduite, les matières actives risquent d’être lessivées dès 15 mm de pluie (CA de l’Ardèche).

Modélisation du risque épidémiologique

Les maladies cryptogamiques sévissant sur la vigne (oïdium, mildiou et black rot principalement) ont des phases d’incubation difficilement observables au vignoble. Au delà de ces périodes, une lutte chimique est inefficace et les cycles de développement peuvent être extrêmement rapides en cas de conditions climatiques favorables. La modélisation de la pression parasitaire est donc un outil indispensable pour la prise de décision liée aux traitements afin de miser sur du préventif et dans le cadre d’une lutte raisonnée : doses, matières actives, cadences. Ils permettent aux viticulteurs d’estimer le risque encouru et d’adapter leurs traitements en fonction. Aucun modèle n’ayant réellement fait l’unanimité auprès des différents acteurs du conseil viticole (distributeurs, Chambre d’Agriculture, conseillers de l’union des vignerons ardéchois, Maison Louis Latour), aucun consensus sur le modèle à privilégier n’a été trouvé. Il en découle une certaine incohérence et complexité des informations reçues par les viticulteurs.
La Maison Louis Latour Ardèche, quant à elle, semble se tourner vers la modélisation effectuée par la coopérative d’approvisionnement Bourgogne du Sud. Celle-ci a accès aux données météorologiques de la station météo mise en place par la Maison Louis Latour, à Lussas. Cette station comprend un pluviomètre, un pyranomètre, un capteur combiné de température et humidité relative de l’air, un capteur d’humectation des feuilles et un capteur de vitesse et direction des vents.
Un bulletin hebdomadaire avec les résultats des modélisations est transmis à la Maison Louis Latour . Le modèle de prévision du risque mildiou est une adaptation du modèle de prévision Positif, un développé par la société SESMA et distribué par Bayer depuis les années 2000. En 1983, S. Strizyck élabore le premier modèle, le modèle EPI (Etat Potentiel Infectieux) qui évalue un niveau de risque annuel en début de saison. Il s’intéresse pour cela à la qualité des œufs d’hiver. Il ne détecte pas les contaminations au cours de la saison. Un peu plus tard, les modèles dits «Potentiels Systèmes» (dont Positif) intègrent eux des données météorologiques (référentiel de minimum 30 années) et les valeurs de l’EPI (risque annuel) . Ce sont des modèles systémiques : ils prennent en compte les interactions complexes entre la vigne, le bioagresseur (Plasmopara viticola) et le climat afin de simuler le développement des populations de bioagresseurs.

Essais de Biocontrôle

Certains viticulteurs, pratiquant déjà la réduction des intrants phytosanitaires, ont souhaité aller plus loin dans la démarche de réduction de l’impact environnemental en intégrant, à leur programme de traitement, un produit de Biocontrôle. Comme le défini la Loi d’Avenir Agricole (2014) se sont des «agents ou produits utilisant des mécanismes naturels dans le cadre de la lutte intégrée contre les ennemis des cultures». Il s’agit de substances naturelles sans classement toxicologique et ne présentant pas de danger pour l’environnement. De nombreux produits de ce type sont apparus sur le marché ces dernières années, en réponse à la pression sociétale et politique visant à diminuer l’impact environnemental des productions agricoles. Dans cette étude, nous allons nous intéresser à un Stimulateur des défenses des plantes (SDP) aussi appelé Stimulateurs des Défenses Naturelle (SDN), classé produit de biocontrôle. SDN ou SDP ne réfère qu’à un mode d’action spécifique ; tous ne sont pas classés comme produits de biocontrôle. Est considéré comme SDP «toute substance ou tout micro-organisme vivant non pathogène qui, appliqué sur une plante, est capable de promouvoir un état de résistance significativement plus élevé par rapport à une plante non traitée, face à des stress biotiques» (RMT Elicitra, 2010).
Les SDP ont une action indirecte ; ils sont composés de matières actives induisant une réaction de défense de la plante en stimulant l’attaque d’un pathogène et/ou la détérioration de la paroi cellulaire de la plante. Ces molécules ont pour but, après application, de stimuler les défenses naturelles des plantes : d’une part le renforcement des défenses constitutives (paroi, cuticule, calloses) et d’autre part, l’activation des défenses actives. Ces dernières réfèrent à une réponse de la plante de type physique et localisée (destruction des cellules infectées afin de stopper la propagation de la maladie) ou biochimique. La plante synthétise alors des protéines PR (Pathogenesis Related) susceptibles de dégrader la paroi du pathogène (glucanases, chitinases), des composés antimicrobiens (phytoalexines) ou des composés oxydants toxiques (formes actives de l’oxygène).

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Table des matières

1. CONTEXTE DE L’ETUDE 
1.1 ENJEUX
1.1.1 UNE REGLEMENTATION INCITANT L’ADOPTION DE PRATIQUES PLUS DURABLES
1.1.2 L’IMPACT DES PRODUITS PHYTOSANITAIRES SUR LA SANTE
1.2 CONTEXTE ET TRAVAUX ANTERIEURS
1.3 MENACES EPIDEMIOLOGIQUES
1.3.1 L’OÏDIUM
1.3.2 LE MILDIOU
1.4 STRATEGIE DE LUTTE
1.5 OBJECTIFS DE L’ETUDE
2. MATERIEL ET METHODE
2.1 REGLAGE DES PULVERISATEURS ET PERFORMANCES
2.2 METHODE OPTIDOSE
2.3 SUIVI EPIDEMIOLOGIQUE A L’ECHELLE D’UNE EXPLOITATION
2.4 MODELISATION DU RISQUE EPIDEMIOLOGIQUE
2.5 ESSAIS DE BIOCONTROLE
2.5.1 DISPOSITIF EXPERIMENTAL DU VITIVULTEUR V1
2.5.1 DISPOSITIF EXPERIMENTAL DU VITIVULTEUR V1
3. RESULTATS ET DISCUSSIONS 
3.1 BILAN REGLAGE DES PULVERISATEURS
3.2 BILAN DE LA REDUCTION DES DOSES
3.2.1 PROGRAMMES DE TRAITEMENTS
3.2.2 INDICE DE FREQUENCE DE TRAITEMENTS
3.2.3 EFFET DE LA REDUCTION DE DOSE SUR LE RENDEMENT
3.2.4 REDUCTION DES COUTS
3.3 RESULTAT DE MODELISATION ET FIABILITE
3.4 VERS DES ITINERAIRES INNOVANTS : ESSAIS DE BIOCONTROLE
3.4.1 ESSAI N°1 : VITICULTEUR V1, ENCADREMENT DE LA FLORAISON
3.4.2 ESSAI N°2 : VITICULTEUR V8, DOSES CROISSANTE DE BLASON JUSQU’A LA NOUAISON
CONCLUSION 
BIBLIOGRAPHIE

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