Accompagnement de personnes addictes en psychomotricité

Installation et rencontres dans l’accueil libre

   Depuis le 12 septembre 2019, nous sommes présentes au CSAPA une fois par semaine, le jeudi matin. Nous avons choisi de consacrer les deux premiers jeudis de stage à l’observation ce qui nous permet d’appréhender le fonctionnement institutionnel, de rencontrer l’équipe et de créer un premier contact avec les usagers. Nous organisons avec la coordinatrice deux interventions d’une heure, sur un créneau de l’après-midi, afin d’introduire la psychomotricité à l’équipe. L’objectif est de nous présenter ainsi que notre future profession théoriquement mais aussi dans la pratique par plusieurs propositions : conscience et expressivité corporelles, relation à l’autre par le toucher, jeu de faire semblant, relaxation. Cette présentation théorico-pratique, à l’image de notre formation, a permis de nous ancrer dans l’institution et de nous intégrer au sein de l’équipe. Les jeudis matins, nous nous rendons visibles en modifiant l’espace du CSAPA : l’année précédente, les stagiaires en psychomotricité avaient mis en place une permanence sensorielle, projet que nous avons repris. L’objectif est de proposer un espace d’exploration sensorielle, présent tous les jeudis, au même endroit que précédemment, dans un renfoncement de mur dans un coin du centre. Cet espace semi-fermé, avec des stimulations sensorielles diverses, peut être un espace contenant. Nous installons deux poufs, un fauteuil, une couverture, des caches rouges sur les lumières du plafond et une table sur laquelle nous mettons une bougie, un baume chauffant, un diapason, un diffuseur coloré d’huiles essentielles et des balles à picots. Nous proposons ainsi d’explorer des sensations visuelles, vibratoires, tactiles, sonores, olfactives. Cette installation dans un coin de l’accueil permet aussi d’offrir un coin plus calme et d’évaluer la capacité de chacun à se poser dans un lieu où nous observons de nombreux mouvements, des bavardages, des cris, des rires, des déplacements. La permanence est installée toute la matinée mais nous n’y sommes pas toujours présentes, nous rendant à certains moments dans l’espace café pour aller à la rencontre des usagers et depuis janvier, pour travailler en groupe autour d’un magazine collaboratif. Cette proposition a pour objectif d’accompagner les usagers dans le développement de leur créativité, leurs capacités de symbolisation, dans la relation à l’autre. Ce sont les rencontres qui vont être le point de départ de notre projet thérapeutique. Nous cherchons à adopter une position de « réceptivité sensorielle » dont parle Potel (2015, p. 63). Nous sommes attentives à notre posture, à notre régulation tonique, à notre voix, à notre présentation psychocorporelle. Les premiers échangent arrivent très vite, les usagers ont l’habitude de serrer la main de tous lors de leur arrivée. C’est ainsi le toucher qui vient établir le premier contact. Tout au long de l’année je rencontre des mains petites, grandes, douces, fermes, souples, dures, furtives, insistantes, froides, moites. Je reçois alors des informations sensorielles essentielles qui enrichissent mes observations psychomotrices. Ces poignées de mains m’amènent à appréhender le tonus des personnes rencontrées. Je suis attentive également à la motricité globale de chacun dans leurs postures, leurs mouvements, leurs déplacements. J’observe le rapport qu’ils entretiennent à l’espace, à l’environnement et aux autres. Les voix m’interpellent dans la tonalité, la musicalité, j’entends des voix rauques, graves, cassées, fragiles, rieuses, tremblantes. Les odeurs corporelles sont imprégnées parfois par la poussière, l’alcool, le tabac et me donnent à ressentir la grande précarité qui les touchent pour la plupart. Je rencontre également des peaux marquées par de nombreux reliefs, que ce soient tatouages, piercings, cicatrices, rougeurs, gonflements ou piqûres. Tous mes sens sont aiguisés et sont parfois pris dans ce tourbillon que j’observe tous les jeudis.

Observations psychomotrices et premier entretien

   Lorsque Nicolas entre dans le bâtiment, il dit bonjour à tout le monde en serrant la main aux différentes personnes présentes et s’inscrit sur la feuille de rendez-vous du pôle médical. Ce rituel ne peut être perturbé : j’ai pu l’entendre à plusieurs reprises interpeller des professionnels et des usagers qui ne venaient pas lui serrer la main. Nicolas s’installe soit sur les bancs du côté de l’espace café soit dans un des poufs de la permanence sensorielle, les jambes croisées, le regard dans le vide. Il fait des allers-venues afin de fumer une cigarette à l’extérieur du bâtiment. Il peut s’adresser à nous ou aux autres de manière assez soudaine sur des sujets qui reviennent régulièrement : il nous montre sur son téléphone beaucoup de chansons d’Amy Winehouse, de l’air « défoncé » qu’elle présente sur ses vidéos, comme fasciné par cette femme. Il peut aussi aborder son homosexualité, sujet très ambivalent qu’il affirme et nie à la fois, en insultant parfois ceux qu’il nomme les « PD ». Il nous parle de ses maux de ventre, de sa cirrhose au foie qui pourrait se transformer en cancer puis en crabe, le dévorer de l’intérieur et provoquer sa mort, quelque chose qu’il qualifie à répétition de dangereux. Ce discours ramène à des angoisses archaïques telles que la dévoration et l’intrusion, que nous retrouvons dans les structures psychotiques, et je me pose ainsi la question de la conscience que Nicolas a de son corps et de ses limites. Lorsqu’il parle de son corps, il parle presque uniquement de douleurs. Dans le groupe, Nicolas peut déranger : j’ai ressenti parfois de l’agacement autant chez les professionnels que chez les usagers mais je ne suis pas certaine qu’il le perçoive. Lors du premier jour de stage, le 12 septembre, il nous demande si nous pouvons tout de suite commencer à travailler avec lui comme Elise et Emy l’ont fait l’année dernière afin de faire des « exercices ». Nous lui expliquons que nous allons prendre le temps de trouver nos marques durant les deux premiers jeudis mais que nous pourrons nous voir par la suite. Le temps de la rencontre nous semble primordial et nous voulons passer par un temps d’observation pour ne pas tomber dans un agir immédiat qui me semblerait une réponse collée à une problématique récurrente de l’addiction, être dans l’agir ici et maintenant. Le jeudi suivant, il nous formule de nouveau une demande pour travailler ensemble, nous fixons un rendez-vous pour la semaine suivante. Nicolas est alors absent et lorsque nous lui proposons de se rencontrer pour un premier entretien la semaine suivante il décline, expliquant qu’il ne se sent pas très bien, qu’il est trop fatigué. La temporalité semble marquée de ruptures, elle n’est pas continue et me semble le reflet des limites que je perçois de Nicolas. Finalement, le 24 octobre, lors d’une discussion avec lui dans l’accueil autour de ses douleurs au dos notamment, des contractions, nous lui proposons de nouveau de nous rencontrer, ce qu’il accepte. Nous nous rendons avec lui dans la salle mise à notre disposition le jeudi, le bureau du médecin, et nous installons sur des chaises. Durant cet entretien, Nicolas s’assoit sur une chaise en face de moi, Florine se trouve sur sa gauche. Il garde sur lui son grand manteau noir. Il est assis plutôt en arrière et semble assez tendu musculairement, non pas de l’ordre d’une carapace tonique mais plutôt comme un jeune adolescent qui ne sait comment positionner son corps. Cette image presque enfantine reviendra régulièrement dans les postures de Nicolas : sa grande taille, son apparence physique et vestimentaire montre bien un homme d’une cinquantaine d’années mais sa démarche et ses attitudes, les pieds traînant un peu, les bras ballants, la posture parfois affalée dans le pouf me renvoient l’image d’un jeune adolescent mal dans sa peau, pour Nicolas qui justement nous dit non pas être mal mais avoir mal. Sa première demande est de faire tout de suite des exercices de yoga. Nous lui expliquons que nous avons quelques questions afin de mieux nous connaître pour commencer un travail en psychomotricité. Nous avons fait le choix d’enregistrer nos entretiens, nous lui demandons donc son accord qu’il nous donne en signant l’autorisation. Il semble tout de même un peu inquiet d’être enregistré, il se met à parler fort en voyant le téléphone. Nous le rassurons et il reprend un niveau sonore plus ajusté. La voix de Nicolas est très changeante selon son discours, elle n’est pas monotone. Je trouve ici une forme de vie, un mouvement, en opposition à un élément qui pourrait être figé, comme son regard dans le vide lorsqu’il est silencieux. Lorsqu’il parle d’un évènement douloureux, les sanglots sont là, lorsqu’il parle de ses consommations il chuchote, il crie avec indignation lorsqu’il parle d’un viol subi lorsqu’il était âgé d’une vingtaine d’années. Quant à son discours, il est assez éparpillé, incohérent, les associations d’idées ne sont pas évidentes. J’ai l’impression qu’il vient ici déverser beaucoup d’angoisses, il aborde des sujets dont il ne parle pas avec nous en dehors de cette salle, même sur la permanence sensorielle lorsqu’il est seul avec nous. Il nous parle de la mort, de la religion, de viol, de sexualité, de son adolescence ,etc., sujets qui touchent directement la sphère intime. Ce qui me frappe est le contraste entre la violence des propos qu’il nous expose et la façon dont il s’exprime : j’ai l’impression de voir un acteur et en même temps de voir beaucoup d’émotions le traverser. Je sens comme un décalage entre le discours et le véritable vécu corporel. Sa voix  présente un mouvement, des contrastes, elle est vivante et pourtant l’ensemble du discours ne semble pas incarné, ses manifestations corporelles sont comme superficielles et n’entrent pas en résonance avec ses propos. Il bouge peu, son visage est peu expressif, lorsqu’il exprime avec des mots de la tristesse, il tient sa tête dans ses mains mais le reste de son corps n’incarne pas cette émotion marquée de violence dans son discours.

La cocaïne et le crack

   La cocaïne est une forme transformée de la coca, extraite des feuilles d’Erythroxylon Coca produites majoritairement en Amérique du Sud. Elle se présente sous la forme d’une poudre blanche, souvent coupée avec d’autres produits, qui peut être sniffée, fumée, inhalée ou encore injectée. Elle fait partie des psychostimulants et donne à son consommateur une impression de « plus grande assurance et une meilleure estime de soi, une euphorie, une impression d’énergie accrue, une accélération des processus psychiques donnant un sentiment d’acuité mentale et parfois de toute puissance […], une illusion de maîtrise et d’hyper-efficience (notamment dans les tâches professionnelles) » (Michel & Morel, 2015, p.159). La tolérance impose d’augmenter les doses pour obtenir le même niveau d’effets. Le crack, appelé « caillou », est un dérivé de la cocaïne, diluée dans l’eau et à laquelle est ajouté du bicarbonate de soude ou de l’ammoniac puis ce mélange est chauffé afin d’obtenir un produit sous forme de cristaux, de cailloux.. La cocaïne est donc « basée », c’est pourquoi le crack est aussi nommé free base ou cocaïne basée. Le produit est consommé pour la plupart des usagers en utilisant une pipe à crack qui permet l’inhalation du produit. Les effets sont très rapides et intenses et le craving est très présent.

Les traitements de substitution

   Les traitements de substitution aux opiacés (TSO) reposent sur le principe de « mimétisme neurobiologique » (Auriacombes & Fatseas, 2004, cités par Magnin & Morel, 2015, p.427) : ils disposent d’effets pharmacodynamiques similaires à ceux du produit addictif. Les objectifs de ces traitements sont :
– apaisement et prévention du syndrome de manque
– diminution de l’envie ou du besoin de consommer
– compenser des dysfonctionnements biologiques et/ou à en atténuer les effets perceptibles. Ils sont une solution alternative au sevrage, qui peut être brutal. Il existe deux TSO principaux : la méthadone et la Buprénorphine Haut Dosage (BHD). La méthadone est un opiacé largement utilisé dans le traitement des dépendances aux opiacés. Elle est généralement prescrite en unidose journalière et doit permettre un sevrage doux, avec une diminution des dosages progressive. Elle vient réguler les sensations d’euphorie et les symptômes de manque induits par l’abstinence. Elle comporte un risque d’overdose important ce qui justifie sa réglementation stricte. La BHD, contrairement à la méthadone, est un agoniste partiel des opiacés. Ce traitement permet un sevrage plus court et le risque de surdosage est moindre. Dans les effets indésirables de ces traitements, nous retrouvons les dysfonctions sexuelles, l’hypersudation, la prise de poids induite par les modifications des comportements alimentaires, la constipation. En cas de surdosage, il peut entraîner un excès d’euphorie, une somnolence et une sédation, ce qui est parfois recherché par les usagers, notamment avec le BHD dont l’usage est détourné. Certains consommateurs pratiquent l’injection, parfois associée à d’autres prises de produits, dans une « recherche d’effets à tonalité euphorique (« effet pic ») rappelant les expériences vécues avec l’héroïne » (Magnin, Morel, 2015, p.430). La prescription par le médecin de l’un ou l’autre des traitements est pensée en fonction des problématiques singulières de chaque usager. Nous notons que les traitements de substitution agissent sur les effets neurobiologiques des différentes substances et non sur le processus d’addiction qui est un mécanisme dans lequel un malaise interne se répète et ne peut se résoudre par la prise de substances. Ainsi, le sevrage n’est pas toujours évident et c’est pourquoi nous rencontrons des personnes sous méthadone depuis de nombreuses années qui ne peuvent arrêter leurs consommations. Les TSO doivent être prescrits dans le cadre d’une prise en charge médicale, sociale et psychologique globale, comme c’est le cas en CSAPA.

L’enveloppe sonore

  Les voix, les sons, les respirations qui leur sont propres, particulièrement de Nicolas m’ont fortement interpellée au CSAPA et c’est pourquoi je m’attarde ici sur le concept d’enveloppe sonore que D. Anzieu décrit comme une enveloppe psychique qui se développe parallèlement à l’interface bidimensionnelle du Moi-Peau. Il existe un « miroir sonore, ou [une] peau auditivo-phonique » (Anzieu, 1995, p.184) qui enveloppe et contient ainsi l’appareil psychique dans sa capacité à signifier et à symboliser. Le bain sonore dans lequel est plongé le bébé par les sons de sa mère (voix parlée et chantée, sons corporels internes comme les gargouillis, etc.) se veut enveloppant et lui permet d’accéder à un volume. D.Anzieu avance ici la métaphore d’une « caverne » (1995, p.196) dans lequel apparaît un premier espace psychique où le son marque la qualité de l’objet. Pour Freud, les cris du bébé sont d’abord une décharge motrice de l’excitation interne, à la manière d’un réflexe. Ce n’est qu’ensuite qu’il devient son de communication. Il me semble que Nicolas rejoue la construction de cette enveloppe sonore : je la retrouve dans son rire, tonitruant, qui fait écho à cette notion de décharge mais également dans les variations de sa voix lors de son discours, variations qui tentent de marquer la qualité de ses vécus. Je crois que la musique, qu’il écoute en permanence à l’aide d’écouteurs, vient jouer ce rôle d’enveloppe sonore.

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE I : STAGE EXPERIMENTAL EN CSAPA : CADRE, DISPOSITIFS ET RENCONTRES
I. Élaboration du projet
II. Notre terrain clinique : le CSAPA
A. Présentation
B. Équipe et missions
C. Population accueillie
D. Organisation spatio-temporelle
1. Les temps d’accueil
2. Les temps d’équipe
3. Organisation spatiale
III. Premiers pas et mise en place du projet
A. Installation et rencontres dans l’accueil libre
B. Construction du projet thérapeutique
IV. Vignettes cliniques
A. Nicolas
1. Rencontre
2. Anamnèse
3. Observations psychomotrices et premier entretien
4. Projet thérapeutique et début de prise en charge
5. Evolution
B. Viviane
1. Rencontre
2. Anamnèse
3. Entretien
4. Projet thérapeutique et début de prise en charge
5. Évolution
PARTIE II: LECTURE PSYCHOCORPORELLE DE LA PERSONNE ADDICTE
I. Définition d’une addiction
A. Addiction
B. Toxicomanie
1. Classification des substances psychoactives selon leurs effets psychocorporels
2. Spécificités des produits consommés par les usagers rencontrés au
CSAPA
3. Réduction des Risques
C. Les traitements rencontrés en addictologie
1. Les traitements de substitution
2. Autres traitements prescrits en addictologie, en lien avec les éventuelles comorbidités
II. Enveloppes
A. Le Moi-Peau
1. Le concept
2. Les fonctions
B. La seconde peau musculaire (E. Bick)
C. L’enveloppe sonore
D. La sensorialité
III. Sémiologie psychomotrice
PARTIE III : DISCUSSION, LA PSYCHOMOTRICITÉ EN CSAPA
I. Espace et temps de la rencontre, adaptation du projet de stage 
A. Le temps
B. L’espace
C. L’enveloppe institutionnelle
II. Les enjeux de la rencontre
A. Stagiaires, futures psychomotriciennes : engagement psychocorporel et fonction contenante
B. Les propositions individuelles : relaxation et toucher
1. Le toucher
2. La relaxation
C. Les propositions groupales : le magazine collaboratif et la permanence sensorielle
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
RÉSUMÉ

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