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Du principe de mixité à celui de mixité parl’habitat
La mixité, parce qu’elle correspond à une distribution équilibrée des populations dans l’espace, est devenue l’objectif majeur de la politique de la ville, symbole de l’unité urbaine dans des villes marquées par la ségrégationet la montée des tensions. Elle est souvent perçue comme une réponse à l’ensemble des p roblèmes sociaux du monde urbain. Une part importante des élus considère que la mixité sociale est la solution majeure à la crise urbaine actuelle, qui est elle-même la traduction dans l’espace de la fracture sociale. Ainsi J-P. CHEVENEMENT (1998), dans un papier à pro pos de l’intercommunalité adressé au journal Le Monde, dénonce «la montée des communautarisme» et « la ghettoïsation des quartiers » qu’il oppose aux valeurs républicaines et défendle principe d’une plus grande mixité sociale. La pensée de J-P . CHEVENEMENT (1998) est caractéristique du discours politique sur la mixitésociale. En effet, le principe de mixité sociale est sans cesse évoqué par les personnalitéspolitiques en opposition à la ghettoïsation, notion souvent galvaudée et jamais définie dans les discours mais qui trouve un large écho dans les médias et dans la société.
Lors d’entretiens menés auprès d’acteurs politiques, mais aussi associatifs et institutionnels, œuvrant dans les quartiers sensibl es havrais, nous avons observé quatre positions différentes vis-à-vis de la mixité sociale (cf. SCHÉMA 2.01 p.64). La première est celle qui, partant du principe que les quartiers sensibles sont des quartiers de grande mixité, consiste à déléguer l’objectif de mixité aux autres quartiers. Ce type de discours reconnaît par ailleurs les problèmes sociaux des banlieues. Les acteurs qui l’emploient (ENTRETIENS A2 et P1 surtout) adoptent dans un second temps, l’une des trois autres positions sur la mixité. Néanmoins, cette expression traduit leur agacement face à des demandes d’adaptation constante des banlieues et de leurs habitants : les minorités visibles devant s’intégrer et faire preuve de leur intégration et les ZUS produire davantage de mixité. Pour ces acteurs, les efforts demandés sontà sens unique ce qui leur paraît insupportable à entendre. Le principe de mixité sociale n’est pas pour autant remis en cause.
Une seconde position témoigne d’une adhésion tant ua principe de mixité qu’aux actions entreprises pour atteindre cet objectif. Alors qu’on pourrait penser que ce discours est surtout institutionnel et politique, quelques acteurs associatifs l’ont repris à leur compte, et dans un cas avec beaucoup plus de conviction que les responsables de la politique de la ville et les élus. Le moment où s’est déroulée l’enquête est certainement en cause. De nombreux aménagements dans le cadre de la rénovatio urbaine – notamment des petits pavillons locatifs dans le quartier de la Mare-Rouge – sont sortis de terre peu de temps avant certains entretiens. En plus de ces nouveautés, des réunions de communication sur le renouvellement urbain réunissant les directeurs decentres sociaux et d’associations se sont déroulées. Ainsi, nous avons observé des divergences de points de vue parmi les salariés d’une association (ENTRETIEN A2), où le directeur se réfugiait derrière des propos émanant de la municipalité.
Les deux dernières positions sont très proches. Dans les deux cas, même si le principe de mixité n’est pas directement remis en question, il demeure une utopie pour ces acteurs. Les divergences relèvent de la fonction des acteurs : ceux du milieu associatif raisonnent d’abord en terme d’incompatibilité entre l’idée collective et les stratégies individuelles (ENTRETIEN A2 / « Les gens ne voudront jamais venir dans notre quartier. ») alors que les acteurs institutionnels (élus et responsables d’institutions) parlent d’abord des difficultés techniques qu’ils rencontrent à attirer ou à maintenir les habitants normaux dans ces quartiers, difficultés qui traduisent le même ressenti que les acteurs associatifs. (ENTRETIEN AI2 / « On ne peut pas obliger les gens à s’y installer. » ou encore ENTRETIEN P2 / « C’est trop demander aux habitants. »). Les limites entre ces quatre positions sont bien entendu perméables. Et il n’est pas rare qu’un acteur en partage plusieurs. Dans aucun de ces discours, même s’il est un peu égratigné dans les deux derniers, le principe de mixité n’est remis en cause dans son fondement. L’ensemble des acteurs convient implicitement qu’une plus grande mixité sociale serait une réponse pleine et entière aux problèmes des quartiers sensibles.
Il paraît alors nécessaire d’établir une distinctio entre la mixité sociale, principe général de la diversité sociale des populations dans un territoire, dans un lieu ou dans l’usage d’un service, et la mixité sociale par l’habitat, dimension restrictive de cette mixité dans la localisation résidentielle des personnes dans un même espace (quartier, commune…). Cette précision permet de distinguer le principe de mixité de l’une de ses modalités d’application. Or, parce que la mixité par l’habitat est la forme la plus aboutie de mixité sociale, dans l’hypothèse où cette coexistence génère de véritables échanges entre habitants, le principe et son application sont trop souvent confondus. Si la mixité sociale est indéniablement le meilleur outil pour permettre aux populations en situation d’exclusion sociale de « s’en sortir » 20, elle ne s’exprime pas uniquement à travers une diversité sociale dans l’occupation résidentielle d’un quartier. Cette version restrictive ne prend pas en compte la dimension de la mobilité quotidienne qui permet aux individus de se soustraire partiellement, selon leur capacité demobilité, à leur espace de résidence.
Cet intérêt pour une mixité par l’habitat dans lesactions conduites au nom de la politique de la ville relève en partie du mythe de la mixité dans le passé où toutes les classes sociales cohabitaient. L’historienne A. FOURCAUT (1996) conteste cette idée selon laquelle, dans la ville préindustrielle, les groupes sociaux auraient été répartis de façon harmonieuse alors même que persiste cette vision d’une division sociale basée sur un mode vertical : les familles les plus riches habitant dans les premiers étages, alors que l’on trouvait au dessus d’autres familles moins fortunées et tout en haut les domestiques. Cette division sociale verticale n’était pas aussi répandue que l’on se l’imagine. La ville a toujours été construite à partir de processus ségrégatifs, qu’évoquent aussi O. MONGIN (2005) et J. DONZELOT (2006) lorsqu’ils parlent des populations miséreuses des faubourgs et du déplacement des classes laborieuses en périphérie dès le 19ème siècle, mais également M. RONCAYOLO (1982) qui relate « les dimensions historiques de la division » (p.110) de la ville.
Ce mythe a perduré notamment parce qu’il a été alimenté dans l’après-guerre, dans un contexte de pénurie de logement, par une mixitésociale forte dans les grands ensembles de la reconstruction. À propos de l’hypothèse selon laquelle l’arrivée des immigrés auraient fait fuir les classes moyennes des quartiers populaires rompant de fait une mixité établie, D. BECHMAN (1995) précise que «chacun sait pourtant que la réalité est inverse : l’arrivée des immigrés ne fait que révélele caractère temporaire et exceptionnel, dans un contexte de reconstruction, du passage des classes moyennes dans un habitat populaire » (p.35). La mixité sociale dans l’habitat bénéfiec pourtant de cette vision mythifiée, répétée dans chaque dénonciation de laégrégations alors même que celle-ci a des fondements historiques.
La politique de la ville pour corriger les effets de la ségrégation
Afin de corriger le développement d’inégalités territoriales, les différentes phases de la « politique de la ville » ont toujours inscrit l’objectif de mixité au centre de leurs actions, sans pour autant parvenir à l’atteindre. M ais, malgré le souhait collectif d’une mixité sociale étendue à l’ensemble de la ville, les logiques individuelles de localisation résidentielle participent au contraire à un renforcement de la ségrégation urbaine.
La politique de la ville : un moyen d’action pour la mixité sociale
Depuis l’éclatement au grand jour des premiers dysfonctionnements des banlieues, l’État s’est engagé à résoudre les problèmes d’inégalités territoriales par la mise en place d’une politique à destination de ces quartiers, désignée généralement sous le nom de politique de la ville bien qu’elle ne concerne concrètement qu’une partie de celle-ci. Il n’est pas question ici de présenter de manière exhaustive l’ensemble des dispositifs de la « politique de la ville » et leur évolution mais plutôt de montrer ses grandes orientations et leurs conséquences dans l’objectif de résorption des disparités économiques et sociales. Mais il s’agit aussi de mettre en perspective, à l’ instar du sociologue J. DONZELOT (2003 et 2006), le choix français d’une action qui s’est orientée progressivement vers les quartiers – place – plutôt que vers les gens – people – alors même que cette question se pose en ces termes en d’autres contrées.
« politique de la ville » en France21, phases qu’il oppose dans l’ordre d’intervention à celles opérées aux Etats-Unis. Il les définit autour de trois mots : « gens, agents et lieux » (cf. CHAPITRE 4). La première correspond aux politiques Habitat et Vie Sociale (dès les années 70) ou au Développement Social des Quartiersdont l’objectif était de s’appuyer sur les habitants des banlieues, leur dynamisme, leurs compétences, pour valoriser ces quartiers et les réinsérer dans la ville. Les moyens étaient résolument tournés vers les gens, notamment par le financement d’associations ou de régies de quartier. La seconde phase, dans le courant des années 90, visait surtout à une discrimination positive territorialisée afin de remettre à niveau les quartiers en termes d e services publics (améliorer leur accessibilité et leur qualité) et d’emplois. L’action était alors dirigée vers les agents ou les entrepreneurs par des incitations à travailler ou à s’implanter dans les cités. La dernière phase (vers 2000) concerne la politique de rénovation urbaine dont le projet est de transformer les quartiers sensibles par le financement massif de projets de réhabilitation, de démolition et de construction des logements sociaux dans les quartiers. Chaque phase signifie qu’un accent particulier est mis sur un modèle d’action, sans que les autres types d’intervention ne soient pour autant laissés de côté. Bien que présent dès les prémices de la politique de la ville, le concept de mixité s’est progressivement affirmé à travers ces trois phases jusqu’à devenir aujourd’hui pour un grand no mbre d’acteurs une évidence, plus particulièrement envers la mixité par l’habitat, une de ses modalités.
Les modalités d’application de cette mixité ont longtemps été assimilées à la réintroduction des classes moyennes dans les quartiers sensibles, par l’attractivité de la taille des logements, faisant alors porter l’effort de mixité uniquement sur les communes dont une partie et parfois la totalité du territoire était en situation d’exclusion sociale. Sans remettre complètement en cause cette stratégie quise poursuit notamment par la rénovation urbaine, la mixité commence à être généralisée à laville. En prolongeant certaines dispositions de la Loi d’Orientation pour la Ville (1990) qui n’a jamais été vraiment opérationnelle, la loi Solidarité et RenouvellementUrbain (SRU), notamment à travers son article 55, préfigure un changement de cap dans lesméthodes engagées afin de favoriser la mixité sociale, comme l’explique P. SUBRA (2006). Alors qu’auparavant les politiques de mixité sociale consistaient à réintroduire les clases moyennes dans les quartiers qu’elles avaient désertés par une incitation auprès des communes (financements importants des opérations de réhabilitation) comme des habitants logements( confortables à prix modestes), la loi SRU a bouleversé cette méthode traditionnelle. L’article 55 qui concerne un certain nombre de communes urbaines22 prévoit en effet que toutes ces communes devront atteindre un seuil de logements sociaux équivalent à 20% de l’ensemble des résidences principales de la commune sous peine desanctions financières (152 € /an et par logement social manquant) et de l’intervention du préfet pour bâtir ces logements en se substituant à la municipalité.
Les banlieues : le résultat des logiques ségrégatives
En effet, ce que la politique de la ville s’efforce de corriger, les pratiques individuelles de localisation résidentielle et les inégalités sociales le reproduisent à nouveau. Le peuplement des banlieues est alors largement dicté par des processus ségrégatifs qui rendent inefficace toute tentativede mixité. Les grands ensembles qui composent aujourd’hui une part importante des banlieues françaises n’ont pourtant pas toujours été peuplés par des populations de classespopulaires et/ou issues des vagues d’immigration récentes. En effet, construits pour les premiers au lendemain de la seconde guerre, ces nouveaux quartiers ont d’abord eu pour mission de reloger tous les sinistrés, suite aux bombardements et aux destructions. Les grands ensembles les plus récents devaient accompagner l’urbanisation française, part iculièrement forte pendant les « Trente Glorieuses ». Ce n’est qu’au milieu des années 1970 que les problèmes de concentration dans le même espace des classes populaires et des nouveaux immigrés (provenant majoritairement du Maghreb, de Turquie ou d’Afrique subsaharienne) ont commencé à apparaître, devenant plus délicats encore avec la montée du chômage et de l’exclusion sociale au cours des années 1980.
Selon É. MAURIN (2004), le passage des grands ens embles aux quartiers sensibles n’est pas tant le résultat de la concentration des personnes en situation d’exclusion sociale dans un même lieu que celui de la désertion de cesquartiers par les classes moyennes et supérieures. La plupart de ceux qui le peuvent quitent ces quartiers. La ségrégation est d’abord un phénomène d’agrégation des classes supérieures entre elles. Chaque groupe social cherche dans la mesure du possible à se dist inguer de celui qui lui est immédiatement inférieur, afin de limiter tout risque de disqualification sociale (MAURIN, 2004). Cela se traduit par l’émergence d’espaces présentant une certaine homogénéité interne.
Aux États-Unis, où la ségrégation se fonde à la fois sur la catégorie sociale et la couleur de peau, information statistique recensée, des modèles pour mesurer la ségrégation et son évolution ont été élaborés par des économistes. T. SCHELLING (1971, 1980) a construit l’un d’entre eux en partant du principe q ue les citadins développent des stratégies de recherche d’homogénéité liée à un seuil de tolérance à la différence. Ses études sur quelques quartiers américains ont montré comment l’arrivée d’une ou plusieurs familles noires dans un quartier blanc déclenchait un certain nombre d’évènements en chaîne dont l’aboutissement pouvait être la mutation du quartie blanc en quartier noir.
Le problème des banlieues françaises est du même ordre. La plupart des habitants qui ont la possibilité de quitter ces quartiers le font, abandonnant ainsi les banlieues aux populations les moins favorisées. Le taux de vacance des logements dans ces quartiers est particulièrement élevé et reflète bien la répulsionde ces espaces pour une certaine catégorie de citadins. Il est de 8,2 % dans les ZUS alors qu’il n’est que de 7 % pour l’ensemble du territoire national (DIV/ONZUS, 2006) . Lors d’un entretien, un responsable de l’animation de la ville du Havre, responsable dans le passé d’un centre social du quartier de Caucriauville (ENTRETIEN AI1), divisait en deux catégories les habitants du quartier : ceux qui sont là « par échouage», et ceux qui ont fait un « mauvais placement financier » lors de l’achat de leur appartement. Le quartier de Caucriauville est en effet composé de logements sociaux et de résidences privées. Or, leprix du foncier de ces résidences s’est effondré , ne permettant pas à leurs propriétaires de revendre leur logement à un prix assez élevé pour aller s’installer ailleurs. Ces habitants sont donc, selon lui, contraint de rester dans leur quartier. Pour la composition des ZUS en général, le géographe J-C. BOYER (2000) insiste sur la présence de familles en transition dans ces quartiers, c’est-à-dire en phase d’ascension sociale. Ces résidents, souvent jeunes, restent quelques années avant d’avoir les moyens financiers de quitter les banlieues pour accéder à la propriété ailleurs. Les ZUS n’ont pour eux qu’un caractère transitoire. Toujours au cours de l’ENTRETIEN AI1, l’acteur interrogé rappelle que quelques-uns des habitants, parmi les plus âgés, restent à Caucriauville simplement p arce qu’ils se plaisent dans ce quartier dont ils partagent l’histoire. Ils ne souhaitent pas en partir, espérant que la situation s’améliore. D’après lui, d’autres restent aussi parce qu’ils y ont acquis un certain statut, qu’ils perdraient s’ils s’installaient ailleurs : c ’est le cas de certains dockers, pourtant bien rémunérés, qui vivent toujours à Caucriauville parce qu’ici ils sont « au dessus du lot ». Néanmoins, ces personnes seraient de moins en moins nombreuses dans les quartiers sensibles du Havre, les familles qui partent n’étan pas remplacées par d’autres de même condition sociale.
Une ségrégation manifeste : l’exemple havrais
Malgré un accord général sur le principe, la mixitésociale dans l’habitat ne parvient pas à s’imposer dans la pratique. Une étude quantitative de la ségrégation sociale dans l’agglomération havraise montre que la division sociale de l’espace est particulièrement forte et que les espaces d’exclusion peuvent être rèst facilement localisés à l’aide de données statistiques facilement accessibles. Ce type de mesure de la ségrégation s’inscrit dans la continuité de recherches d’abord menées outre-atlantique par des sociologues et géographes américains (notamment ceux de l’Ecole de Chicago et leurs héritiers), importées en France il y a une quinzaine d’années par J. BRUN et C. RHEIN (1994) entres autres. Pour cette analyse, la notion de ségrégation est considérée dans un sens assez large24, c’est à dire, selon F. MADORÉ (2005) sans qu’elle ne comporte une intention de la part des multiples acteurs qui, par leurs « petites décision » (SCHELLING, 1980), participent à la ségrégation. En reprenant la définition de Y. GRAFMEYER (1994), citée par F. MADORÉ (2005), cette étude, comme toutes celles apparentées au courant d’écologie urbaine factorielle, se rapporte à la première façon de « décrire la ségrégation : mesure des distances résidentielles entre des groupes définis sur des bases démographiques, mais surtout sociaux ou ethniques» (p.47). L’analyse statistique suivante, réalisée sur l’agglomération havraise à partir des données du recensement de 1999 (INSEE/RGP, 1999), fait apparaître la division sociale de l’espace. Mesurer la ségrégation spatiale est une opération délicate. Dès la conception méthodologique de l’analyse, nous avons du être vigilant à intégrer à la fois des indicateurs exprimant la ségrégation et d’autres apportant, sur les contrastes observés, des informations d’une autre nature. Une analyse factorielle26 combinant un certain nombre d’indicateurs s’est révélée être la meilleure solution afin d’observer d’éventuels effets ségrégatifs et d’en évaluer l’importance. Elle permet aussi de procéder à une classification hiérarchique des entités spatiales observées et d’en produire une typologie.
Les axes factoriels, révélateurs d’une ségrégation résidentielle
Après le choix de la méthode, la tâche la plus délicate fut certainement de sélectionner les indicateurs les plus adaptés traduisant à la fois les effets ségrégatifs et la localisation spatiale dans l’agglomération, et permettant de les distinguer les uns des autres. Des indicateurs concernant la structure des ménages et de la population (âge, taille des ménages, type de logement) ont donc été sélectionné au même titre que d’autres traduisant plutôt les différences sociales (catégories socioprofessionnelles, niveau d’études, chômage, nationalité) (cf. ANNEXE n°04).
Le Havre est une commune étendue qui inclut ses propres banlieues : l’analyse ne pouvait alors s’exercer qu’à une échelle infra-communale. L’échelle retenue fut donc l’IRIS, entité géographique produite par l’INSEE d’environ 3000 habitants (chiffre très fluctuant) présentant une continuité voire une homogénéité urbaine. Ce maillage de l’espace permet une analyse fine. Mais un certain nombre de données ne sont pas accessibles à cette échelle, notamment celles relatives aux déplacements domicile/travail et à la nationalité des étrangers. Les données disponibles limitent également l’analyse de la ségrégation : ainsi, il n’est pas possible de démontrer quantitativement une ségrégation ethnique ou raciale, même si l’observation empiriqu tend à valider son existence. En l’absence de statistiques ethniques en France, la variable « étrangers » de l’INSEE constituera donc une approche imparfaite du niveau de diversité ethnique de chaque quartier ; imparfaite car, fondée sur la nationalité, elle ne permet pas de prendre en compte les enfants français dont les parents sont immigrés et parce qu’elle inclut également des individus de nationalité étrangère qui ne seront pour autant pas perçu comme tels dans les représentations (notamment ceux dits de type caucasien dans la typologie américaine). Cette variable « étrangers » minimise le facteur ethnique parce qu’elle a tendance à sous-représenter les minorités visibles qui sont pourtan les populations prises en compte lorsqu’il est question de l’ethnicité. Les indicateurs retenus dans cette analyse seront donc l’âge, la taille des ménages, le type de logement, le statut des occupants du logement, la possession d’un véhicule, les catégories socioprofessionnelles, le taux d’activité, le taux de chômage, le niveau d’études et la part d’étrangers.
Pour ne pas biaiser les résultats de l’analyse factorielle, les IRIS représentant moins de 200 habitants ont été écartés de l’analyse statique. La plupart des variables étudiées obtenaient des valeurs aberrantes pour ces individus statistiques. Au nombre de 9, ces IRIS correspondent à la zone industrialo-portuaire, à la forêt de Montgeon, à une partie du quartier Dollemard proche de l’aéroport d’Octeville-sur-mer et enfin à un IRIS de la commune de Montivilliers qui comprend un grand centre commercial, des zones d’activités et d’autres terrains non résidentiels (cf. ANNEXE n°04). Ne désignant pas spécifiquement de quartiers sensibles de l’agglomération et, surtout, n’étant pas des zones majeures de peuplement résidentiel, nous avons choisi de ne pasles inclure dans notre analyse.
L’analyse factorielle réalisée ici nous permet demettre en évidence trois axes dont l’interprétation permet de mettre à jour des phénomènes d’intégration et d’exclusion sociale (AXE 1), de localisation centrale ou périphérique (AXE 2) et, enfin, de répartition des actifs et des retraités (AXE 3).
Entre intégration et exclusion sociale
Le premier axe factoriel (cf. GRAPHIQUE 2.01 p.80) oppose à la fois des indicateurs d’ordre économique et d’ordre social. Ainsi, une extrémité de l’axe se compose des variables représentant les propriétaires de leur logement, de 2+ voitures, les professions intermédiaires et les cadres, les diplômés au delà du baccalauréat et les 40 à 59 ans. Ces derniers apparaissent dès lors comme la tranche d’â ge de l’intégration économique et sociale notamment dans leur opposition avec l’autre extrémité de l’axe qui se définit par les variables décrivant des chômeurs, des locataires, des non-diplômés, des ouvriers, des non-motorisés et des étrangers (sans surreprésentation d’une quelconque classe d’âge). L’un des côtés de cet axe décrit donc la réussite rofessionnellep et sociale tandis que l’autre représente l’exclusion.
C’est l’information principale fournie par l’analys e : l’axe résume à lui seul 42% de l’information . Chaque individu de notre ensemble statistique étantun IRIS et sachant que tous ces IRIS se répartissent plus ou moins bien lelong de cet axe, nous nous apercevons que la localisation résidentielle des ménages s’organise plus selon une logique de ségrégation sociale que dans le cadre d’un positionement géographique spécifique à l’âge des individus et à la taille des ménages.
Validation de notre typologie et confrontation aux modèles de ségrégation
Afin de valider le modèle havrais, nous avons reproduit l’analyse dans les mêmes conditions sur l’agglomération rouennaise. Si les axes factoriels diffèrent, la typologie obtenue présente par contre de nombreuses similitudes avec celle du Havre (cf. CARTE 2.04 p.96). Les divergences entre les axes factoriels des deux analyses s’expliquent moins par des configurations différentes dans les agglomérations havraise et rouennaise que par un basculement des axes. Lorsque les axes havrais proposent des contrastes thématiques de ségrégation sociale ou de distance au centre, les euxd premiers axes rouennais associent ces critères et opposent, pour le premier axe, les quartiers des classes sociales supérieures localisés en périphérie aux quartiers populaires centraux et, pour le second, les quartiers intégrés du centre à ceux plus populaires de la périphérie. Néanmoins, malgré ce basculement des axes, les deux grandes forces de division de l’espace, à savoir la ségrégation sociale ou l’opposition centre / périphérie, caractérisant l’espace havrais sont toujours aussi majeures dans la configuration de l’agglomération rouennaise.
Dès lors, la typologie havraise peut être adaptée ci, moyennant quelques aménagements. Il faut d’abord être vigilant sur unecomparaison brute entre les IRIS appartenant à des classes similaires puisque celles -ci n’ont pas été réalisées à partir d’un même ensemble de données et qu’il existe donc un contexte propre à chaque agglomération étudié. Un quartier populaire havraiset un quartier populaire rouennais n’ont donc pas une identité statistique commune, ce sont leurs positions respectives dans l’organisation de l’espace de leur agglomération qui permet de les qualifier ainsi. Pour Rouen, une partition en 7 classes s’est révélée laplus pertinente, un groupe de 3 individus se séparant précocement des autres en raison d’un euplement singulier, celui des résidences universitaires.
Hormis, cette particularité, l’espace rouennais se distingue de celui du Havre d’une part par la dissociation des quartiers les plus bourgeois de ceux du centre-ville, et d’autre part, en raison de l’absence de quartiers « transitionnels ». L’explication de ces différences tient certainement à l’ancienneté du centre-ville rouennais alors que celui du Havre fut reconstruit après la seconde guerre mondiale. Dans le cas rouennais, le centre ancien présente encore des signes de mixité ce qui le distingue des quartiers bourgeois proches. Dans le cas havrais, nous observons plutôt une oppo sition sociale interne au centre-ville, qui n’existerait pas à Rouen, puisque l’on passe di rectement d’un centre aisé vers des quartiers populaires, similaires à ceux de la premi ère couronne. Mises à part ces quelques singularités, les deux typologies sont proches.
Le principal enseignement des résultats havrais est l’illustration statistique d’une dichotomie Est/Ouest de l’agglomération havraise à partir de critères sociaux avec un Ouest, proche de la mer, qui attire les classes moyennes et supérieures ou plutôt un Est, proche des activités polluantes de la zone industrielle et des infrastructures lourdes de transport d’entrée de ville, qui les repousse. La division rouennaise serait plutôt structurée sur un schéma Nord/Sud qui s’estompe au profit d’une organisation déterminée par les vallées industrielles. Celles-ci exercent un effet répulsif pour les classes sociales élevées, ce qui se traduit par leur occupation par les classes populaires. L’urbanisme des grands ensembles s’est alors juxtaposé à cette organisation urbaine, ce qui a eu pour effet de renforcer par endroit les anciennes ségrégations oud’en produire de nouvelles. L’analyse factorielle sur les deux agglomérations et la classification ascendante hiérarchique qui s’en suivit révèle donc qu’au modèle classique « centre-périphérie » en cercles concentriques d’E. BURGESS s’ajoute un grad ient social qui divise la ville en secteurs radiants comme celui de H. HOYT, ou de faç on polynucléaire comme l’ont montré C. HARRIS et T. ULLMANN : ces modèles sont otamment décrits par P. CLERC et J. GAREL (1998) (cf. SCHÉMA 2.03, p.95). « Plus récemment, l’écologie factorielle décèle, au moins dans certains types de ville, unetendance à la superposition de ces trois schémas, selon que l’on prend en compte la distribution des caractéristiques démographiques et familiales, les différenciationsà base économique et statutaire ou, enfin, les phénomènes de ségrégation ethnique dansl’espace urbain » (GRAFMEYER, JOSEPH, 1979, p.26). Cependant, dans le cas des deux agglomérations étudiées, nous observons une corrélation forte entre les quartiers des étrangers et ceux de l’exclusion sociale la plus marquée. Cette situation renforce l’hypothèse que les quartiers sensibles soient des espaces de relégation.
La grille de lecture de J. DONZELOT (2006), selon laquelle l’espace urbain se restructure autour des trois phénomènes « relégation », « périurbanisation » et « gentrification », est alors un bon mode d’interprétation de notre typologie et d’extrapolation de son évolution. Une connaissance empirique des mutations des quartiers du Havre nous renseigne sur les transformations des quartiers autour de l’université en cours de gentrification (démolition/reconstruction, reconquête des friches industrielles).
Certains quartiers en première périphérie connaissent le même destin, que révèle une hausse du prix du foncier plus élevée que dans le ester de l’agglomération. Cela a pour conséquence de rendre ces espaces inaccessibles aux classes populaires et à certains segments de la classe moyenne qui poursuivent leur échappée vers le périurbain. Malgré les chantiers de rénovation urbaine, l’image des quartiers sensibles reste relativement inchangée. Ils demeurent alors les espaces où se concentrent les fragments les déshérités de la population havraise.
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Table des matières
Introduction générale
1ère partie – De la ségrégation à l’enclavement : les banlieues au cœur des processus d’entre-soi
Chapitre 1 – Nommer les grands ensembles : enjeux et positionnement
1.1 La cité et les cités
1.2 Les banlieues : expression d’une distance
1.3 Le ghetto : quartier ethnique ou quartier fermé ?
Chapitre 2 – La mixité sociale : un mythe ?
2.1 Vers un échec de la politique de mixité sociale dans l’habitat
2.2 Une ségrégation manifeste : l’exemple havrais
Chapitre 3 – L’enclavement: une autre façon d’analyser les banlieues
3.1 Prolonger le concept de ségrégation
3.2 L’enclavement dans la ville
3.3 Vers un renouvellement du concept d’enclavement
2ème partie – Les banlieues, espaces enclavés
Chapitre 4 – Les banlieues : des quartiers en rupture
4.1 Entre rupture et discontinuité
4.2 Accentuer ou produire de nouvelles ruptures : les paradoxes de la politique de la ville
4.3 Des ruptures sociocognitives
Chapitre 5 – Les banlieues, territoires d’assignation
5.1 Accessibilité aux biens et services dans les banlieues : le rôle des acteurs privés
5.2 Se rapprocher des usagers et occuper le terrain : la stratégie de la proximité des services publics dans les ZUS
5.3 Les banlieues : entre assignation et enclavement
3ème partie – Sortir des quartiers : la mobilité quotidienne dans les banlieues
Chapitre 6 – Mesure et représentation de la mobilité quotidienne des habitants des ZUS
6.1 Evaluer la mobilité dans les banlieues
6.2 La mobilité dans les banlieues au crible des représentations
Chapitre 7 – Vers une mobilité spécifique dans les banlieues
7.1 Présentation et premiers résultats de l’enquête / p.299
7.2 La spatialité des mobilités
7.3 Des centralités différentes
Conclusion générale
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