L’omniprésence de molécules asymétriques dans le monde vivant explique l’intérêt actuellement porté au contrôle de la stéréochimie en synthèse organique. En effet, l’existence de la chiralité dans les molécules naturelles est une condition nécessaire à leur reconnaissance par les récepteurs biologiques . La chiralité des récepteurs (enzymes, membranes …) implique très souvent des propriétés biologiques différentes pour les deux énantiomères d’un mélange racémique. Parmi les molécules d’intérêt industriel dont les deux énantiomères présentent des activités différentes on peut citer les cas de l’albuterol 1 où l’énantiomère (S) a un effet broncho-dilatateur et antiasthmatique tandis que le (R) augmente l’hypersensibilité du trait respiratoire, de même la (S)-ketamine 2 est un anesthésique et un analgésique tandis que le (R) produit des hallucinations et agitation.
L’exemple le plus connu est celui de la thalidomide 3 ; à la fin des années 1950 ce sédatif doux était commercialisé en Europe sous la forme d’un mélange racémique (Contergon®).
Le médicament était surtout utilisé par les femmes enceintes pour le traitement des nausées matinales. Après quelques années de commercialisation, de nombreuses malformations chez les nouveaux nés ont été attribuées à l’usage de la thalidomide. Une étude pharmacologique sur les animaux a montré que l’activité tératogène néfaste était essentiellement due à l’énantiomère (S). Retirée du marché au début des années 1960, elle est revenue sur scène tout récemment comme traitement éventuel contre la lèpre et en tant que médicament antitumoral et anti-inflammatoire en phase clinique.
L’obtention de molécules chirales est donc l’une des préoccupations actuelles et importantes des chimistes organiciens. Il existe plusieurs stratégies pour accéder aux composés énantiomériquement purs. La première peut s’effectuer par l’utilisation d’un synthon chiral qui est le plus souvent une molécule naturelle. Ceci va permettre une transformation hautement stéréosélective pour aboutir à l’énantiomère désiré. Une autre méthode utilise des composés racémiques, qui, par résolution, peuvent conduire à des produits énantiopurs. Cette méthode a un grand intérêt pour l’industrie car elle permet l’obtention de quantités importantes de produit optiquement pur . Par contre l’inconvénient de cette approche est que le rendement théorique pour un énantiomère est de 50%, sauf dans le cas où l’énantiomère non souhaité peut être recyclé. Finalement la dernière méthode, et probablement la plus efficace, pour accéder à des produits chiraux, est la synthèse asymétrique , et, surtout la catalyse asymétrique .
Accès aux alcools chiraux : Généralités et mécanismes
Les alcools chiraux sont des intermédiaires clés pour la synthèse de nombreuses molécules cibles, notamment pour la préparation des produits biologiquement actifs. Les alcools optiquements purs permettent l’introduction d’un centre stéréogène sur la molécule grâce au groupement hydroxyle qui peut être transformé aisément en plusieurs fonctions chimiques. L’exemple suivant montre la synthèse d’un antiallergique (Zyrtec® ) 4 et antidépresseur (Prozac® ) 5 par l’intermédiaire d’un alcool énantiomériquement pur.
L’importance de cette famille à l’échelle industrielle a contribué au développement de plusieurs protocoles de synthèse, l’obtention des alcools chiraux peut être réalisée par différents mode d’accès nous pouvons citer par exemple : les réactions d’aldolisations, les réactions d’hydrosilylation, l’addition d’un nucléophile sur un carbonyle ou encore l’ouverture énantiosélective des époxydes. L’utilisation des oxazaborolidines pour la réduction asymétrique de cétones constitue un mode d’accès très intéressant aux alcools optiquement purs. La réaction s’effectue grâce à l’addition conjointe de diborane en tant que réducteur et de l’oxazaborolidine chirale en tant que organocatalyseur ou un auxiliaire chiral. Cette méthode est très sollicitée, l’une des premières applications industrielles est la synthèse de la (R) denopamine 6 utilisée en médecine cardiovasculaire contre les infarctus congestifs.
Bien que les énantiosélectivités soient élevés, les réactions précédentes nécessitent l’emploi des inducteurs chiraux en quantité au moins stœchiométrique. Ainsi la réduction asymétrique par le biais des oxazaborolidines repose sur la grande dissymétrie stérique des cétones pour avoir des excès énantiomériques élevés, ce qui limite fortement l’utilisation de ce procédé. De même, si le substrat présente un hétéroatome susceptible de coordonner l’atome de bore de l’oxazoline, comme les noyaux pyridiniques par exemple, le processus n’est plus catalytique, mais stœchiométrique. Face aux inconvénients de ces diverses méthodes, l’hydrogénation asymétrique par voie catalytique se présente comme une technique de choix. Deux cas sont possibles selon la source d’hydrogène mise en œuvre : l’hydrogène moléculaire pour les réactions d’hydrogénation et l’isopropanol, l’acide formique ou le formiate de sodium pour les réactions de transfert d’hydrure .
Réduction asymétrique de cétones prochirales par l’hydrogène moléculaire
Depuis sa découverte par Knowles et Horner , la réduction asymétrique de doubles liaisons prochirales par l’hydrogène moléculaire a fait l’objet de nombreuses revues. C’est une méthode de choix pour la création de centres chiraux avec d’excellentes stéréosélectivités. L’hydrogénation asymétrique d’oléfines, de cétones, et d’imines a connus un essor considérable en chimie pharmaceutique, en cosmétique ou en agrochimie. La réduction par catalyse asymétrique d’un carbonyle implique l’utilisation de complexes organométalliques avec des ligands chiraux coordinés à des métaux de transition (groupe VIII), tel que : le rhodium, le ruthénium ou l’iridium.
Historique
L’utilisation de complexes de métaux de transition associent à des ligands chiraux a permis de développer de nouvelles méthodes de synthèse asymétrique très efficaces, que ce soit a l’échelle académique ou industrielle. La première synthèse asymétrique industrielle a été la préparation de la (L)-dopa 7 chez Monsanto en 1975 par W.S. Knowles en utilisant un complexe de rhodium avec une diphosphine chirale « (R,R)-DIPAMP » 8 comme ligand chélatant , (Schéma 4). Ce médicament a été commercialisé par la société Hoffmann-LaRoche comme médicament anti Parkinson.
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Table des matières
Introduction générale
Première partie : Accès aux alcools chiraux : Généralités et mécanismes
Introduction de la première partie
Chapitre I : Réduction asymétrique de cétones prochirales par l’hydrogène moléculaire
I-1- Introduction
I-2- Historique
I-3- Mécanisme réactionnel…
I-4- Exemple de réduction asymétrique par l’hydrogène moléculaire
I-5- Conclusion
Chapitre II : Réduction énantiosélective de cétones prochirales par transfert asymétrique d’hydrure
II-1- Introduction
II-2- Source d’hydrure
II-3- Utilisation de l’isopropanol ou l’acide formique comme source d’hydrure
II-4- Utilisation du formiate de sodium comme source d’hydrure
II-4-1- Mécanisme réactionnel
II-4-2- Généralités sur les ligands hydrosolubles
Les diamines
Les amino-amides
Les amino alcools
II-5- Evaluation de ligands hydrosolubles pour la réduction asymétrique de cétones
II-5-1- Principe de la méthode de criblage
II-5-2- Criblage de catalyseurs par des méthodes chromatographiques
II-5-3- Evaluation de ligands de type proline amide pour la réduction asymétrique de cétones aromatiques dans l’eau par criblage multi-substrats
II-6- Conclusion
Conclusion de la première partie
Deuxième partie : Réduction asymétrique de cétones dans l’eau par le Ru (II) avec deux familles de ligands chiraux
Introduction de la deuxième partie
Chapitre I : Evaluation d’une série de ligands hydrosolubles par criblage multisubstrats sur une sélection de cétones aliphatiques prochirales
I- 1- Introduction
I-2- Choix des cétones aliphatiques prochirales
I-3- Synthèse des alcools aliphatiques racémiques
I-4- Mise au point de l’analyse simultanée des alcools racémiques par CPG chirale
I-5- Choix des ligands chiraux
I-6- Synthèse des ligands chiraux
I-7- Réduction de cétones dans l’eau avec le système catalytique Ru (II) / L.A1
I-8- Évaluation de ligands pour la réduction énantiosélective de cétones par transfert d’hydrure dans l’eau par criblage multi-substrats
I-9- Validation de la méthode d’évaluation de ligand par criblage multi substrats
I-10- Conclusion
Chapitre II: Réduction asymétrique de cétones par des complexes de Ru-ligands de type hémisalènes
II-1- Introduction
II-2- Réduction asymétrique de l’acétophénone avec un ligand de type hémisalène
II-3- Synthèse des ligands de type hémisalène
Les aminoalcools
Les aldéhydes
Réaction de couplage aldéhyde-aminoalcools
II-4- Réduction de l’acétophénone avec divers catalyseurs
a. Ligands L.B
b. Ligands L.C
c. Ligands L.D
II-5- Optimisation du précurseur métallique
II-6- Réduction asymétrique de cétones aromatiques avec le système catalytique [RuCl2 (mesitylene)] 2 / L.B26
II-7- Conclusion
Conclusion générale