Acceptation sociale de l’évolution des pratiques de gestion par les jardiniers des espaces verts

Actuellement une part importante de la population française vit dans une aire urbaine. Depuis quelques années, on remarque que pour les citadins la présence d’espaces verts en ville, devient de plus en plus indispensable. Dans une dynamique de quête de nature en ville les espaces verts constituent une vraie opportunité. Ce sont des espaces qui accomplissent diverses fonctions qui peuvent être regroupées en trois grandes catégories : urbanistique, sociale et environnementale (BOUGE, 2009). Un rôle urbanistique puisque ces espaces aident à l’absorption des eaux de pluie, apportent une esthétique bénéfique garantissant l’attractivité des villes, renforce la visibilité des villes par la diversité des paysages qu’ils forment et protègent des nuisances sonores auxquelles les villes sont confrontées. Les espaces verts ont également un rôle social, ils se révèlent être des espaces de détente récréatives et sportives essentiels pour la qualité de vie des habitants, ces espaces peuvent constituer la base d’une éducation environnementale. Enfin, les espaces verts ont un rôle environnemental. Dans un contexte de changement climatique ces îlots assurent une thermorégulation des villes, une épuration chimique et bactériologique de l’air et des sols et permet même une régularisation de la biodiversité. Désormais, les espaces verts ne sont plus seulement considérés comme des accessoires urbains contribuant à l’esthétique et au décor de la ville mais comme de vrais aménagements urbains, sociaux et environnementaux. Au cours des quarante dernières années en France, au sein des services d’espaces verts et d’urbanisme des collectivités, la gestion et la préservation de ces espaces verts sont devenues des enjeux de plus en plus pris en compte dans les dynamiques urbaines.

Dans les espaces verts gérés par, des élus des collectivités, entretenu par des jardiniers et fréquentés par un grand nombre d’utilisateurs, l’emploi des pesticides a engendré durant de nombreuses années de grands débats. Derrière l’utopie d’un jardin parfait ne nécessitant que peu d’entretien grâce aux pesticides et un siècle après la création de ce business, ces substances chimiques ont suscité de nombreux questionnements (MENNOZI,2007). Au regard des informations révélant les risques sur la santé humaine et sur l’environnement que ces produits chimiques causent (ALFA BOUKARI, 2017). de nombreuses communes ont commencé à introduire des initiatives afin de supprimer les pesticides de la liste des produits autorisés pour entretenir leurs espaces verts, ceci dans l’objectif de préserver leur environnement et leur population. En complément, le 22 juillet 2015, fut adoptée par l’Assemblée nationale, la loi Labbé de transition énergétique pour la croissance verte, stipulant qu’il est désormais « interdit aux personnes publiques d’utiliser ou bien faire utiliser des produits phytosanitaires pour l’entretien des espaces verts, forêts, promenades et voiries (sauf pour des raisons de sécurité …) accessibles ou ouverts au public ». Cette nouvelle norme forme le point de départ de la dynamique du changement de la gestion des espaces verts.

Représentation et perception des nouvelles pratiques par les jardiniers des espaces verts 

Une analyse des représentations et des perceptions liées au métier de jardinier des espaces verts et aux nouvelles pratiques est importante si on veut comprendre les obstacles qui pourrait apparaitre avec ce changement. La perception est définie comme « la capacité de mettre en relation notre expérience présente de l’environnement avec les expériences passées stockées en mémoire » (HEARN,1986). Les représentations sociales consistent en des opinions, des croyances, des stéréotypes, des symboles et des attitudes interconnectées (DUFOUR et al,2003).

Les jardins à la française du XVIIème siècle constituaient une des références essentielles pour les jardiniers (GEIB,2016) Terrassés, linéaires, réguliers, sans mauvaises herbes, montrant l’art d’une taille savante des végétaux, ces jardins proches de la perfection formelle étaient souvent perçus par les jardiniers et par les utilisateurs comme un exemple à adopter pour les espaces verts. Par tradition, l’aménagement des espaces verts faisaient l’objet d’une dégradation du milieu en espèces végétales endémiques qui parallèlement impliquait une diminution faunistique. En réduisant l’espace vert à l’artifice, la tradition horticole avait défendu des techniques aptes à garantir l’aménagement des espaces verts sous « un bel aspect contrôlé ». (LE CRENN-BRULON,2012). La végétation des espaces verts devait se conformer à certains critères : discipline des haies, des pelouses et des massifs de fleurs, régularité des compositions, tels que décrit dans le modèle horticole (ALLAIN, 1997). La nouvelle norme sur les espaces verts a donc guidé les nouvelles pratiques jardinières. (LE CRENN-BRULON, 2012).

Les jardiniers des espaces verts sont confrontés, avec l’instauration de cette nouvelle gestion, à une remise en question des pratiques généralement acquises en école d’horticulture (TOUCHARD,2009). Ils doivent remettre en cause les concepts esthétiques de qualité, venus de leur pratique, structurant leur représentation et accepter que ce qu’ils ont fait pendant des dizaines d’années ne soit plus d’actualité (DAHERON, 2010). Les techniques alternatives sont des techniques non conventionnelles du point de vue du modèle horticole et changent donc les références jardinières (LE CRENN-BRULON,2008). Après avoir été conventionnés à l’horticulture, formés à la gestion des paysages, les jardiniers des espaces verts doivent désormais assimiler des compétences environnementales, écologiques, mais aussi sur la faune et la flore endémique (PARNAUDEAU,2009).

La relation du jardinier avec la mauvaise herbe est très intéressante à analyser puisqu’on se rend compte qu’une fois que cette relation, que cette perception « de la mauvaise herbe » évolue, les jardiniers deviennent mieux disposés à communiquer autour des évolutions de mesure de gestion (TOUCHARD,2009). Tout d’abord, cette relation dépendrait de la génération. L’ancienne génération accoutumée à une certaine conformité de l’espace : propre grâce aux désherbants, voit désormais de l’herbe pousser sur les trottoirs ce qui dénote au regard des pratiques antérieures. L’ancienne génération habituée à un référentiel du modèle horticole est conditionnée dans ces gestes techniques (CHARBONNIER et al, 2016). Dans l’ancien modèle horticole, les herbes spontanées étaient automatiquement éliminées (MENNOZI,2007). Laisser des herbes après l’entretien allait à l’encontre de la conception des jardiniers aussi bien concernant l’espace urbain que la qualité du travail effectué (MENNOZI,2007). Ces nouvelles pratiques s’éloignent de leur perception du « travail bien fait » (LE CRENN-BRULON, 2012), comment avoir l’impression d’avoir bien fait son travail si on laisse derrière soi des « mauvaises herbes » ? (MENNOZI,2007). Les critères du métier ont dû changer avec l’évolution des pratiques de gestion : le jardinier qu’on blâmait parce qu’une herbe poussait ou dépassait au mauvais endroit se voit aujourd’hui complimenté de ne pas l’avoir enlevée (PARNAUDEAU,2009). Les plantes spontanées sont désormais intégrées au paysage et à l’espace urbain (MENNOZI,2007).

Méthode appliquée à cette recherche 

Sélection du cas d’étude 

Un site a été sélectionné pour cette étude il s’agit de la ville de Blois, ma problématique sera donc étudiée à partir du cas des jardiniers de cette ville. Cette sélection s’est appuyée sur plusieurs critères : tout d’abord, mon projet de recherche, comme expliqué précédemment, s’inscrit dans le programme de recherche «Biensur», les études concernant la diversité floristique et microbienne des espaces verts, vont ou ont été effectuées sur cette ville, il apparaissait donc cohérent de mener le volet sociologique sur cette même ville. De plus, Blois a aussi été choisi vis-à-vis de sa proximité de Polytech Tours facilitant les allers-retours pour effectuer les entretiens.

Mon projet de recherche sera donc axé sur la ville de Blois. L’organisation de la ville est composée de plusieurs services dont le service parcs et jardins, espaces naturels où j’ai mené la partie recueil de données. Chaque ville possède un service qui s’occupe des espaces verts, pour faciliter la suite de la rédaction j’appellerai plus globalement le service parcs et jardins, espaces naturels de la ville de Blois : le service espaces verts (SEV). Le SEV de la ville de Blois est composé de 59 personnes et 8 saisonniers l’été. Il a pour mission la gestion des espaces verts de la ville et plus précisément : l’entretien du patrimoine végétalisé, la plantation de végétalisation, l’adaptation des plans de gestion, la conception, la production de massifs de fleurs, etc… La gestion des espaces verts de la ville de Blois est répartie en six secteurs, chaque secteur est composé d’un « responsable de secteur » qui a la charge de plusieurs jardiniers.

Ce choix de cas d’étude m’a amené à réorienter la problématique de cette recherche qui était initialement « Acceptation de la démarche zéro pesticide par les jardiniers des espaces verts ». En effet, la ville de Blois a arrêté l’usage des pesticides depuis plusieurs années c’est donc désormais une pratique ancrée et qui ne semble plus vraiment questionnée autant chez les jardiniers que chez les gestionnaires . Nous avons donc décidé de réorienter la problématique de cette étude vers une problématique qui interroge plus l’aspect technique de l’intensité de gestion et plus largement sur « l’acceptation sociale de l’évolution des pratiques de gestion chez les jardiniers des espaces verts de la ville de Blois ».

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Table des matières

Introduction
Partie 1 : Objet et objectifs de la recherche
I. Contexte de recherche
II. Etat de l’art
Représentation et perception des nouvelles pratiques par les jardiniers des espaces verts
III. Questions de recherche et hypothèses
Partie 2 : Méthode appliquée à cette recherche
I. Sélection du cas d’étude
II. Observation de terrain
III. Les enquêtes
III. A. Le guide d’entretien
III.B. Déroulement des entretiens
III.C. La retranscription des entretiens
Partie 3 : Résultats
I. Construction d’une typologie propre à l’étude
II. Echelle de gestion
III. Tableau de profil des interviewés
Partie 4 : Discussion
I. Différentes manières d’être jardinier des espaces vertes au sein de la ville de Blois
I.A Une diversité des identités professionnelles
I.B La complexité de la résistance au changement
I.C Conclusion de cette première partie
II. La gestion des espaces verts, une gestion qui semble très contrainte
II.A Gestion contrainte par le regard de l’autre
II.B L’information et la sensibilisation : des outils qui pourraient permettre de changer le regard des usagers
II.C Conclusion de cette deuxième partie
III. L’existence de rapport de force qui semble fragiliser l’acceptation
III.A Une notion hiérarchique
III.B Une co-construction de cette nouvelle gestion pour limiter les rapports de force et impliquer les jardiniers « conservateurs » dans ce changement ?
III.C Conclusion de cette troisième partie
IV. Cette évolution de gestion est-elle synonyme de perte de technicité pour les jardiniers des espaces verts ?
IV.A Le passage d’un métier d’action à un métier d’observateur
IV.B Les inventaires naturalistes, une stratégie qui semble intéressante pour revaloriser le métier de jardinier des espaces verts
IV.C Conclusion de cette quatrième partie
V. Une vision monofonctionnelle des espaces verts
V.A Une segmentation de l’offre en espace vert
V.B Transition d’un espace vert fonctionnel vers un espace vert multifonctionnel
V.C Conclusion de cette cinquième partie
Conclusion générale

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