Le 28 juillet 2010, la résolution n°64/292 de l’assemblée générale des Nations Unies reconnaît le droit à l’accès à une eau potable, salubre et propre ainsi qu’à l’assainissement, comme un droit humain « essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme ». Avec cette résolution, elle réaffirme le rôle prépondérant des pays développés à apporter des ressources financières, à transférer les technologies nécessaires et notamment des systèmes d’assainissements satisfaisants pour permettre aux populations mondiales de disposer d’une eau potable afin de régler de façon définitive les problèmes d’accès à cette ressource précieuse et vitale à l’humanité.
1% seulement du volume total d’eau douce de la planète est facilement accessible et utile pour l’homme soit 0,025% du volume total d’eau de la planète. Cette eau utile subit les plus fortes pressions par les activités humaines dont l’impact a déjà amorcé d’importantes variations environnementales. Le cycle hydrique n’échappe pas à ces grands changements et s’en trouve également bouleversé. Des perturbations dans la distribution et la disponibilité de la ressource en eau douce à travers le globe se ressentent déjà localement et risquent de s’accentuer dans un futur proche avec les changements environnementaux.
Le phénomène de raréfaction de l’eau devrait se poursuivre dans les années à venir puisque sa consommation et son utilisation s’intensifient depuis le début du XXème siècle, conduisant inéluctablement au bouleversement du cycle hydrique (Shiklomanov, 2004). Cet appauvrissement en eau est la résultante de multiples facteurs :
➤ Une expansion démographique propulsant la population mondiale à près de 9.8 milliards d’individus d’ici 2050
➤ Une urbanisation croissante amenant un standard de vie plus élevé et par voie de conséquence une augmentation accrue de la consommation en eau mais aussi des changements au niveau des propriétés physiques des sols urbanisés, empêchant les processus de régénération des nappes phréatiques à proximité
➤ Une croissance toujours plus importante des secteurs à fort impact hydrophage (agriculture, production énergétique, industrie et usage domestique).
Prenant en considération d’un côté, une raréfaction croissante ainsi qu’un renouvellement moins efficace et de l’autre, des prélèvements répondant à une dynamique de consommation croissante, il est devenu plus que nécessaire d’adopter des pratiques d’utilisations et de gestions intelligentes de l’eau afin de préserver au mieux la ressource.
Les produits pharmaceutiques dans l’environnement (sources de rejets)
De nos jours, ce sont près de 3000 substances pharmaceutiques qui sont couramment utilisées. La classe des produits pharmaceutiques est défini par l’article L5111-1 du code de la santé publique français qui stipule « […] toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ou animales, ainsi que toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l’homme ou chez l’animal ou pouvant leur être administrée, en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique ».
À l’heure actuelle, la liste des substances prioritaires relative à la DCE ne comprend aucune molécule pharmaceutique. Seulement 7 d’entre-elles figurent parmi les substances soumises à surveillance dite liste de vigilance, à savoir, le diclofénac, l’ethinyl-estradiol, l’estradiol, l’estrone, l’érythromycine, la clarithromycine et l’azithromycine. Néanmoins, conçus pour être biologiquement et chimiquement actifs, la présence et l’évolution des produits pharmaceutiques et leurs combinaisons dans le milieu aquatique ne sont pas sans danger pour les écosystèmes. De fait, la communauté scientifique est de plus en plus préoccupée par le devenir de tels composés dans l’environnement d’autant plus que s’ajoutent à cela certains facteurs aggravants que nous détaillons ci-après.
Les facteurs aggravants
La consommation
L’un des facteurs que nous pouvons invoquer est la consommation croissante de ces produits pour des usages pharmacopés ou vétérinaires. Le rapport émis par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) de 2017 fait état de l’évolution de la consommation de produits pharmaceutiques entre 2000 et 2015.
Les 35 pays membres de l’OCDE ont enregistré une augmentation progressive de la consommation durant cette période pour chacune des 4 classes de produits pharmaceutiques étudiées. Ainsi, la dose quotidienne définie (DQD) pour 1000 habitants, calculée à partir du nombre d’unités vendues de produits pharmaceutiques considérées en fonction du nombre d’habitants, était en 2000 de 184.6, 28.1, 34.5 et 30.7 DQD augmentant en 2015 jusqu’à 317.0, 100.7, 66.5 et 60.3 DQD, respectivement pour les antihypertenseurs, les hypocholestérolémiants, les antidiabétiques et les antidépresseurs. Concernant la classe des antibiotiques, les données de vente analysées auprès des revendeurs, des pharmacies et des hôpitaux, dans 71 pays à travers le monde entre 2000 et 2010 mettent en avant également une augmentation significative de la consommation de 36% (Van Boeckel et al., 2014). Le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique de Sud comptent pour 76% de cette augmentation. Plus en détail, les antibiotiques de la famille des pénicillines à large spectre, des céphalosporines, des macrolides ainsi que des fluoroquinolones, représentent près de 70% des antibiotiques consommés en 2010. En France, l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM) dresse une évolution des consommations d’antibiotiques entre 2000 et 2013 plus contrastée. Les politiques engagées par l’État afin de sensibiliser la population quant à la nécessité de réduire la consommation d’antibiotiques a permis de réduire celle-ci d’environ 11%. Néanmoins, depuis 2010, la tendance observée semble indiquer une reprise de la consommation d’environ 6%, s’établissant à 32.3 DQD en 2013. Les antibiotiques de la famille des pénicillines et des macrolides étant les plus consommés.
L’excrétion
La consommation de produits pharmaceutiques ne serait pas tant un problème majeur pour l’environnement si l’intégralité des substances consommées était métabolisée et éliminée, action en partie réalisée par le système rénal ou biliaire de l’organisme. Cependant, il s’avère qu’une certaine fraction du produit consommé est excrétée sous sa forme initiale et rejetée telle quelle via les urines ou les fèces (Kasprzyk-Hordern et al., 2008). L’étude des rejets en milieu clinique pour 60 produits pharmaceutiques couramment consommés, a permis de confirmer d’une part, l’excrétion de molécule mère par les patients de la clinique étudiée et de mettre en lumière, d’autre part, une différenciation dans la proportion de molécule mère excrétée selon les substances considérées (Jjemba., 2006). L’aspirine, l’ibuprofène, le paracétamol et la carbamazépine font partie des substances pharmaceutiques les moins excrétées, à l’inverse de l’amoxicilline, la ciprofloxacine et la tétracycline. Ces résultats étant focalisés seulement sur les rejets d’une clinique, transposés à l’échelle de la population mondiale consommatrice de produits pharmaceutiques, l’excrétion de molécule mère biologiquement et chimiquement active dans l’environnement ne peut que mener à leur présence dans le milieu aquatique. La mise en perspective des taux d’excrétion des substances pharmaceutiques avec leur présence dans l’environnement aquatique ne semble pas indiquer de corrélation nette. Une faible excrétion ne sera pas nécessairement assimilée à une faible présence dans l’environnement (Jjemba., 2006). La carbamazépine possède une faible excrétion, environ 2% (Frey et Janz, 1985 ; Ternes, 1998) mais est très souvent détectée à des concentrations pouvant dépasser plusieurs centaines de ng.L-1 (Ternes, 1998 ; Kasprzyk-Hordern et al., 2008), à l’inverse de la tétracycline par exemple.
L’inefficacité des stations d’épuration
Une fois excrétés, les produits pharmaceutiques consommés rejoignent préférentiellement les réseaux d’eaux usées puis les stations d’épurations (STEP). De ce fait, dans les eaux brutes en amont des stations d’épuration, les produits pharmaceutiques sont très fréquemment détectés et ce à des concentrations élevées au niveau des systèmes épuratoires, et exacerbées également en zone urbaine. Les résultats de l’expertise menée par Soulier et al., (2011) considérant la quantification de 38 produits pharmaceutiques en entrée et en sortie de station d’épuration démontrent que plus de 70% des substances pharmaceutiques quantifiées dans les eaux brutes sont également retrouvées dans les rejets de ces mêmes systèmes épuratoires. Tout au long du processus de traitement, plusieurs étapes d’assainissement peuvent se succéder afin d’améliorer les rendements d’épuration. Après une première étape de séparation mécanique entre phase liquide et solide, se succède un traitement secondaire permettant un assainissement par floculation, décantation ou traitement biologique par boue activée. Dans certains cas, un traitement tertiaire est ajouté afin d’éliminer les micropolluants par oxydation avancée.
Les résultats de travaux réalisés sur l’efficacité de fonctionnement des STEPs de types boues activées, zones humides, lagunages mais également de station d’épuration incluant un traitement tertiaire par oxydation avancée (Ternes 1998 ; Paxéus, 2004 ; Robert et Thomas, 2006 ; Yu et al., 2006 ; Santos et al., 2007 ; Conkle et al., 2008 ; Radjenovic et al., 2009 ; Zorita et al., 2009 ; Zhang et Li, 2011 ; Verlicchi et Zambello, 2014) démontrent une certaine incapacité des systèmes d’assainissement actuels à proposer une élimination complète des produits pharmaceutiques. La possibilité de quantifier ces substances ainsi que leurs métabolites en sortie de station d’épuration illustrent parfaitement les problèmes posés par ces micropolluants quant à leurs caractères récalcitrants et leurs devenirs difficilement prédictifs vis-à-vis des procédés de traitement de l’eau.
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Table des matières
Introduction Générale
Chapitre I : État de l’art
I-1) Les produits pharmaceutiques dans l’environnement (sources de rejets)
I-1-1) Les facteurs aggravants
I-1-2) Détection des produits pharmaceutiques dans l’environnement aquatique et sédimentaire
I-1-3) Toxicité et impact
I-2) Les Argiles et minéraux argileux
I-3) Mécanismes d’adsorption des molécules organiques sur les minéraux argileux
I-4) Modification chimique des argiles par l’emploi de tensioactif
I-4-1) Définition d’un tensioactif
I-4-2) Nature chimique des surfactants
I-5) Synthèse et applications des complexes organo-argileux ou « organoclays »
I-5-1) Synthèse des organoclays à base de surfactant
I-5-2) Implication structurale de l’intercalation de surfactant dans le minéral argileux
I-5-3) Application environnementale des organoclays à base de surfactant
Chapitre II : Matériels utilisés pour les interactions et méthodes analytiques
II-1) Produits pharmaceutiques ciblés
II-1-1) Groupe des molécules cationiques en solution de pH neutre
II-1-2) Molécule neutre : la carbamazépine
II-1-3) Groupe des molécules zwitterioniques à pH de 7
II-1-4) Groupe des molécules anioniques à pH de 7
II-2) Méthodes de caractérisation de la phase aqueuse
II-2-1) Spectroscopie Ultraviolet-Visible
II-2-2) Chromatographie en phase liquide haute performance couplée à un spectromètre de masse (CLHP/SM)
II-3) Méthodes de caractérisation de la phase solide
II-3-1) Analyse élémentaire C, H, N et S par combustion
II-3-2) Diffraction des rayons X (DRX)
II-3-3) Spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier (IRTF)
II-4) Ajustement mathématique des isothermes d’adsorption
II-5) Analyse en composante principale (ACP)
II-6) Matériaux utilisés pour les expériences interactionnelles
II-6-1) Le minéral argileux sélectionné
II-6-2) Choix des surfactants
II-6-3) Préparation des matériaux hybrides
II-7) Caractérisation des adsorbants
II-8) Mode opératoire expérimental et conditionnement des échantillons
II-8-1) Interaction en solution monomoléculaire
II-8-2) Interaction en solution bimoléculaire et trimoléculaire
II-8-3) Interaction en solutions multimoléculaires : mélange de standard et eau de STEP
II-8-4) Conditionnement
Chapitre III : Adsorption de produits pharmaceutiques sur les matériaux lamellaires à partir de solutions monomoléculaires
III-1) Adsorption de molécule majoritairement cationique : cas du triméthoprime et du métoprolol
III-1-1) Validation de l’adsorption en phase liquide par UV-Visible
III-1-2) Validation de l’adsorption en phase solide par FTIR et DRX
III-1-3) Mécanismes d’adsorption : Triméthoprime et métoprolol
III-2) Adsorption de molécule zwitterionique: cas de l’amoxicilline et de la norfloxacine
III-2-1) Validation de l’adsorption en phase liquide par UV-Visible
III-2-2) Validation de l’adsorption en phase solide par FTIR et DRX
III-2-3) Mécanismes d’adsorption : Norfloxacine et amoxicilline
III-3) Adsorption d’une molécule neutre: cas de la carbamazépine
III-3-1) Validation de l’adsorption en phase liquide par UV-Visible
III-3-2) Mécanismes d’adsorption : Carbamazépine
III-4) Adsorption d’une molécule majoritairement anionique : cas du sulfaméthoxazole
III-4-1) Validation de l’adsorption en phase liquide par UV-Visible
III-4-2) Validation de l’adsorption en phase solide par FTIR et DRX
III-4-3) Mécanismes d’adsorption du sulfaméthoxazole
III-5) Synthèse sur l’adsorption de molécules
III-6) Effet de la concentration en surfactants dans le minéral argileux sur l’efficacité d’adsorption d’une molécule majoritairement cationique et anionique
III-6-1) Molécule majoritairement cationique : le triméthoprime
III-6-2) Molécule majoritairement anionique : le sulfaméthoxazole
III-6-3) Synthèse sur les effets de la concentration en surfactant dans le minéral argileux sur l’efficacité d’adsorption
Conclusion Générale
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