Dans le cadre de mon stage en libéral, je suis amenée à suivre deux groupes d’enfants de 9 à 13 ans, en utilisant le jeu dramatique pour médiation. Depuis le commencement de mon stage en Septembre, deux garçons, exprimant leurs problématiques de manière bien différentes sur le plan corporel, m’ont poussée à m’interroger sur cette médiation et le sentiment d’unité corporelle qu’elle pourrait éventuellement permettre de consolider. Ces garçons m’évoquent une problématique d’enveloppe, l’un sur un versant corporel, l’autre sur un versant psychique. L’expression de leurs problématiques au sein du jeu de faire semblant m’a conduit à réfléchir sur les apports du jeu dramatique en général puis particulièrement dans le cadre de la restauration d’une contenance corporelle et psychique.
Le travail du faire semblant et du jeu symbolique est un incontournable de la psychomotricité. Le jeu est une des bases du développement de l’enfant. « C’est en jouant, et seulement en jouant, que l’individu, enfant ou adulte, est capable d’être créatif et d’utiliser sa personnalité tout entière. C’est seulement en étant créatif que l’individu découvre le soi » . Le jeu permet au psychisme d’intégrer les expériences nouvelles, il permet également la communication entre le sujet et son environnement dès les premiers stades de son développement.
Le jeu dramatique est une technique d’expression corporelle pouvant être utilisé à dessein thérapeutique. Il est né de la rencontre entre l’improvisation et la pédagogie. Cette médiation est un intermédiaire entre soi et l’autre mais également entre la réalité et l’imaginaire. Elle permet d’investir chacune des sphères fondamentales de la psychomotricité : l’affect, la cognition et la motricité.
Un abord du « je » différent : le jeu dramatique
Les origines du jeu dramatique
Aristote a su repérer les effets cathartiques du théâtre dans la tragédie pour le spectateur. Selon lui, la tragédie opère une libération des passions en les exprimant symboliquement. La catharsis serait une purification des passions de l’âme. Cette catharsis s’installe dans la relation à l’autre, elle implique que la grande faute qui frappe le héros de l’histoire concerne le spectateur. C’est-à-dire : quelque chose arrive à cet autre comme moi, mon semblable, cela peut alors également m’arriver. Le spectateur s’identifie à cet autre semblable incarnant le personnage. Des résonnances en miroir s’opèrent par rapport à ce que voit le spectateur : il voit ses conflits internes se jouer devant lui et peut ainsi s’en libérer.
Dans les années vingt, le jeu dramatique commence à être utilisé comme moyen d’éducation global de l’enfant. La pédagogie est remaniée au profit de l’improvisation. L’objectif est d’exploiter les capacités d’expression des élèves. Art théâtral et éducation se mélangent pour développer la sensibilité et l’intelligence des élèves. L’improvisation prend valeur de jaillissement de soi.
Pour J. L. Moreno, fondateur du psychodrame, quand le comédien joue l’émotion d’un personnage, cela peut raisonner avec son monde intérieur. Pour incarner spontanément un personnage, le sujet puise dans ses propres émotions et ses souvenirs. Il réalise des associations inconscientes entre sa propre expérience et ce que peut vivre son personnage, avant de les extérioriser en se mettant en scène. Il reprend la notion de catharsis en l’appliquant cette fois-ci aux acteurs. En jouant de manière spontanée, en improvisant sur des éléments évoquant sa propre histoire, le sujet se libère de ses propres pulsions et émotions. Il est amené à extérioriser ses affects dans son corps et par son corps. Ainsi il peut y avoir un effet thérapeutique, si par la suite, il modifie son comportement ou ses mécanismes de pensées.
L. Chancerel développe dès 1936 le jeu dramatique qui nous intéresse ici, d’abord auprès des acteurs, puis des élèves comme méthode pédagogique. Il est maintenant également utilisé comme médiation thérapeutique. D. Oberle en donne une définition: Faire du jeu dramatique, c’est entrer dans un jeu d’improvisation à plusieurs à partir d’une intention de départ, autour d’une situation faisant interagir différents protagonistes. Il s’agit d’un travail de transposition où les participants mobilisent leurs affects, leurs représentations, leurs sentiments et leurs émotions réels dans une situation fictive.
Le jeu de faire semblant : une aire transitionnelle pour devenir sujet
Le jeu est essentiel dans le développement de l’enfant, notamment pour entrer en relation avec son environnement. Le jeu est le jaillissement de soi. Le « Je » de l’enfant s’exprime au travers de ses jeux. C. Potel décrit le jeu psychomoteur comme moyen pour le sujet de communiquer ce qui n’est pas encore « communicable sous une forme secondarisée » . Par le jeu, l’enfant va construire son monde interne et enrichir ses représentations. Le sujet développe donc son rapport au monde extérieur grâce au jeu. « A jouer et rejouer, ce dernier déjoue sa problématique, noue un lien dans un plaisir partagé et renoue avec un investissement de l’expérience du corps en action ».
Selon S. Freud, le jeu, nourrit de réel et d’imaginaire, serait la « projection et la reconstitution de conflits et d’évènements désagréables en vue de les maîtriser » évoquant « quelque chose de la vie intérieure et de la motivation de l’individu » . Il utilise les effets cathartiques du jeu pour libérer des émotions refoulées. Dans le jeu, l’enfant tente de résoudre certains conflits inconscients en les (re)-jouant. L’enfant renforce ainsi son Moi en se créant son propre univers de jeu mêlant imagination et réalité.
J. Chateau souligne que tous les jeux représentent une « jouissance de soimême » , c’est-à-dire qu’ils permettent l’exploration des sentiments et du moi. Il ajoute que « c’est le geste qui décrit, qui esquisse, qui représente » , et que « la pensée naît du geste, elle reste toujours geste » . M. Debesse reprendra ces propos et les explicitera par cette phrase « la représentation se développe à partir de la pensée concrète, grâce à l’activité du faire semblant ».
Au-delà d’être une médiation, c’est-à-dire un outil intermédiaire entre soi et l’autre, le jeu dramatique est un espace de traduction. Il permet la métaphore, la mise en symbole et la mise en sens des conflits internes du sujet. « Du spectateur au comédien, il s’agit de mettre en exergue la façon dont les conflits intrapsychiques peuvent s’actualiser sur une scène théâtrale, provoquant ainsi leur abréaction. » . Le jeu dramatique reprend les effets cathartiques décrit par Aristote, Freud et Moreno. L’improvisation et la mobilisation à la fois corporelle et psychique permettent de retrouver une capacité à jouer, une capacité à faire semblant.
Le jeu dramatique est une technique d’expression. En psychomotricité, le travail se fait sur le ressenti corporel, qui permet de passer du ressenti jusqu’à l’affect, puis des émotions aux représentations. La mise en mouvement du corps et la diversité des propositions, en jeu dramatique, permet au sujet de développer son imaginaire et ses capacités d’improvisation et d’adaptation. Ainsi il enrichit le répertoire de ses représentations. Les capacités d’improvisation et la capacité de s’élaborer spontanément grâce au jeu s’apparentent au concept de playing de D. W. Winnicott. Les émotions du sujet prennent corps, elles sont représentées dans la mise en mouvement au décours de l’action. « Ce sentir son corps s’investit immédiatement dans une tonalité affective, qui fait plonger chacun dans ce processus d’édification et qui est aussi identification. » . Le jeu dramatique permet de décaler et projeter dans un contexte fictif les émotions, les affects et les représentations.
L’importance du groupe
Les processus d’individuation/séparation et la capacité de se sentir soi en tant que sujet prennent source dans les interactions précoces entre la mère et l’enfant mais également dans les relations groupales. Le sujet va s’identifier à des groupes tout au long de sa vie. Au sens large, il est d’abord inscrit dans l’espèce humaine. Plus nous resserrons notre champ de vision, plus nous comprenons que le sujet est inscrit dans des groupes restreints qui régissent son développement en tant qu’individu mais également ses modèles, ses choix, ses actions et sa vie future. « L’individu se construit avec, dans et pour le groupe » . Nous ne devons cependant pas oublier ceci : l’individu, et la personnalité qui lui est propre, permettent au groupe d’exister. Sans individus, il n’y aurait personne pour constituer et colorer le groupe.
Nous pouvons entendre le terme de groupe au sens de nœud, un lien qui rassemble des individus pour diverses raisons. Ces individus peuvent être réunis par une pensée commune (nous pouvons donner l’exemple d’un idéal politique), un objectif commun (exemple : une réunion de synthèse autour d’un patient), une manière de catégoriser des sujets (données statistiques par exemple) ou simplement être au même endroit au même moment (un groupe de patients dans une salle d’attente). Dans ma situation clinique, le groupe s’élabore autour d’un espace commun de jeu.
Le travail groupal supporte le jeu dramatique. Le groupe apporte un cadre physique et symbolique délimité qui permet de contenir, limiter et mettre en jeu des processus thérapeutiques. Le groupe peut se définir comme un cercle. Nous parlons de cercle familial, d’amis, de connaissances, professionnel… Nous utilisons le cercle ou le rond, pour relier chaque individu à un autre et fermer le groupe. Un intérieur et un extérieur existe pour chaque groupe. Le cercle réunit ses membres autour d’un centre ou chacun serait à la même distance. Le centre serait le liant du groupe, sa raison d’être. Spontanément, dans notre groupe de jeu dramatique que j’évoquerai par la suite, nous nous réunissons en cercle en début et fin de séance. Le temps du récit de l’histoire par le scribe se fait également en cercle. Ces temps sont les seuls où le scribe est présent dans l’espace de jeu : symbolisant ainsi son appartenance au groupe.
Dans le développement de l’enfant nous retrouvons cette symbolique toute particulière que prend le rond. « Les prémices de la représentation d’une peau/enveloppe qui contient, limite, protège et sécurise, se devinent dans les premiers ronds que les petits enfants jettent sur une feuille de papier ». Ainsi l’image du rond, comme la membrane protégeant une cellule serait une forme symbolique du sentiment de sécurité interne de l’enfant. L’enfant sorti du ventre rond de sa mère, retrouve ensuite cette sécurité dans le portage physique et affectif de celle-ci et de l’entourage, mais également dans la rythmicité des soins et la répétition des cycles. L’enfant s’organise petit à petit et s’inscrit dans le temps, l’espace et la relation. Le dessin du rond est un «bon indicateur d’un processus de représentation […] par lequel le corps va pouvoir être représenté au fur et à mesure de sa construction et de son organisation ».
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Table des matières
Introduction
Un abord du « je » différent : le jeu dramatique
1. Les origines du jeu dramatique
2. Le jeu de faire semblant : une aire transitionnelle pour devenir sujet
3. L’importance du groupe
4. Notre dispositif de jeu dramatique : un cadre particulier
a. Constitution des groupes
b. L’organisation temporo-spatiale
c. La place de scribe
d. La règle fondamentale du jeu de faire semblant
Entre clinique et théorie : la (re)construction d’un sentiment d’unité
1. Alban : un manque de contenance corporelle
a. Présentation
b. Les métaphores dans les histoires d’Alban
c. Mise à l’épreuve du groupe et de l’enveloppe
d. Evolution d’Alban dans le groupe
2. Ethan : un manque de contenance psychique
a. Présentation
b. La peur de l’abandon et le besoin de continuité
c. Sans surveillance
d. Gestion de la pulsion
e. L’entrée dans la sexualité
f. Evolution d’Ethan dans le groupe
3. Enveloppe, Limite et Contenance
a. Enveloppe tonique et sensorialité
b. Le rôle de l’entourage
c. Une peau porteuse de sens et de limite
d. La continuité d’être mise à mal
e. (Re)structurer les limites en psychomotricité
Discussion
1. L’entrée dans l’adolescence
a. Le développement de l’enfant
b. La temporalité dans l’adolescence
c. Représentations qui changent
2. Ma place au sein de ces groupes
3. Vers un dispositif d’observation de la contenance corporelle
Conclusion
Bibliographie
Annexe
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