A la découverte du Grand Canyon

Etude de projets remarquables

A la découverte du Grand Canyon

Avant le XIXème siècle, le territoire du Grand Canyon, situé dans la région des « fours corners » est encore méconnu. Bien que les conquistadors espagnols aient découvert ce lieu en 1540, la difficulté d’accès fait que ce territoire reste très peu exploité. C’est seulement lors de la « conquête de l’ouest », au début du XIXème siècle que les Américains vont s’intéresser à ces terres occupées par les Amérindiens. Les civilisations autochtones que sont les Anasazi ou les Hopi sont chassés dans des réserves, ils abandonnent leurs terres, leurs villages et laissent derrière eux un patrimoine culturel très riche.

C’est dans le but de rallier la frontière Ouest que la compagnie de chemin de fer « Santa Fe » construit la ligne « Atchinson, Topeka and Santa Fe Railway », traversant le Grand Canyon, en 1870. Cette dernière va contribuer au développement du tourisme dans la région des fours corners. C’est la Fred Harvey Company qui flaire le potentiel touristique de ce lieu unique. A cette époque, il n’y a aucun service dans les trains, ces derniers s’arrêtent à l’heure des repas pour que les voyageurs aillent manger à l’extérieur. Alors que la nourriture est souvent chère et de mauvaise qualité, Fred Harvey développe, en accord avec la compagnie ferroviaire, des bâtiments d’accueil,tels que des restaurants, hôtels…dans le but de satisfaire les voyageurs (Grattan, Builder upon th earth, 1992, p.6).

Bien que l’utilité première de cette ligne soit le transport de marchandise, Fred Harvey est certain du potentiel attractif de cette région. C’est pourquoi il s’intéresse au confort des passagers qui sont devenus de plus en plus nombreux au fils des années. Les gens de l’Est sont fascinés par les « Native Americans », Fred Harvey entreprend de créer des boutiques, des musées dédiés aux objets de l’art indien, pour développer le tourisme. C’est donc aussi dans ce but, que les bâtiments qu’il crée, l’ambiance et l’aménagement intérieur s’inspirent de l’art indien local.

Un des premiers restaurants construits pour la compagnie a été ouvert en 1884, à Holbrook en Arizona. Il résume parfaitement les intentions de Fred Harvey. En effet, le restaurant est situé près d’une station d’arrêt du train. Il est composé de cinq anciens wagons, peints en rouge et décorés avec de grands motifs issus de l’art amérindien (Grattan, Builder upon th earth, 1992, p.8).

Mary Jane Colter, est employée par la compagnie en 1902 car elle s’intéresse de près à la culture indienne. Elle est chargée de décorer les bâtiments déjà existants et de concevoir les futurs. Son talent et son profond respect pour la culture amérindienne va bouleverser l’architecture aux Etats-Unis.

En quête d’une identité architecturale américaine

Les Etats-Unis sont un pays à l’histoire jeune, colonisé par les pays de la vieille Europe à partir du début du XVIIème siècle. Avant cela, la population se faisait rare et vivait en marge de la société européenne. L’influence de cette dernière est colossale, bien que les colons anglais aient proclamé leur indépendance en 1776. La toute nouvelle nation se développe grâce à l’afflux d’immigrés européens. C’est pourquoi le style architectural est dirigé par l’architecture européenne. Les courants classiques romains, puis de la renaissance s’exportent aux Etats-Unis et s’imposent au paysage américain. (Grattan, Builder upon th earth, 1992, p.8) .

Dans la région des fours corners, Fred Harvey souhaite révéler le paysage désertique, c’est pour cela que Mary Colter se pose la question de l’identité de l’architecture qui va être établie dans la région. Plutôt que d’importer l’architecture venue d’Europe, elle va puiser dans l’héritage culturel de la région, bien avant l’arrivée des colons. (Grattan, Builder upon th earth, 1992, p.1) C’est donc dans sa quête d’identité qu’elle va étudier l’architecture « vernaculaire ». Cette dernière, mise en oeuvre par les « Native Americans », avec des matériaux et des moyens très limités, semble être en parfaite harmonie avec son environnement physique et culturel. Ces bâtiments sont donc considérés comme l’identité de ce lieu, comme s’ils étaient nés en même temps que le paysage. Ils ne s’imposent pas à lui, mais lui appartiennent. Tel est l’enjeu de l’architecture vernaculaire.

Dans ses différents projets, et très particulièrement sur la Watchtower, que j’étudie dans ce mémoire, Mary Colter va donner une apparence vernaculaire à ses bâtiments dans le but de justifier son intégration dans le paysage. Pour cela, il ne suffit pas de reproduire l’architecture des ancêtres du lieu, mais de capter son essence. C’est en cela que le travail de Mary Colter est assez remarquable, elle s’est complètement imprégnée de la culture locale pour se l’approprier. Grâce à ce travail, elle invente une identité architecturale issue du territoire américain. Il est raisonnable de penser que ce désir d’identité est directement lié à la politique de la compagnie Fred Harvey, qui est de révéler le paysage de la région encore méconnue à cette époque.

L’architecture du paysage

La notion de paysage est assez complexe à définir. Ce qui est certain dans le paysage du désert de l’Arizona, c’est que c’est un espace qui est donné à voir, on souhaite orienter le regard et la perception des gens pour qu’ils aient une vision uniforme du lieu.
Comme on a pu le comprendre dans l’histoire de ce territoire, les gens de l’est portaient beaucoup d’intérêt à la culture des « Native Americans ». Mary Colter va donc mettre en scène le paysage en dévoilant leur culture. Que ce soit dans l’architecture ou la décoration intérieure, elle recrée un univers culturel issu des cultures autochtones.
En revanche, ce mimétisme n’est pas le seul point remarquable de son travail. Il faut, aussi, se rendre compte comment son architecture est au service du paysage. En effet, en plus de la quête identitaire développée auparavant, le deuxième enjeu est de donner à voir le paysage. C’est dans ce sens qu’elle réinterprète, transforme, adapte l’architecture ancestrale avec des moyens de mise en oeuvre qu’elle conçoit pour prendre en considération le paysage. On verra dans le projet de la Watchtower quels moyens ingénieux elle a mis en place.

Le projet de « the Indian Watchtower »

Vocation commerciale et touristique

Le projet de la « watchtower », qui peut se traduire par : « tour d’observatoire », s’inscrit toujours dans le but de promouvoir le paysage du désert de l’Arizona. Cet observatoire doit permettre de donner une vue sur le paysage du grand canyon comme il n’en existe pas encore. La vocation touristique et commerciale aurait pu être une source de nuisance pour ce lieu plein d’authenticité.

Grâce aux connaissances de Mary Colter sur la culture, l’art et l’architecture des « native americains », la promotion touristique de ce paysage se fera dans le plus grand respect de la culture régionale. C’est précisément dans ce domaine que l’architecture a joué un rôle essentiel. En effet, les différents projets de Mary Colter au sein du Grand Canyon, ont pour principale force de s’inspirer de l’architecture et des ruines du sud-ouest des Etats-Unis, avec la profonde conviction que chaque bâtiment « n’est pas une réplique mais plutôt un bâtiment contemporain en accord avec le contexte » (Buzzard, manual for drivers and guides, 1933).

Le projet de la watchtower est un des plus significatifs, il illustre parfaitement comment Mary Colter puise ses références dans la culture autochtone pour contextualiser son architecture.

Architecture de la ruine

Pour créer l’observatoire de la Watchtower, Mary Colter s’inspirera des ruines qu’on retrouve dans la région. Elle est convaincue que le bâtiment doit appartenir au paysage, pour cela, elle mène une quête d’authenticité des formes, des matériaux, des techniques de construction qui l’amèneront à étudier les ruines de Hovenweep et Mesa Verde, récemment découvertes, à la fin du XIXème siècle. Elle s’intéressera aussi à l’art  amérindien qui tient une place importante dans leur culture. Malgré l’étude très poussée des ruines existantes, « la watchtower n’est pas une copie mais ce que Colter appelle une recréation » (Buzzard, manual for drivers and guides, 1933). A travers l’étude de ce bâtiment, je tenterai de démontrer cette affirmation et ainsi rendre compte que Colter a su interpréter l’architecture vernaculaire au service de son architecture.

Mise en abîme du paysage

L’intention première de la Watchtower c’est d’améliorer la vue du Grand Canyon, en donnant une hauteur de point de vue encore jamais explorée auparavant. Cette tour doit permettre de promouvoir le paysage du Grand Canyon, grâce à une vue panoramique exceptionnelle sur le Canyon, la rivière du Colorado, et l’étendue sur la « Kaibab National Forest », ainsi que les sommets de San Francisco soixante-cinq kilomètres au sud (Buzzard, manual for drivers and guides, 1933).
Pour se rendre compte de la hauteur nécessaire et des vues à mettre en exergue, Mary Colter construit une plateforme en bois à l’endroit même où la tour sera érigée. C’est cette « tour expérimentale » qui définit la hauteur minimale à laquelle la Watchtower doit culminer. D’après cette expérience, il est convenu que la tour devra excéder les soixante-dix pieds (Grattan, builder upon the earth, 1992, p.69). On se rend bien compte l’importance que Colter accorde au paysage, rien n’est laissé au hasard, c’est justement ce qui le révèle.

L’observatoire, avec sa base arrondie, offre une vue panoramique de 360° sur le paysage. Que ce soit, au rez-de-chaussée, dans la Kiva ou sur le toit de la tour, le travail des ouvertures est minutieusement pensé. Elles ne sont pas seulement des fenêtres sur le paysage mais de véritables machines à regarder. En effet, les fenêtres sont munies de « reflectoscopes ». Ce système ingénieux, est inspiré de Claude Lorrain, un artiste français du XVIIème siècle, peignant les paysages. Il consiste à insérer « une feuille de verre teinté noire dans un cadre de fenêtre comme un filtre, reflétant l’image comme un miroir. La vitre peut bouger d’avant en arrière pour refléter différentes vues ; le miroir noir réduit l’intensité lumineuse du jour et diminue la fatigue de l’oeil. » (Grattan, builder upon the earth, 1992, p.78) Dans la Watchtower ce système permet de refléter une portion choisie du panorama. Il segmente la vue sur le paysage pour mieux le maîtriser. De plus, la vitre noire vivifie les couleurs du Grand Canyon, une couleur atypique, représentative de ce paysage.

Il est essentiel de comprendre que le travail de Colter est particulièrement influent sur la vision qu’on se fait du Grand Canyon. Elle est la première à le mettre en valeur grâce à son architecture. Dans un paysage tellement immense et merveilleux, ses ouvertures sont un cadre choisi sur le paysage pour mieux le maîtriser et ainsi mieux l’apprivoiser.

Forme et proportions liés au paysage

Présentation descriptive

La Watchtower est composée d’un premier grand cercle au nord, haut d’un seul étage et d’une tour circulaire, au sud, de diamètre inférieur, haute de cinq étages, qui domine l’horizon. Ces deux parties sont reliées par des murs courbes créant un espace intérieur qui connecte les deux cercles entre eux.

Proportions de la tour

Nous avons vu que par nécessité de révéler le paysage, les dimensions de la tour sont plus grandes que n’importe quelle autre tour amérindienne connue. Implantée en hauteur, à l’extrême bord d’un canyon, la tour s’élève à soixante-dix pieds de hauteur pour dominer le paysage. En directe relation avec la hauteur, la base de la tour est un diamètre de trente pieds (Buzzard, manual for drivers and guides, 1933).

D’après les recherches menées par Mary Colter, il est difficile d’estimer les hauteurs originelles des tours vu l’état de ruine dans lequel elles sont retrouvées. Parmi les plus hautes, il y a « the Round Tower » de Cliff Palace qui fait vingt pieds de haut dans l’état où elle a été retrouvée, soit environ six mètres et il est supposé qu’elle s’étendait quinze pieds plus haut à l’origine (Buzzard, manual for drivers and guides, 1933). Avec trente-cinq pieds de haut, c’est moitié moins que la tour de Mary Colter. Cependant, dans le livre « manual for drivers and guides descriptive of the indian watchtower », Colter nous dit que c’est cette tour qui a “suggérée les proportions et les lignes de [sa] tour”.

Une autre tour répertoriée est « the Square Tower », découverte sur le site de Hovenweep. Elle s’élève dans son état de ruine à trente pieds de haut, sur quatre étages. Les pierres retrouvées à la base de la tour permettent d’estimer que celle-ci faisait deux ou trois étages de plus à l’état d’origine (Buzzard, manual for drivers and guides, 1933). Avec une base carrée de quatorze pieds de large, cette tour devait paraitre très élancée. Elle permet surtout d’estimer la hauteur d’autres ruines retrouvées sur le site de Hovenweep. En effet, d’autres tours de vingt à vingt-cinq mètres de diamètre ont été retrouvées. En supposant qu’elles aient les mêmes proportions, que la « Square Tower », les dimensions se rapprocheraient de la tour de Mary Colter.

Construction de ruines

On a vu que c’est par profond respect du territoire, de sa culture, de son histoire, que Colter s’inspire de l’architecture des Hopis. La Watchtower s’imprègne de l’architecture vernaculaire pour sembler appartenir au paysage. Dans un désert où la main de l’homme n’apparait que très peu, construire un tour dominant le paysage est un défi que Mary Colter a affronté grâce à l’aide de l’architecture locale, redécouverte à la fin du XIXème siècle sous forme de ruines.

C’est justement pour rendre hommage à l’histoire de l’architecture des civilisations autochtones que Colter a construit de véritables ruines à l’ouest de la Watchtower. Celles-ci représentent la mémoire de ce lieu empreint d’histoire. Elles contribuent au caractère authentique dont est pourvue la Watchtower. En effet, la présence de ces ruines, entièrement construites et donc complètement « fictives », renforce tout de même l’appartenance de ce projet contemporain à l’histoire du lieu.

Travail sur la matérialité

Même si le bâtiment de Colter s’inspire des constructions ancestrales, ce projet de la Watchtower est une recréation innovante, de par ses dimensions, ses moyens de mise en oeuvre, sa matérialité… En ce qui concerne la maçonnerie de la tour, le travail de réflexion et les choix opérés par Mary Colter sont très significatifs de la position adoptée par l’architecte : elle ne copie pas, elle réinvente.
Alors qu’elle a repris les proportions de la tour « Round Tower of Cliff Palace » dans la réserve de Mesa Verde, elle n’a pas utilisé le même système de maçonnerie. La pierre qu’on trouve dans le Canyon, près de la Watchtower, n’a pas du tout les mêmes caractéristiques que celles utilisées à Mesa Verde. Dans cette région, les pierres sont façonnables grâce à leur texture alvéolée ; on peut facilement les tailler afin d’obtenir une surface plane. A cela s’ajoute l’utilisation de l’adobe comme joint entre les pierres, qui lisse encore plus la surface du mur. (Buzzard, manual for drivers and guides, 1933) .

La Watchtower est construite avec les pierres retrouvées aux alentours de la construction et avec sa propre maçonnerie. Il semble que la plupart appartenait à d’anciennes ruines car il est très difficile de trouver une « source naturelle » de pierre qui n’affecte pas le site de quelques villages populaires.
Contrairement à l’architecture de Mesa Verde, Colter ne va pas tenter de tailler les pierres, car elle pense que chaque trace de façonnage sur les pierres est autant de  « cicatrices visibles sur la face du mur ». (Buzzard, manual for drivers and guides, 1933) De ce fait, elle choisi scrupuleusement les pierres en fonction de leur taille et de leur forme. Volontairement, les murs de la construction sont beaucoup moins lisses, ce qui leur confère une certaine vigueur et accentue les effets d’ombres sur la paroi.

Du fait de la hauteur exceptionnelle de la tour et par conséquent de son impact naturel sur le paysage, Mary Colter accentue les irrégularités des murs par rapport à ce qui se fait dans l’architecture amérindienne, pour se rapprocher « du naturel », pour que la main de l’homme disparaisse au profit de l’unité entre le paysage et la matérialité de la tour. On remarque que l’utilisation de la roche locale, formant le sol de ce paysage, permet de faire en sorte que le bâtiment s’érige à partir de celui-ci. Il y a une unité de couleur et de matière qui profite à l’insertion de l’observatoire dans le paysage.

Le souci dont a fait preuve l’architecte dans l’assemblage des pierres est ce qui rend si particulier cette tour, à mon goût. Elle semble s’être construit toute seule, avec le temps, comme si elle était une oeuvre de la nature. Cette dimension de « temps » est justement une caractéristique propre à l’architecture amérindienne, Colter, dans son étude des ruines a pu remarquer que les murs de pierre ont souvent des différences de couleur, de texture, d’assemblage car les constructions s’étendent parfois sur une longue période. De ce fait, il arrive que différents « maçons » se succèdent pour terminer la construction, avec une façon de travailler qui varie plus ou moins. Il est aussi parfois nécessaire d’aller chercher la pierre ailleurs quand celle à porter de main s’épuise. Il en résulte des variations de couleur et de texture.
Dans le but de donner une dimension temporelle à son édifice, Colter a voulu produire le même effet, a la différence qu’elle le fait en connaissance de cause. C’est aussi là la subtilité de ce projet. Elle utilise les techniques vernaculaires non pas par nécessité constructive mais pour encrer le bâtiment dans l’histoire du lieu. Pour cela il était essentiel d’avoir capté toute la force culturelle de l’architecture vernaculaire.

Le arts and crafts

Mary Colter, en plus d’être architecte, est aussi reconnue pour son travail en tant que décoratrice d’intérieur. Elle s’inscrit dans la lignée des artistes issus du mouvement « arts and crafts », qui prônent une meilleure cohésion sociale dans un monde où la révolution industrielle a promu le besoin d’individualisation. Ce mouvement est né en Angleterre, dans les années 1860, en réaction aux mutations industrielles qui touchent le pays. S’il devient le pays le plus influent sur le monde, grâce à sa puissance économique, il cache le profond mal être de la classe ouvrière. Le théoricien, John Ruskin est à l’origine du mouvement arts and crafts, lui qui « dénonce la division moderne du travail qui transforme l’habile ouvrier en une main-d’oeuvre non qualifiée, déconnectée de son objet ».Le mouvement veut remédier à cela en retrouvant les valeurs du travail artisanal, fait à la main, où l’objet est en lien direct avec celui qui le conçoit.

Dans la décoration des bâtiments pour l’entreprise de Fred Harvey, Colter s’attache à créer un univers qui met en lumière la culture Hopi. Le projet de la Watchtower est justement reconnu pour le travail de décoration de la Hopi room. En effet, Mary Colter a engagé le jeune artiste Fred Kabotie, pour peindre cette salle et sa carrière va prendre une autre tournure suite à ce projet (Grattan, builder upon the earth, 1992, p.76). La peinture majeure de la salle est la « légende du serpent », qui raconte l’aventure d’un jeune homme hopi qui voulait voir où se terminait la rivière du Colorado3. Cette légende et les quelques autres présentes dans cette pièce retracent l’histoire de la civilisation Hopi.

Ces peintures sont une nouvelle façon d’ancrer le bâtiment dans la culture amérindienne, alors qu’il est contemporain. Contrairement à ce qui est courant, le bâtiment n’appartient pas à une époque mais à une histoire et à une culture. C’est aussi un moyen de faire en sorte qu’il soit considéré comme issu du paysage du désert.

Mise en oeuvre structurelle

On a démontré jusque là, que cette tour a tout d’une « Indian Watchtower ». Grâce à l’étude des anciennes ruines, les proportions, la forme, la matérialité, les peintures intérieures, bien que contemporaines et uniques, sont une interprétation de l’architecture vernaculaire et font que cette tour semble appartenir à l’histoire du lieu. En revanche, en ce qui concerne la mise en oeuvre structurelle, on va se rendre compte que cette tour n’est vraiment pas une copie conforme de l’architecture autochtone, et qu’elle utilise des moyens de mise en oeuvre propre à son époque.

Une structure en acier

La différence majeure entre la tour de Mary Colter et les tours amérindiennes réside dans la composition des murs porteurs en pierre. Dans l’architecture des pueblos, les pierres sont liées entres elles avec un mortier à base de terre (Grattan, builder upon the earth, 1992, p.73), qui confère au mur sa fonction porteuse. Bien que cette mise en oeuvre ait fait ses preuves durant des siècles, en résistant aux conditions météorologiques, les ingénieurs de l’ère industrielle ont souhaité renforcer la structure de la « Indian Watchtower ». Du fait de la taille exceptionnelle du bâtiment, la maçonnerie pierre plus mortier n’inspirait pas confiance aux ingénieurs (Buzzard, manual for drivers and guides, 1933). C’est pourquoi, une structure porteuse en acier a été érigée pour soutenir les murs de pierres. Les cadres en acier proviennent de la « Santa Fé Railway Compagnie », les constructeurs de la ligne de chemin de fer. Il n’est donc pas si « anormal » de retrouver de l’acier.

Judicieusement, Colter a intégré cette structure en acier au sein des murs maçonnés en pierre de manière à ce qu’elle ne soit pas visible. En effet, alors que son but est de créer une architecture empreinte de la culture pueblo, la présence visuelle de l’acier aurait été incompatible avec le paysage culturel du Grand Canyon.

Cependant, l’insertion de ce matériau dans la construction a le mérite de nous rappeler que cette « Indian Watchtower » est une recréation contemporaine, appartenant à l’époque de l’ère industrielle.

Fondation béton
Selon les propos de Mary Colter, la plus grande difficulté dans la conception du bâtiment a été de savoir « comment l’accrocher au terrain ». Pour les constructeurs amérindiens, il suffit de s’agripper aux énormes blocs de pierre constituant le sol, le plus proche possible de la paroi rocheuse. Pour les ingénieurs, il n’en est pas question, au vu de la taille de la tour, et de l’incertitude de construire en bordure de falaise. Il a donc été convenu de construire un socle de béton armé pour soutenir la construction. Au dessus de celui-ci, l’architecte a construit un mur avec de gros blocs de pierre, afin de créer une continuité entre la paroi de la falaise et la base du mur du bâtiment (Buzzard, manual for drivers and guides, 1933).

Le fait d’utiliser ces gros blocs de pierre comme éléments supportant la structure, est directement inspiré de « The citadel » à Wupatki, non loin de l’emplacement de l’observatoire (Buzzard, manual for drivers and guides, 1933). En effet, cette ruine repose sur des gros blocs naturels sur lequel sont érigés des murs de pierre. La limite entre le sol et les murs est assez abstraite, ce qui renforce l’idée d’un bâtiment qui a émergé du sol.

L’interprétation d’une architecture vernaculaire

A propos du vernaculaire, Mary Colter dit que « l’architecture primitive n’a jamais rien copié intentionnellement, mais conçue chaque bâtiment en fonction de ses propres conditions et chacun diffère des autres selon le caractère du site, les matériaux qu’ils ont pu se procurer et la raison pour laquelle le bâtiment a été prévu » (Buzzard, manual for drivers and guides, 1933). C’est dans ce sens que T.Mitchell Prudden, dans Manual for drivers and guides, avertit que tenter de copier un bâtiment conçu par les civilisations ancestrales de l’Arizona est impossible, tant chacun d’eux est unique et sont une adaptation à une situation précise qu’il est difficile à percevoir. L’étude poussée des ruines du Grand Canyon a permis à Colter de se familiariser avec cette architecture, d’en maîtriser son essence, pour l’adapter aux conditions de son site. Elle nous dit que la Watchtower a été conçue en essayant de « comprendre comment un bâtiment répondant à notre intention aurait été construit par les amérindiens de l’époque Pueblo » (Buzzard, manual for drivers and guides, 1933). Ce travail, dans la peau d’un constructeur autochtone, demande sans cesse, une réflexion et une connaissance parfaite de leur façon de construire pour pouvoir combiner et adapter ces savoirs au site auquel Mary Colter est confrontée.

Dans ses projets, on retrouve cette singularité. Chaque bâtiment est authentiquement lié au site, ce qui fait bien de la Watchtower une recréation et non une copie. La différence majeure qu’il est essentiel de capter entre l’architecture vernaculaire des civilisations aborigènes et celle de Mary Colter, c’est qu’elle agit en connaissance de cause, elle a conscience que cette architecture incarne l’histoire culturelle du lieu. C’est pour cette raison qu’elle la réinterprète. En effet, j’ai montré comment l’architecte s’est servie de la dimension culturelle de cette architecture, à travers la forme, la matérialité, la mise en oeuvre, la décoration, pour l’ancrer dans le paysage culturel, celui que perçoit les touristes qu’elle cherche à attirer.

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Table des matières

SOMMAIRE
AVANT-PROPOS
INTRODUCTION
I – Réflexion sur le vernaculaire
1. Etude étymologique du vernaculaire
2. Le vernaculaire associé à l’architecture
2.1 L’invention de l’architecture vernaculaire
2.2 Les contours de l’architecture vernaculaire
a- architecture populaire ou primitive
b- architecture rurale
c- architecture sans architectes ou anonyme
d-architecture marginale
e- architecture spontanée
f- régionalisme et régionalisme critique
2.3 Les domaines de l’architecture vernaculaire
a- Les ressources matérialité climat environnement
b- La culture typologie mise en oeuvre savoir faire
c- L’identité
d- La temporalité
II – Etude de projets remarquables
1. « The Watchtower » de Mary Colter, 1933
1.1 Présentation du contexte
a- A la découverte du Grand Canyon
b- en quête d’une identité architecturale américaine
c- l’architecture du paysage
1.2 Le projet « The indian Watchtower »
a- promouvoir le Grand Canyon
Vocation commerciale et touristique
Architecture de la ruine
Mise en abîme du paysage
b- forme et proportions liées au paysage
Présentation descriptive
Proportions de la tour
Construction de ruines
c- travail sur la matérialité
d- « arts and crafts »
e- mise en oeuvre structurelle
Une structure en acier
Fondation béton
f- l’interprétation d’une architecture vernaculaire
2. Taliesin West, Frank Lloyd Wright, 1937
1.1 Présentation du contexte
a- la crise de 1929 : remise en cause de l’idéal américain
b- l’ « Usonie » : développer une architecture américaine
c- une école pour former les architectes américains
1.2 Le projet de Taliesin West
a- introduction
b- la source : le camp Ocatillo
Historique
Le site et la forme
c- relation avec le site
Orientation
Matérialité et mise en oeuvre
d- l’interprétation du vernaculaire
3. « Tucson Mountain house » de Rick Joy, 2000
3.1 Présentation du contexte
a- Une prise de conscience environnementale
b-Vers une architecture durable
c- Vers une « autre » architecture durable
d- Joy : l’héritier de Franck Loyd Wright
3.2 Le projet de « Tucson Mountain House »
a- l’architecture des 5 sens
b- relation avec le site
c- matérialité et mise en oeuvre l’adobe préserver l’écosystème
d- l’interprétation du vernaculaire
CONCLUSION
ANNEXES
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES ILLUSTRATIONS

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