A BACTERIE UNIQUE, PATHOGENIE UNIQUE
Une histoire récente et mouvementée
Anaplasma phagocytophilum a été isolé pour la première fois chez une tique, Ixodes ricinus, en 1932, puis décrite, en 1949, par Foggie sous la dénomination de « Rickettsia phagocytophila ovis ». Après plusieurs modifications de nomenclature, Philip place cette bactérie dans le genre Ehrlichia et le nom de Ehrlichia phagocytophila est retenu dans les « Approved Lists of Bacterial Names ». Ce n’est qu’en 1969 que l’anaplasmose est décrite chez un cheval par Gribble, en Californie. La présence de morulas est mise en évidence dans les granulocytes neutrophiles d’un frottis sanguin de cheval atteint, ce qui donne le nom d’ehrlichiose granulocytaire équine à la maladie. Gribble constate à l’époque que les symptômes sont observés au printemps et en automne.
En 1975, Lewis et al. baptisent cette bactérie Ehrlichia equi, mais il faut attendre 1988 pour que cette nomenclature soit validement publiée par une inscription sur la liste de validation n°25 des « Approved Lists of Bacterial Names ». La maladie a été identifiée tardivement chez l’homme. Ce n’est qu’en 1994 que le premier cas d’Ehrlichiose Granulocytaire Humaine (EGH) fut confirmé, suite à l’examen d’un frottis splénique montrant des morulas, chez un patient mort dans un état de détresse respiratoire (Chen et al., 1994). Différentes études (dont celles de Weisburg et al., 1991, et de Sumner et al.,1997) révèlent qu’en réalité Ehrlichia phagocytophila, Ehrlichia equi et l’agent de l’EGH sont très ressemblants sur le plan génétique. En 2001, une étude de Dumler et al. propose de regrouper ces trois espèces en une seule, dénommée Anaplasma phagocytophilum. L’intérêt pour cette ehrlichiose ne se limite alors plus seulement à la médecine vétérinaire, mais aussi largement à la médecine humaine. Les ehrlichioses sont aujourd’hui considérées comme des maladies infectieuses émergentes (Walker et Dumler, 1997), l’anaplasmose étant la zoonose transmise par les tiques la plus répandue dans le monde (Dumler, 2005).
Une bactérie cosmopolite
Bien que la bactérie soit présente sur tous les continents, elle est surtout retrouvée dans l’hémisphère Nord. L’anaplasmose a été découverte aux Etats-Unis et plus particulièrement dans le nord de la Californie (Gribble, 1969). Depuis elle a été décrite dans de nombreux états américains, chez plusieurs espèces. Dans les régions endémiques des Etats-Unis, c’est-à-dire principalement au nordest et au nord de la Californie, l’Anaplasmose Granulocytaire Humaine a une incidence annuelle de 2.3 à 16.1 pour mille (McQuiston et al., 1999). Le Canada est touché lui aussi. Elle est retrouvée également en Europe avec une large distribution dans le Nord-Ouest et l’Est du continent, dans de nombreux pays comme : la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Suisse, le Danemark, la Suède, la Norvège, la Slovénie… (Brouqui, 1999). En Asie, la bactérie a été identifiée chez les tiques, au Vietnam, en Thaïlande (Parola et al., 2003), en Chine chez Ixodes persulcatus (Cao et al., 2006), en Corée chez Hemaphysalis longicornis (Kim et al., 2003) et au Japon (Ohashi et al., 2005 ; Kawahara et al., 2006). Quelques cas sont rapportés dans l’hémisphère Sud, en Israël et au Brésil (Levi et al., 2006 ; Madigan et Pusterla, 2000).
Réservoir et dissémination de la bactérie
Il a été montré que plusieurs espèces dont le rat (Foley et al., 2002), le mouton, le chevreuil, le bovin (Stuen et al. 2006), et le chien (Egenvall et al., 2000), peuvent être infectées de façon chronique, et pourraient constituer des réservoirs pour la bactérie. Les moutons peuvent être porteurs jusqu’à 25 mois après la rémission des symptômes, et le sang reste infectieux (Rikihisa, 1991). Le cheval, qui peut également être infecté de manière persistante (Franzen et al., 2005), et l’homme, seraient des « impasses » épidémiologiques. Par ailleurs, les petits mammifères sauvages sont des hôtes de prédilection pour les stades immatures de tiques (en particulier Ixodes scapularis aux Etats-Unis et Ixodes ricinus en Europe). Ils représentent donc des réservoirs naturels potentiels pour Anaplasma phagocytophilum. Ainsi, en Europe, le principal réservoir est le campagnol – Clethrionomys glareolus – (Brouqui 1999 ; Liz et al., 2000), mais Anaplasma phagocytophilum a aussi été retrouvé chez d’autres petits rongeurs, Apodemus flavicollis et Sorex araneus, en Suisse(Liz et al., 2000 ; Ogden et al., 1998).
Aux Etats-Unis, le principal réservoir sauvage est la souris à pattes blanches (Peromyscus leucopus) (Dumler et Bakken., 1998, Ogden et al.,1998a). Les ratons laveurs (Procyon lotor) et les écureuils gris (Sciurus carolinensis) (Telford et al. 1996, Levin et al. 2002) sauvages sont aussi porteurs de la bactérie. Aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis, les cervidés sont également des réservoirs sauvages de la bactérie (De La Fuente et al., 2004b; Liz et al., 2002 ; Oporto et al., 2003 ). Des PCR positives pour Anaplasma phagocytophilum, retrouvées par Magnarelli et al. (1999b) sur des bovins, coïncident avec la détection d’ADN de la bactérie chez les Cerfs (Odocoileus virginianus), en automne (Figure 2).
Des vecteurs différents selon la localisation géographique
En Europe du Nord, la tique dure Ixodes ricinus est considérée comme le vecteur le plus important d’Anaplasma phagocytophilum (Figure 3). Cependant la présence de la bactérie dans des régions où Ixodes ricinus n’est pas retrouvée suggère qu’il y a certainement d’autres vecteurs compétents (Bown et al., 2003). La bactérie a été retrouvée chez une tique dure I. trianguliceps au Royaume-Uni (Ogden et al., 1998b ; Joncour, 2003). En Europe du Sud, Anaplasma phagocytophilum est majoritairement transmis par Ixodes persulcatus, car il y a peu d’Ixodes ricinus. On peut penser que d’autres tiques comme Dermacentor marginatus, Rhipicephalus bursa et différentes espèces d’Ixodes sont probablement des vecteurs de la bactérie dans les régions où il y a peu d’Ixodes spp. (de la Fuente et al. 2005a). Aux Etats-Unis, des études ont montré la responsabilité d’Ixodes scapularis et d’Ixodes pacificus comme vecteurs importants de la bactérie, respectivement à l’Est et à l’Ouest du continent (Richter et al., 1996 ; Telford et al.,1996). En Asie de l’Est, Anaplasma phagocytophilum a été détecté chez I.persulcatus et I.ovatus (Cao et al., 2006, Ohashi et al., 2005). Ainsi, on constate aujourd’hui que les vecteurs sont relativement variables d’un continent à l’autre, ce qui semble montrer une certaine adaptabilité de la bactérie et permettrait d’expliquer en partie son émergence dans de nombreux pays.
pacificus, tique prédominante à l’Ouest des Etats-Unis, a montré une compétence vectorielle significativement plus élevée pour la transmission d’ Anaplasma phagocytophilum que la tique de l’Est, I.scapularis. Mais la souche américaine d’ Anaplasma phagocytophilum en provenance de l’Est, dénommée Webster, infecte plus facilement les mammifères que la souche de l’Ouest, MRK. L’étude a ainsi montré que la répartition géographique d’ Anaplasma phagocytophilum est plus dépendante des souches d’ Anaplasma phagocytophilum en elles-mêmes que de la capacité vectorielle des tiques qui les transmettent. Ceci expliquerait qu’il y ait plus de cas d’anaplasmose à l’Est des Etats-Unis qu’à l’Ouest.
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Table des matières
TABLE DES MATIERES
TABLE DES FIGURES
LISTE DES TABLEAUX
INTRODUCTION PREMIERE
PARTIE : ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE DE L’ANAPLASMOSE GRANULOCYTAIRE EQUINE
I. GENERALITES
A) L’ANAPLASMOSE
B) UNE HISTOIRE RECENTE ET MOUVEMENTEE
C) UNE BACTERIE COSMOPOLITE
D) HOTES ET RESERVOIRS
1) Espèces atteintes
2) Réservoir et dissémination de la bactérie
E) VECTEURS : LES TIQUES DU GENRE IXODES
1) Des vecteurs différents selon la localisation géographique
2) A vecteurs différents, compétences vectorielles différentes
3) Anaplasma phagocytophilum chez son vecteur
4) Transmission d’Anaplasma phagocytophilum de l’animal au vecteur
II. UNE BACTERIE UNIQUE
A) CARACTERES BACTERIOLOGIQUES D’ANAPLASMA PHAGOCYTOPHILUM
B) STRUCTURE EXTERNE
C) UNE CLASSIFICATION REVUE ET CORRIGEE, MAIS… DISCUTEE !
D) OUTILS DE CLASSIFICATION ET D’IDENTIFICATION DES SOUCHES
1) Utilisation des MLVA pour faciliter l’identification des souches
2) Utilisation d’anticorps monoclonaux pour caractériser un lien épidémiologique
III. A BACTERIE UNIQUE, PATHOGENIE UNIQUE
A) UNE BACTERIE INTRACELLULAIRE STRICTE : ADHESION A LA CELLULE
B) ECHAPPEMENT A LA PHAGOCYTOSE ET AUX VOIES DE DESTRUCTION DES NEUTROPHILES 1) Anaplasma phagocytophilum se développe dans des vacuoles qui ne fusionnent pas avec les lysosomes
2) Anaplasma phagocytophilum inhibe la production de O2
C) ANAPLASMA PHAGOCYTOPHILUM RETARDE L’APOPTOSE DES NEUTROPHILES
D) ANAPLASMA PHAGOCYTOPHILUM EXPLOITE LE CHIMIOTACTISME DES NEUTROPHILES
E) ANAPLASMA PHAGOCYTOPHILUM POSSEDE UNE PROTEINE (ANKA) CAPABLE D’ENTRER DANS LE NOYAU DES NEUTROPHILES
F) ANAPLASMA PHAGOCYTOPHILUM POURRAIT PENETRER DANS LES CELLULES ENDOTHELIALES DE LA MICROVASCULARISATION
G) LESIONS HEPATIQUES : UNE DES CONSEQUENCES DE LA PHYSIOPATHOLOGIE D’ANAPLASMA PHAGOCYTOPHILUM
H) EN RESUME
IV. ETUDE CLINIQUE CHEZ LE CHEVAL
A) SYMPTOMES
B) ELEMENTS NECROPSIQUES ET HISTOLOGIQUES
C) SIGNES BIOLOGIQUES
1) Variations hématologiques
2) Variations biochimiques
D) TRAITEMENT
E) PRONOSTIC
F) MIEUX VAUT PREVENIR QUE GUERIR… ENCORE FAUT-IL POUVOIR LE FAIRE
V. DIAGNOSTIC DE L’ANAPLASMOSE GRANULOCYTAIRE EQUINE
A) DIAGNOSTIC EPIDEMIO-CLINIQUE
1) Incidence saisonnière
2) Eléments symptomatiques
3) Signes biologiques : variations hématologiques
B) DIAGNOSTIC DIFFERENTIEL
1) Diagnostic différentiel du syndrome « piro-like »
2) Diagnostic différentiel des symptômes nerveux
C) DIAGNOSTIC DE LABORATOIRE
1) Frottis sanguin
2) Culture
3) Sérologie
4) PCR
D) CONCLUSION
VI. EXEMPLE D’ETUDE CLINIQUE ET DIAGNOSTIQUE
A) ELEMENTS SYMPTOMATIQUES
B) SIGNES BIOLOGIQUES
C) FROTTIS SANGUIN
D) PCR
E) SEROLOGIE
F) CONCLUSION
DEUXIEME PARTIE : MATERIEL ET METHODES
I. MATERIEL ET METHODES
A) SELECTION DE L’ECHANTILLON DE CHEVAUX
1) Zone géographique retenue
2) Population source
3) Sélection des écuries et des chevaux
B) SAISIE DES DONNEES ET ANALYSE STATISTIQUE
II. ANALYSES DE LABORATOIRE
A) COLLECTE DES SERUMS, ACHEMINEMENT ET STOCKAGE
B) ANALYSES SEROLOGIQUES
1) Immunofluorescence Indirecte : criblage
2) Lecture des lames
3) Immunofluorescence indirecte : dilution et détermination du taux d’anticorps
TROISIEME PARTIE : RESULTATS
I. DESCRIPTION DE L’ECHANTILLON
A) DESCRIPTION DE L’ECHANTILLON DE CHEVAUX
1) Races
2) Type d’activité
3) Sexe
4) Age des chevaux
B) DESCRIPTION DE L’ECHANTILLON D’ECURIES
1) Activité des écuries
2) Nombre moyen de chevaux prélevés par écurie
II. RESULTAT DES SEROLOGIES ANAPLASMA PHAGOCYTOPHILUM
A) SEROPREVALENCE AU SEIN DE L’ENSEMBLE DE LA POPULATION EQUINE
B) SEROPREVALENCE DES ECURIES
III. FACTEURS DE RISQUE
A) A L’ECHELLE DES CHEVAUX
B) A L’ECHELLE DES ECURIES
IV. COMPARAISON 2001-2007
A) ANAPLASMOSE GRANULOCYTAIRE EQUINE : MALADIE EMERGENTE EN CAMARGUE
B) RELATION ENTRE LE STATUT SEROLOGIQUE DES ECURIES EN 2001 ET 2007
C) CARTE 2007 ET COMPARAISON AVEC 2001
V. L’ANAPLASMOSE S’EXPRIME T-ELLE MAJORITAIREMENT DE MANIERE SUBCLINIQUE
QUATRIEME PARTIE : DISCUSSION
I. PROTOCOLE
A) PERIODE DE COLLECTE
1) Collecte sur 3 mois
2) La période de prélèvement
B) ECHANTILLON PRELEVE
C) CARACTERISTIQUES DE L’ECHANTILLON RELATIVES A LA ZONE D’ETUDE
1) Prédominance des chevaux Camarguais
2) Activité des chevaux
D) METHODE DIAGNOSTIQUE EMPLOYEE
II. RESULTATS
A) SEROPREVALENCE OBTENUE CHEZ LES CHEVAUX
B) SEROPREVALENCE OBTENUE POUR LES ECURIES
C) FACTEURS DE RISQUE
D) COMPARAISON 2001-2007
1) ELISA versus IFI
2) Si l’IFI et l’ELISA sont des tests sérologiques équivalents
E) INFECTION PRESENTE MAIS…
INAPPARENTE
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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