Une stratégie globale comme déclinaison de nouveaux principes de prévention du risque d’inondation
En contrepartie, le pouvoir central propose de lancer un nouveau plan, le Plan Loire Grandeur Nature qui sera par la suite qualifié de démarche opportuniste(EUREVAL-C3E & EDATER,2005) : il s’agit en effet au moins dans son premier volet (94 – 99) d’afficher une contre proposition aux plans d’aménagement précédents et surtout de permettre la définition d’une nouvelle stratégie de prévention du risque d’inondation sur la Loire moyenne qui concentre les enjeux. Le Plan Loire repose sur différents principes qui constituent un socle : « le Plan Loire Grandeur Nature vise à concilier la sécurité des personnes, la protection de l’environnement et le développement économique et s’inscrit dans une volonté de développement durable et d’aménagement du territoire. Il est soutenu par l’Établissement Public Loire, qui constitue un partenaire privilégié pour la mise en œuvre de ce plan, ainsi que par l’Agence de l’eau LoireBretagne ». (SOGREAH, op.cit). À ce titre, le Plan Loire Grandeur Nature permet l’élaboration d’une stratégie globale de prévention du risque d’inondation issu de crues fortes en Loire moyenne qui associe une gestion globale des écoulements tout en définissant un développement durable des 250 communes présentes dans la zone inondable (soit 300.000 habitants, 14.000 entreprises) compatible avec les inondations (Bachoc et al., 1999). Cette stratégie entre pleinement en résonance avec les modes actuels de traitement du risque d’inondation y compris à l’échelle mondiale: « les sociétés doivent dépasser la seule réponse post catastrophe, encore bien souvent actuelle. Plans et démarches volontaristes doivent être entrepris pour dépasser le cycle qui lie l’évènement [physique] à la catastrophe [sociale]. Plus que jamais, il y a nécessité pour les décideurs d’adopter des approches holistiques pour la gestion des inondations » (traduit de Pilon, op.cit., p. IV). Mais la deuxième mouture du Plan Loire se caractérise par des retards dans la mise en œuvre de cette stratégie et des difficultés de gouvernance, qui sont à même d’entamer son bien-fondé et sa crédibilité. Si la troisième version du Plan Loire a mis en place des mécanismes devant permettre de dépasser des difficultés constatées, la question de ce que doit recouvrir une stratégie globale de prévention du risque d’inondation reste entière :
– S’agit-il d’un document partagé qui doit servir de socle, de référentiel devant encadrer l’action à venir selon les principes du Plan Loire tout en permettant l’intégration locale ?
– Ou d’un document planifié très formalisé devant permettre la programmation des actions à conduire localement ? À travers cette question transparaissent les deux tendances qui traversent le concept de stratégie : rationalisation préalable à l’action et structuration des mouvements émergents.
Une approche intégrée de la prévention du risque qui peut s’appuyer sur l’articulation de différents outils réglementaires en France
Les approches holistiques de la prévention du risque d’inondation sont aujourd’hui promues en France, à l’échelon central et sur de plus en plus de bassins, sous le qualificatif de « globales ». Pour notre part nous qualifierons plus facilement ces approches d’intégrées. Elles se présentent comme une alternative aux seules approches structurelles qui visent à lutter contre le phénomène physique sans intégrer les autres dimensions du risque d’inondation comme la vulnérabilité des enjeux ou la non-sensibilisation des populations riveraines (Pottier, 1998). Les différentes caractéristiques qu’elles peuvent recouvrir vont au-delà de la simple prise en compte de la vulnérabilité ou de la sensibilisation : promotion des mesures qui « font la part de l’eau », approche spatiale cohérente avec le fonctionnement des hydrosystèmes, prise en compte du développement durable des territoires inondables… C’est ainsi que se dessine le concept de gestion intégrée du risque d’inondation qui pourrait se définir comme « horizon politique » d’une intégration croissante de la prévention du risque d’inondation. Les outils réglementaires qui existent aujourd’hui en France démontrent que ces approches dépassent le champ conceptuel. On assiste à une véritable convergence réglementaire entre les domaines de la gestion intégrée de l’eau, les outils propres à l’aménagement du territoire, et des dispositifs devant permettre la mise en œuvre de projets pour une approche globale de la prévention du risque d’inondation (Hubert, 2001). Mais les témoignages issus de l’utilisation de ces outils soulignent les difficultés rencontrées lors de leur confrontation aux réalités des territoires et l’importance de leur articulation.
La complexité de l’intégration de la prévention du risque d’inondation au spectre de la mise en œuvre locale de la stratégie ligérienne
Si les principes d’une approche globale et intégrée de la prévention du risque d’inondation tendent à s’imposer, la problématique de leur mise en œuvre, comme confrontation au réel, est centrale et partagée ainsi qu’en témoigne le programme de recherche européen Freude am Fluss. Ce programme qui a structuré une grande partie de notre travail s’est penché principalement sur les nouvelles solutions de gestion des fleuves et de leurs plaines inondables dans une approche élargie à l’Europe, où la culture historique de la gestion des eaux est variable selon les pays. Mais le programme s’est également intéressé aux modalités de mise en œuvre de ces mesures, notamment en promouvant une participation plus étroite des riverains pour une gestion partagée et durable des fleuves (Van der Velde, et al., 2006). « Freude am Fluss » s’est focalisé sur les mesures visant à renforcer ou à maintenir le caractère inondable de certains espaces alluviaux, pour une meilleure gestion des flux et le maintien du bon état écologique de milieux riverains (Groot (de) & Lenders, 2006). Ainsi la mise en place de planifications concertées locales peut être une solution envisageable pour l’application de mesures visant à alléger la pression structurelle sur les cours d’eau. (Winnubst, et al., 2005). La problématique de la mise en œuvre est importante car une approche globale et intégrée de la gestion des fleuves et du risque d’inondation crée autant de nouveaux défis en terme de mise en œuvre qu’elle semble apporter de solutions satisfaisantes d’un point de vue scientifique (Scrase & Sheate, 2002). Sur la Loire, le XIXe siècle fourni aussi un exemple intéressant quant aux difficultés à mettre en œuvre une planification de mesures alternatives : en raison de l’opposition des riverains et de problèmes financiers, la majorité des déversoirs planifiés sur la Loire moyenne pour prévenir les ruptures de levées n’ont pas été construits après enquête publique (Fournier, 2008; Fournier, 2009). Depuis, la situation s’est encore compliquée tant du point de vue du risque que du fait de la territorialisation des politiques publiques visant à mieux prendre en considération les caractéristiques des territoires locaux et de leurs acteurs. Ainsi les systèmes politico-administratifs locaux se sont singulièrement complexifiés alors que les enjeux d’intégration et de coordination sont toujours au cœur des systèmes de régulation (Crozier & Thoenig, 1975). Aussi la définition d’une politique publique ou d’un plan ne débouche pas forcément sur sa mise en œuvre. Et si mise en œuvre il y a, celle-ci peut largement différer des volontés initiales des concepteurs et décideurs. Plus globalement, à une approche classique et descendante de la mise en œuvre des politiques publiques s’opposent des conceptions plus ascendantes ou bidirectionnelles (Kickert, 1997). Et la promotion de mesures alternatives et d’une approche plus intégrée de la prévention du risque d’inondation ne s’accompagne pas forcément d’une mise en œuvre elle même intégrée, comme en témoigne le programme « Room for the River » aux Pays6http://www.freudeamfluss.fr/fre/. Consulté le 30 mai 2009 Bas, ou les difficultés à mettre en œuvre localement la stratégie globale élaborée à l’échelle de la Loire moyenne.
Les définitions de planification et de planification spatiale
P. Merlin donne la définition suivante de la planification : « processus qui fixe (pour un individu, une entreprise, une institution, une collectivité territoriale ou un État), après études et réflexions prospectives, les objectifs à atteindre, les moyens nécessaires, les étapes de réalisation et les méthodes de suivi de celle-ci. La planification prend en particulier la forme de plans. Ceux-ci peuvent concerner une période de temps fixée ou non. On distingue pour un état ou une collectivité locale :
– la planification économique (et sociale) qui s’exprime à travers des plans de modernisation (appellation initiale des plans français) ou des plans de développement économique et social, traitant d’agrégats économiques, financiers et humains ;
– la planification spatiale qui se préoccupe de la répartition dans l’espace des agrégats précédents et, en particulier, des populations et des activités, et prévoit l’échéancier de réalisation et d’implantation des équipements et des infrastructures nécessaires au bien-être de ces populations et à l’efficience de ces activités ». (Merlin, 2009) L’approche économique de la planification est selon lui, la plus ancienne et subordonne souvent la planification. Cette planification a pu être autoritaire (comme dans le cas des pays socialistes) ou indicative (plus souple comme en France).
La régulation étatique renforcée dans les CPER
La logique initiale des Contrats de Plan État-Région s’appuyait donc sur la rencontre de deux planifications régionales et étatiques basées chacune sur des processus associant concertation et prospective (voir paragraphe suivant). Cette convergence des planifications devait ensuite déboucher sur la sélection de priorités communes, découlant sur des engagements financiers regroupés dans le Contrat de Plan Etat-Région. Or à l’occasion du CIAT de Mende du 12 juillet 1993, ce schéma est modifié (figure 5). « Ainsi, les engagements financiers qui étaient subordonnés à la sélection des objectifs sont devenus déterminants dans le schéma concret ; la structuration du contrat de plan par le plan, la concertation, la prospective et même la stratégie de l’État en région sont devenues plus lâches ; le principe de contractualisation qui suppose un accord partenarial libre est marginalisé. Le principe de territorialisation des politiques publiques qui impliquait la mise en cohérence des priorités d’aménagement et de développement du territoire a été étatisé dans le sens des priorités nationales ». (Leroy, 2000; p. 78). Ainsi la mise en œuvre des CPER a débouché sur une approche plus sectorielle où la part de l’État devient prééminente et la concertation avec les Régions moins prégnante. L’instauration d’un noyau dur s’est justifiée au nom de la sélection des priorités par l’État, selon une approche descendante et un certain retour du modèle « redistributeur » de l’Etat ; sauf que le schéma nous montre également que les péréquations ne sont pas déterminantes dans le plan d’action chiffré. Ainsi, le chiffrage des actions est plus déterminé par les enveloppes ministérielles que par la détermination d’une stratégie à l’échelle régionale. Et « la relation effective entre la fixation des enveloppes ministérielles et la règle du noyau dur contribue à altérer la logique de l’engagement financier de l’État dans le sens d’un contrat d’adhésion personnalisé ». (Ibid., p.78).
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Table des matières
REMERCIEMENTS
RÉSUMÉ
ABSTRACT
INTRODUCTION GÉNÉRALE
PARTIE 1 : LE PLAN LOIRE, L’ÉMERGENCE D’UNE STRATÉGIE POUR UNE APPROCHE INTÉGRÉE DE LA PRÉVENTION DU RISQUE D’INONDATION
1 La planification au spectre de l’aménagement du territoire
1.1 Les définitions de planification et de planification spatiale
1.2 L’importance de la planification dans les politiques d’aménagement du territoire
1.3 La crise économique met en cause les politiques d’aménagement du territoire et les grandes planifications
1.4 Les évolutions récentes de l’aménagement du territoire vers une politique de développement des territoires
1.5 La régulation étatique renforcée dans les CPER
2 Les différentes conceptions de la stratégie et les articulations avec la planification
2.1 L’approche classique de la stratégie
2.2 Management et prospective stratégiques
2.3 Critiques de l’approche classique de la stratégie
2.4 Une approche plus ascendante et intégratrice de la stratégie
3 L’historicité des stratégies contre les inondations et des problèmes de mise en œuvre
3.1 Un fleuve aménagé contre les crues et pour la navigation depuis le Moyen-Age
3.2 Les crues majeures du XIXe siècle et les deux programmes de l’ingénieur Comoy
3.3 Les récurrences en terme de stratégie de lutte contre les inondations en Loire moyenne
4 Du renouveau d’une stratégie d’aménagement du fleuve à sa contestation
4.1 L’abandon puis le retour de l’aménagement de la Loire dans le champ de l’action publique
4.2 Le retour progressif des collectivités locales comme maîtres d’ouvrage de l’aménagement de la Loire
4.3 La contestation « écologiste » de la stratégie d’aménagement du fleuve
4.4 La venue d’un nouveau Plan
5 Le Plan Loire comme formalisation et mise en œuvre d’une nouvelle stratégie
5.1 Entre opportunisme et innovation dans la réponse au risque
5.2 Le Plan Loire II, comme mise en œuvre du Plan Loire I
5.3 Des difficultés récurrentes mises en avant dans les discours et les évaluations
5.4 Le Plan Loire III : la clarification peut-elle se faire au détriment de l’intégration ?
6 Une stratégie Loire moyenne de prévention du risque d’inondation au regard de l’expérience néerlandaise
6.1 L’exemple de la planification stratégique « Room For the River » aux Pays-Bas
6.2 La stratégie Loire moyenne, ses difficultés et ses évolutions actuelles
6.3 Absence ou présence d’une véritable stratégie à l’échelle de la Loire moyenne ?
7 Les spécificités des EPTB dans la prévention des inondations : l’exemple de l’EP-Loire
7.1 L’évolution, de l’EPALA à l’EP-Loire
7.2 La montée en puissance des Établissements Publics Territoriaux de Bassin
7.3 Les missions actuelles de l’EP-Loire et les évolutions récentes
8 De la stratégie à sa mise en œuvre locale
8.1 Les recommandations pour mieux définir des objectifs opérationnels
8.2 Le problème de l’appropriation et la remise en question actuelle de la stratégie
8.3 Réflexion sur la place de l’échelon local dans la mise en œuvre d’une approche intégrée et gestionnairedu risque
PARTIE 2 : L’INTÉGRATION DE LA PRÉVENTION DU RISQUE D’INONDATION
1 Vers une gestion intégrée du risque d’inondation
1.1 La complexification du concept de risque d’inondation
1.2 La gestion intégrée : un horizon politique pour l’intégration de la prévention du risque d’inondation ?
2 Intégration de la prévention du risque d’inondation et de l’aménagement du territoire
2.1 L’évolution avant la création de l’outil PPR, l’exemple de la Loire moyenne
2.2 L’outil Plans de Prévention des Risques et ses limites
2.3 Autres types d’intégration du risque dans les politiques d’aménagement du territoire
3 Gestion intégrée de l’eau et prévention du risque d’inondation
3.1 L’évolution du contexte et des outils réglementaires
3.2 Les outils de planification et de programmation pour une gestion intégrée de l’eau et des milieux aquatiques
3.3 Les contrats de rivière
3.4 Les limites de cette intégration
4 Les outils spécifiques au risque d’inondation : vers une gestion intégrée
4.1 Les nouvelles lois risque de 2003 et de modernisation de la sécurité civile de 2004
4.2 Les Programmes d’ Action de Prévention des Inondations (PAPI)
4.3 Une politique de relativisation de la protection « absolue »
4.4 La problématique du financement
5 La synthèse proposée par la Directive européenne pour une véritable gestion du risque d’inondation
5.1 Ce que propose la Directive européenne relative à la gestion du risque d’inondation
5.2 Le projet de plan de gestion en Loire moyenne
6 Conclusion
PARTIE 3 : LA MISE EN ŒUVRE LOCALE
1 La mise en œuvre locale d’une stratégie de prévention du risque d’inondation
1.1 Le concept de mise en œuvre
1.2 La problématique de l’échelon local dans la prévention du risque d’inondation
1.3 L’articulation des différentes échelles
1.4 L’exemple de la mise en œuvre locale du Spatial Planning Key Decision – SPKD- « Room for the River » aux Pays-Bas
1.5 Introduction sur les études de cas de mise en œuvre locale en Loire moyenne
2 La réhabilitation du bras de décharge de la Bouillie dans le val de Blois
2.1 Le contexte et les enjeux de l’opération
2.2 La requalification du bras de décharge du déversoir de la Bouillie à travers le Plan Loire
2.3 L’élaboration du projet de délocalisation des enjeux
2.4 Les opérations découlant de la mise en œuvre du projet
2.5 Réflexion sur les limites d’une approche très descendante
3 La charte de développement durable de l’Association des Communes Riveraines de la Loire en Indre-et-Loire
3.1 Le contexte
3.2 La méthode d’appropriation active pour la reconstruction du dialogue entre les communes et les services de l’État
3.3 La phase de projet : l’élaboration d’une Charte de Développement Durable
3.4 L’échec de la phase de mise en œuvre suivant l’étude préalable
3.5 Conclusion
3.6 Les études de cas et la Démarche de Planification Concertée de Bréhémont
4 Mise en œuvre d’une démarche de planification concertée sur les vals de Bréhémont, du Vieux Cher et la basse vallée de l’Indre
4.1 La Joint Planning Approach (JPA)
4.2 Présentation de la Démarche de Planification Concertée de « Bréhémont »
4.3 Un contexte spécifique fondamental pour les enjeux de la démarche
4.4 Les objectifs et le déroulement de la DPC en tant que démarche expérimentale et opérationnelle
4.5 Les méthodes utilisées durant la Démarche de Planification Concertée
4.6 Les résultats de la Démarche de Planification Concertée
4.7 Discussion
CONCLUSION GÉNÉRALE
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES FIGURES
TABLE DES TABLEAUX
TABLE DES ENCADRÉS
ANNEXES
ANNEXE A: LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES LORS DES DIFFÉRENTES PHASES DE L’ÉTUDE
ANNEXE B: PROJETS ET ACTIONS PRÉSENTÉS PAR LES ACTEURS DE LA DPC
ANNEXE C : DÉTAILS DES DIFFICULTÉS POUR LES ACTIONS PRÉSENTÉES EN ATELIER 1
ANNEXE D: CARTES DES PROJETS ET ENJEUX PRÉALABLES À LA DÉFINITION D’UNE VISION COMMUNE
ANNEXE E: CARTES D’ACTEURS DE L’ATELIER 2 (SCÉNARIOS HYDRAULIQUES) DE LA DPC
ANNEXE F: QUESTIONNAIRE POUR LES ACTEURS DE LA DPC EN VUE DE L’ÉLABORATION D’UNE STRATÉGIE COMMUNE
ANNEXE G : SYNTHÈSE GRAPHIQUE DE LA STRATÉGIE ISSUE DE LA DPC
ANNEXE H: FORMALISATION DE LA STRATÉGIE PRODUITE PAR LA DPC
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