Mémoire et oubli, un faux paradoxe
Les épisodes tirés d’un roman national sont sujets à de multiples commémorations, à l’instar des fêtes adressées à nos figures mythico-historiques (Fête nationale de Jeanne d’Arc et du patriotisme). Plus encore, cette recherche constante d’un réenchantement du passé – que l’histoire stricto sensu ne peut apporter seule, à l’inverse de la mémoire qui se prête bien plus au « petit bonheur » – amène à questionner directement cette étrange association.
Pour le sémiologiste, historien des idées et philosophe Tzvetan Todorov : « La mémoire ne s’oppose nullement à l’oubli. Les deux termes qui forment contraste sont l’effacement (l’oubli) et la conservation ; la mémoire est, toujours et nécessairement, une interaction des deux.59 » Les usages de l’histoire sont nombreux, mais les pratiques les plus tendancieuses peuvent-elles se légitimer sous l’égide d’un « devoir de mémoire » ?
Quand Simone Veil s’oppose à l’ancien président Nicolas Sarkozy en 2008, ce fut en réponse à son projet de « confier la mémoire d’un des 11 000 enfants français60 victimes de la Shoah » à chaque élève de CM2. Bien que cette proposition (qualifiée par la défunte magistrate et femme d’État d’ « inimaginable, insoutenable, injuste ») suscita de vives questions quant à l’intrusion du politique dans l’enseignement scolaire – s’attendre à ce que de jeunes élèves âgés de dix à onze ans aient le recul nécessaire pour appréhender ces sombres événements ne peut que questionner –, c’est bien le rapport entre mémoire et émotion que nous souhaitons interpeler. Jean Baudrillard, dans une tribune accordée au journal Libération en 2005, mettait en lumière cette tension qui s’exprima plus encore avec le déferlement des commémorations qui s’ensuivit et qu’il rassembla sous la coupe d’un « Mythe originel et fondateur », nécessaire à la mobilisation des consciences, à fédérer un ensemble dans une même « victimalité». Pour ce philosophe et théoricien de la société contemporaine, la commémoration n’est que l’opposée de la mémoire : « elle se fait en temps réel et, du coup, l’événement devient de moins en moins réel et historique, de plus en plus irréel et mythique… Devenant un mythe fondateur, la Shoah s’irréalise.»
Les abus de la mémoire
Ces tensions entre mémoire et histoire, entre discours mémoriels et discours historiques donc, font références aux notions développées par Paul Ricoeur dans La mémoire, l’histoire, l’oubli. Ouvrage qu’il rédige en réaction aux thèses négationnistes et dans le but d’offrir une lecture apaisée du passé à ses contemporains, par une phénoménologie de la mémoire qu’il entend bouleverser.
Empruntant à la philosophie grecque (platonicienne entre autres), il pointe deux termes essentiels à sa réflexion : « la mnémè, qui est « affection » (pathos) en tant que souvenir surgi dans la mémoire et reconnu comme passé, et l’anamnésis, ou anamnèse, qui est rappel, remémoration, recherche du souvenir arraché au passé.64 » La pratique de l’histoire nous permet d’assouvir ce besoin en souvenirs ; elle construit en vue de reconstruire pour paraphraser l’auteur ; est nécessaire puisque il nous faut conserver une partie de notre passé tout en appréhendant un avenir incertain. Si ce postulat peut être rapproché à l’universalisme et ses conséquences en des considérations culturelles, c’est surtout le glissement entre mémoire et injonction à la mémoire qui présente, lui, un danger certain.
La mémoire est sujette à des abus que l’auteur distingue ainsi :
Une mémoire sujette à l’abus, à être biaisée par un pouvoir qui s’appuie sur une narrativité du récit (l’ « itinéraire » choisit et sa mise en rapport avec des faits pour faire sens), qui peut entrainer une infection de la mémoire collective. Autrement dit, c’est « la fonction sélective du récit qui offre à la manipulation l’occasion et les moyens d’une stratégie rusée qui consiste d’emblée en une stratégie de l’oubli autant que de la remémoration.69 » Tout travail de mémoire, toute recherche sur le passé, toute rédaction historique est inévitablement le fruit d’une sélection d’après T. Todorov70. Cette sélection, constituée de différents épisodes et événements – des faits marquants aux figures marquantes – s’enchaînent entre eux pour former une « bonne » combinaison, bien loin d’une « objective » combinaison. Cette sélection est motivée par diverses raisons. Sans exhaustivité, quelques exemples qui se justifieraient par la mémoire : recherche d’une légitimité, reconnaissance du pouvoir en place, fabrique d’une unité nationale, élaboration de racines communes, apaisement social ou motif de ségrégation.
Ces rappels à l’histoire, au bien commun, à la mémoire, soulèvent différentes problématiques. Notamment, ces dérives qui peuvent conduire à pervertir le « travail de mémoire » qui se doit d’être réfléchi et non soumis à des approches passionnelles ; approches qui justifient plutôt un « devoir de mémoire » contre-productif. Il est à présent intéressant d’observer des usages divers de l’histoire autre que mémoriels.
Les usages possibles de l’héritage gaulois
L’héritage gaulois a connu un regain d’intérêt au XVIIIe siècle en période post-révolutionnaire en éclipsant peu à peu l’héritage franc et romain cher au mythe fondateur jusque-là référant, non sans affrontement. Cette instauration progressive, et pour le moins complexe à appréhender, convoque différentes personnalités illustres et moindres et ce, dans divers domaines que Christian Amalvi analyse rigoureusement :
La littérature : Victor Hugo, dans Notre Dame de Paris (1831), invoque une « cathédrale gauloise » synonyme d’édifice « national et populaire », opposé aux grandes bâtisses gréco-latines « symboles de décadence, qu’on appelle renaissance ». Honoré de Balzac adoptera lui aussi cette virulence dans Le Cabinet des Antiques (1838) à l’égard du « sang franc [des nobles », appartenant à un passé révolu qu’est celui de l’Ancien Régime.
L’histoire : Anne Gabriel Henri Bernard de Boulainvilliers (1658 – 1722), historien et astrologue français, cristallisait déjà en son temps les clivages idéologiques sur lesquels peut reposer un mythe national et les modifications que l’on y apporte pour qu’il soit adapté à nos ambitions : « [Boulainvilliers] explique toute l’histoire de France par la fameuse lutte entre la race franque et la race gauloise : autrement dit entre les nobles, consacrés contre toute vérité historique héritiers des conquérants francs […] et le tiers-état taillable et corvéable. »
L’enseignement : Bien entendu avec les divers manuels d’histoire « revisités » sous le Second Empire mais auparavant aussi : « Cette vision d’une Gaule républicaine s’est naturellement transmise sans grand changement à l’enseignement primaire avec les réformes scolaires de Jules Ferry […] à partir de 1879. Les pédagogues républicains n’ont cependant pas créé ex nihilo le culte de Vercingétorix et de «nos ancêtres les Gaulois» à l’école publique […] Le rôle exact des républicains a consisté à replacer les Gaulois à leur vraie place dans la chronologie historique et à leur attribuer la signification populaire et démocratique donnée par les historiens et écrivains. »
La politique : Plus globalement, l’opposition entre l’ancien et le nouveau, c’est-à-dire, le clivage entre la grandeur « franquo-romaine » et l’universalité gauloise est l’apanage des débats politiques et intellectuels qui s’émancipent à la disparition de la monarchie. Schématiquement, on distingue peu ou prou les sympathisants de Clovis et ceux de Vercingétorix. La caste des nobles et autres rêveurs de l’Ancien Régime défendent les racines illustres dont ils sont les héritiers. De l’autre, la nouvelle pensée républicaine favorise, quant à elle, le bien commun que la Gaule idéalise.
De façon schématique il a été précisé, car nombreuses sont les divergences d’opinion dans la multitude de partis politiques et autres groupes d’influence. Qu’ils soient de gauche, de droite, sensiblement religieux ou plutôt laïcs, l’émancipation gauloise « qui tout au long du XIXe siècle a été synonyme de progrès politique et social» est une affaire de sensibilité idéologique avant tout. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’héritage gaulois se démocratise davantage grâce au soutien de l’empereur Napoléon III qui fait face à une instabilité politique et sociale. Par des fouilles archéologiques, dont il est l’instigateur, il invoque Vercingétorix qui deviendra par la suite le digne chef d’une Gaule (qui doit être) unie. Charismatique, brave et symbole phare d’une résistance contre les armées romaines que ledit empereur souhaite incarner à son tour. On usera d’un parallèle grossier pour affilier l’armée prussienne à celle de Jules César, un envahisseur qui pénètre sur le territoire et assiège Paris, à l’instar d’Alésia. L’empereur souhaitait d’autant plus créer l’unité chez les Français, réaffirmer l’identité nationale autour d’une certaine imagerie d’Épinal qui perdurera dans les livres d’histoire jusque dans les années 1960.
L’unité nationale, un impératif politique
La Troisième République, proclamée le 4 septembre 1870 par Léon Gambetta (soit deux jours après la capture de l’empereur Napoléon III à Sedan), viendra cimenter et étoffer plus encore le roman national. L’unité nationale, autant que la patrie chère à Ernest Lavisse, sera dressée en maître mot pour les décennies suivantes ; dont le but sera de fédérer autour d’une idéologie commune et ce, en évitant tout particularisme politique : « Certains pédagogues nationalistes vont plus encore dans l’éloge du patriotisme gauloise et, pour mieux dénigrer et rabaisser l’ancienneté de la Germanie, célèbrent dans la Gaule l’aîné des nations européennes.75 » Si nous devions user de quelques formules maladroites, nous pourrions envisager ce concept d’unité comme un impératif aux sociétés humaines. Pour ne pas exclure totalement le reste du règne animal, nous pourrions au mieux préciser que l’unité nationale est un concept bel est bien anthropique. Les méthodes que monarques, stratèges, gourous, politiques, religieux, dictateurs et autres empereurs ont usé pour y parvenir sont le témoignage d’une créativité au service d’une union collective, peu importe leurs desseins. Fédérer par un idéal, une culture commune, une idéologie, une religion voir un roman national n’a rien d’unique dans l’histoire humaine. Les pratiques politiques contemporaines en témoignent à la manière de celles d’antan.
Le roman national est lui aussi le fruit d’une volonté politique, au sens de politikos. La promotion dudit roman est justement motivée par des directives étatiques et suivant une logique de construction identitaire et politique. Autrement dit, dans la deuxième moitié du XXe siècle, « ce nationalisme en recherche d’une meilleure cohésion de la communauté nationale devient une méthode de gouvernement » précisent Jean-Claude Caron et Michel Vernus. Néanmoins, la République gauloise ne semble avoir, pour ainsi dire, rien de novatrice dans ses fondements. Les enjeux sur lesquels elle repose sont inhérents à cette temporalité empreinte de crises et autres conflits certes, mais son objectif ultime d’unité fait écho au roman qui l’a précédé, ou plus exactement, à l’ancien mythe des monarques. Jusqu’à lors, ce sont les origines troyennes du peuple franc qui préfigurent dans les anciennes monarchies. Par le rayonnement de ses légendes qu’elles avaient à offrir aux dignes descendants, elles constituent à travers des siècles de succession et d’utilisation, un mythe fondateur à l’histoire de France, du moins jusqu’en l’an 1450. Il ne s’agit plus de détailler la façon dont les Gaulois et leur tête de proue Vercingétorix ont pu évincer le prestige d’une cité rendue intemporelles par Virgile et Homère, mais il semble davantage pertinent de reprendre les travaux de l’historienne Colette Beaune pour déceler les possibles usages politiques de l’histoire à travers le mythe.
L’HISTOIRE, UNE AFFAIRE POLITIQUE
Le mythe fondateur troyen
Le mythe fondateur autant que le récit national s’inscrivent dans le désir de faire naître un passé glorieux et empreint de prestige, par l’invocation d’une lignée ancestrale aux personnages légendaires, mais pas uniquement. Il est nécessaire en ce début de réflexion d’apporter des éléments de compréhension quant à l’usage de tels procédés, c’est-à-dire, d’un travestissement de l’histoire au service d’enjeux hétéroclites et prenant corps ici dans une France morcelée du Grand Siècle.
Le mythe des Francs, descendants directs du peuple de Troie, prend appuie sur deux textes latins du VIIe et VIIIe siècle, le Pseudo Frédégaire et le Liber historiae Francorum, et perdure jusqu’au XVe siècle. S’ensuivirent différentes modifications et notamment un second remaniement important du mythe opéré par Jean Lemaire de Belges vers 1500, date de la publication de son ouvrage les Illustrations de Gaule et Singularité de Troie. Le mythe s’inverse alors, les Troyens sont à présent descendant directs du peuple germanique. Le but de ce bouleversement historiographique orchestré par Lemaire de Belges – et suivant des motivations presque similaires à l’un de ses prédécesseurs, Rigor – fut de préserver l’unité nationale. Par cette pureté des racines gallo-franques que ce remaniement vise, il permet d’unir les habitants du territoire de France, peu importe leurs origines familiales ou sociales car ils sont nés en terre française, évitant ainsi de faire « des Français une population mélangée, solution inacceptable ».
Les atouts politiques
Le mythe fondateur paraît ainsi salvateur, en permettant de tirer avantage de son rayonnement suivant la situation précise d’une époque donnée, et de répondre à des problématiques auxquelles les groupes d’influence doivent faire face :
Un mythe garant du prestige : Il s’agit « d’établir de façon péremptoire les titres des rois de France à la possession du royaume de France88 », notamment pour ce qui a trait au Droit dynastique et qui permet la préservation de la loi salique pour les souverains et futurs souverains. La noblesse est tout autant assuré de pouvoir préserver ses privilèges en invoquant une généalogie légitime puisque pure.
Le mythe comme atout géopolitique : Quand, par exemple, il fut utilisé pour appuyer les revendications territoriales françaises et démontrer la fausseté des origines troyennes des Anglais en pleine guerre de Cent Ans (1337 à 1453) : « Il fallait, en même temps, établir, de manière irréfutable, le bon droit de la dynastie des Valois, en face des prétentions des Plantagenêts et des Lancastres et montrer que des provinces connue comme la Normandie et la Guyenne, revendiquées par les Anglais, faisaient partie intégrante du royaume. »
Un mythe garant de l’unité ethnique de la nation : Parce que tout un chacun est descendant d’une même lignée, il permet autant de réaffirmer une unité nationale dans un pays en proie aux guerres civiles que d’ « amenuir » en théorie de futures révoltes, puisque les différents territoires et « groupes sociaux [reposent] solidement sur la parenté de sang».
Le mythe fondateur se présente alors comme un « mythe d’anoblissement collectif » permettant l’unité dans la nation et garantissant son rang face aux autres nations.
Quoi en conclure ? Que l’histoire peut bel est bien prendre une forme autoritaire et ce, de diverses façons. Par l’exaltation nationale qu’offrent le roman et ses récits, induisant une nécessaire fierté envers la patrie. Par l’injonction à la mémoire où des totems plus que des réflexions globales sur le passé sont érigés. Par ses multiples usages plus ou moins prestigieux dans différents domaines. Enfin, par son caractère éminemment politique qui permet autant de fédérer que de légitimer un pouvoir en place. Il est à présent intéressant de se pencher davantage sur les principes de fonctionnement du mythe, plus exactement, d’interroger ce concept qui semble de prime abord posséder d’incroyables vertus.
Les propriétés générales du mythe
Le mythe fondateur – autant que le roman national auquel Ernest Lavisse a contribué et qui use de quelques ficelles particulièrement anciennes : « tous nous sommes Troyens », par Philippe Mouskes (1220-1282) – , repose sur de drastiques modifications de l’histoire pour faire coïncider, en un certain temps, des objectifs jugés cruciaux. Ces remaniements ont dû être, sans incertitude aucune, sujets à de nombreuses contestations. Comment expliquer alors cette puissance du mythe qui permet de défier toute rigueur scientifique ?
Le mythe a comme principal atout d’offrir une certaine stabilité intellectuelle à qui l’adopte en apportant, ou plutôt, en solutionnant des phénomènes qui le dépassent. Une sorte de théorie cosmogonique, existentielle ou encore identitaire ayant comme caractéristique d’être close voir atemporelle, tout en permettant de répondre à des questionnements divers et variés, exogènes au mythe lui-même. Celui-ci nous apparaît de façon presque transcendantale, puisque sa seule existence (remarquable puisque extérieure aux réalités) suffirait à maintenir une cohérence dans l’imaginaire collectif. Pour ce faire, il doit être ajusté en fonction des considérations d’une époque précise, d’un territoire à sa physionomie sociale propre. Sachant les difficultés, voir l’impossibilité d’obtenir des traces écrites ou toutes autres preuves irréfutables quant aux origines d’un mythe, celui-ci doit être formulé différemment. Jean Pouillon, philosophe de formation ayant contribué à différents travaux ethnologiques dont L’analyse des mythes, détermine que le mythe : « renvoie d’abord à un autre mythe dont il reprend les éléments pour les organiser autrement, non à une infrastructure sociale. La relation entre celui-là et celle-ci n’est donc ni causale, ni même fonctionnelle, elle est plutôt celle d’une réponse à une question. » L’analyse de la construction d’un mythe reste cependant complexe tant les variantes à prendre en compte sont nombreuses, sujettes même à l’interprétation.
En son temps, Claude Lévi-Strauss – dans une démarche structuraliste, dont il est le fondateur – proposa une méthode d’analyse structurale des mythes par le biais d’ « unités fondamentales du mythe », qu’il nommera « mythème ». L’ethnologue offre une grille de compréhension (à la forme mathématique) séduisante, notamment en pointant l’usage de la répétition – communicationnellement parlant – et qui semble être l’outil fondamental à la propagation du mythe autant qu’à la compréhension de sa structure. Cependant cette méthode d’analyse pourrait bien mieux convenir, toujours selon C. Lévi-Strauss, à une démarche ethnologique que sémiotique, car le mythe appartient « à un milieu sémantique organisé » que l’ethnologie ne peut réellement saisir seule. L’aspect sémiologique du mythe importe autant que son contexte (ethnologique) qui ne peut être occulté de l’analyse : « un mythe, ce n’est pas un assemblage hasardeux de symboles en une histoire qui, par elle-même, n’aurait d’autre fonction que [d’être] l’excipient sans intérêt d’une sorte de composition psychologique. Le caractère systématique du mythe implique au contraire l’importance du contexte. » Cependant, ledit « contexte » transforme irrémédiablement le mythe par les discours. C’est justement ces éléments discursifs qui le transforment, lui confèrent ses caractéristiques vertueuses. Celui-ci est ainsi fait d’une série d’histoires au plurielle qui se meuvent dans une société en fonction d’un type de population. Comme le précise J. Pouillon : « Cette pluralité ne devient intelligible qu’à partir du moment où l’on peut montrer que ces versions sont des variantes combinatoires au sein d’un groupe, qu’elles représentent les diverses utilisations logiques des relations présentes dans le groupe. »
Nous pourrions dès lors vulgairement résumer le mythe ainsi : un mythe est un ensemble de mythes empreint de symboles, tributaire d’un contexte dans une société donnée et relatif aux symbolismes que des groupes de population lui accordent, et qui leur offre (par un jeu d’opposition et de rapprochement) une conception commune du monde. Le barbare gaulois peut ainsi incarner le brave un jour, le réfractaire un autre. Le mythe est autrement dit ce récit fondamental : cette histoire fondatrice ayant pour ambition d’élucider les mystères du monde, de comprendre les origines d’une société, de légitimer son territoire, de clamer ses valeurs morales, d’appeler à l’unité, de conférer du sens aux événements, de construire son identité, d’établir une relation entre le présent et le passé.
La construction du récit
L’histoire est l’un des termes employés par A. Bossuat pour qualifier (non sans ironie) le mythe franc. Cela suppose l’existence de récits pour que le mythe puisse subsister, ou prosaïquement, pour qu’un mythe soit mythe il doit nécessairement être transmis, oralement ou par écrit. Après avoir éclairé de façon générale les principes du mythe, par avance, les causes du roman national et les conséquences du mythe fondateur, il est à présent pertinent de comprendre les fonctionnements du récit. Pour ce faire, la narratologie ou l’analyse du récit, science impulsée par Gérard Genette,peut nous aider à comprendre comment un récit se compose. Le théoricien proposa, dans Les frontières du récit, d’en formuler les contours en l’opposant à ceux du discours : « Le discours peut « raconter » sans cesser d’être discours, le récit ne peut « discourir » sans sortir de lui-même. » Plus encore, « la diction propre du récit est en quelque sorte la transitivité absolue du texte, l’absence parfaite […], non seulement du narrateur, mais bien de la narration elle-même, par l’effacement rigoureux de toute référence à l’instance de discours qui le constitue. » Le récit peut, en quelques sortes, se suffire à lui-même. Il souligne aussi le fait que dans un récit, si l’on y implémente un discours quelconque, ce dernier reste une forme de discours et contraste inévitablement avec son ensemble narratif qui répond à des exigences littéraires.
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Table des matières
Introduction
Les raisons de cette étude
Problématique et hypothèses
Terrain d’étude
PREMIÈRE PARTIE
I. NOS RAPPORTS À L’HISTOIRE
1.1. POUR UNE CONCEPTION PATRIOTIQUE DE L’HISTOIRE
1.1.1. Le roman national est patriotique
1.1.2. Du particularisme national au patriotisme constitutionnel
1.2. MÉMOIRE ET OUBLI, UN FAUX PARADOXE
1.2.1. Les abus de la mémoire
1.3. LES USAGES POSSIBLES DE L’HÉRITAGE GAULOIS
1.3.1. L’unité nationale, un impératif politique
II. L’HISTOIRE, UNE AFFAIRE POLITIQUE
1.4. LE MYTHE FONDATEUR TROYEN
1.4.1. Les atouts politiques
1.5. LES PROPRIÉTÉS GÉNÉRALES DU MYTHE
1.6. LA CONSTRUCTION DU RÉCIT
1.6.1. Du récit écrit au récit oral
1.6.2. Le récit oral se distingue par l’interaction
III. LE DISCOURS FÉDÉRATEUR EST SYMBOLIQUE
1.7. LES IDÉES FORCES RÉGISSANT L’ANALYSE DU DISCOURS
1.7.1. Le discours est une construction organisée
1.8. LE DISCOURS D’AUTORITÉ EST UN DISCOURS DE L’ÉVIDENCE
1.8.1. Un discours sans aspérité
1.8.2. Un discours qui assoit son autorité
1.8.3. Le phénomène d’autoproduction de l’autorité en action
1.9. UNE CONSTRUCTION D’ORDRE SYMBOLIQUE
1.9.1. Les éléments cruciaux à l’autorité
1.9.2. La non-nécessité du logos dans les discours d’autorité
1.9.3. Le pathos où le primat de la rationalité subjective
IV. LE DISCOURS EST AGISSANT
1.10. AGIR SUR LES REPRÉSENTATIONS
1.10.1. La transformation de la réalité par le discours
1.11. L’EXTRÊME TENSION ENTRE CULTURE NATIONALE ET CULTURE MONDIALE.
1.11.1. La mondialisation bouleverse les représentations
1.11.2. L’importance sociale de la médiation imaginaire
1.11.3. L’imaginaire, notion centrale de la pensée castoriadienne
1.11.4. L’historien participe à la construction de l’histoire mais n’est en rien son unique contributeur
1.12. LES REPRÉSENTATIONS INSTITUÉES
1.12.1. L’influence des institutions
1.12.2. Les représentations de la langue par l’Académie Française
1.12.3. Une hyperénonciation symbolique
1.13. ACTES DE PAROLE ET PERFORMATIVITÉ
1.13.1. La performativité parfaite
SECONDE PARTIE
I. L’IDENTITÉ NATIONALE, UN PROJET POLITIQUE
1.14. CONTEXTE
1.14.1. Un projet politique
1.15. L’IDENTITÉ NATIONALE, UNE BELLE FORMULE
1.15.1. La formule, une structure figée et réduite
1.15.2. Le discours informe le réel
1.15.3. Le discours politique et un discours d’autorité
1.16. ANALYSE D’UN DISCOURS POLITIQUE
1.16.1. Analyse lexicométrique
1.17. LA PRÉGNANCE DU DISCOURS POLITIQUE
II. LES RELECTURES DE L’HISTOIRE DE FRANCE PAR NICOLAS SARKOZY
1.18. UNE VOLONTÉ POLITIQUE
1.19. LES RÉFÉRENCES HISTORIQUES DE NICOLAS SARKOZY
1.19.1. Tableau des références
1.19.2. Un syndrome de Stendhal revisité
1.19.3. « L’identité nationale n’est pas une pathologie » [Paris, 04/04/07]
1.19.4. Déconstruction d’un discours
1.20. UN ÉTHOS D’ASSEMBLAGE
Conclusion
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
ANNEXE 1 : QUESTIONNAIRE N°1, BLAISE DUFAL – ENJEUX GÉNÉRAUX DE L’HISTOIRE.
ANNEXE 2 : ENTRETIEN N°1, BLAISE DUFAL – ENJEUX GÉNÉRAUX DE L’HISTOIRE – 24/05/2019
ANNEXE 3 : QUESTIONNAIRE N°2, CHRISTIAN LE BART – HISTOIRE ET DISCOURS POLITIQUES
ANNEXE 4 : ENTRETIEN N°2, CHRISTIAN LE BART – HISTOIRE ET DISCOURS POLITIQUES – 20/08/2019
ANNEXE 5 : DÉCLARATION DE M. BRICE HORTEFEUX, PARIS LE 18 SEPTEMBRE 2007 DÉTAIL DES RÉSULTATS LEXICOMÉTRIQUES
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