Les rapports entre justice et justiciables pendant les troubles de la Ligue

Procédure, sentence et résultats

De nombreuses pièces sont émises lors des procès, et si notre sujet d’étude ne porte que sur les sentences d’une cour d’appel, celle-ci n’est censé être que la dernière étape d’une l’affaire même si peuvent suivre diverses procédures tels les défauts ou congés, demandes d’exécution d’arrêt précédents – nombreux pendant la Ligue – , etc. Les requêtes portées à la Grand’Chambre se révèlent ainsi d’une extrême diversité, dans les enjeux qu’elles abordent d’une part, mais aussi dans leur nature même. Les arrêts nous donnent parfois dans leur propre contenu une idée des étapes précédentes de l’instruction.
Qu’est-ce que la sentence ? Comment est-elle prise ? La sentence – ou l’arrêt pour les cours supérieures – peut être aussitôt rendue par le juge, on parle à ce moment là de sentences « sommaires » dans lesquelles on distingue « celles qui le sont par la nature de la contestation » et « celles qui le sont par la modicité de la somme ». Dans les premières on trouve les affaires de police, d’ordre public, et les secondes sont des « causes pures personnelles » ne dépassant pas 400 livres au parlement, 200 dans les autres juridictions. Les matières « sommaires » sont donc très nombreuses puisque n’y échappent finalement que les causes personnelles comme les dettes. Mais il peut aussi y avoir plusieurs audiences pour une même affaire et qui aboutissent à un arrêt par écrit,ce sont alors des affaires dites à « appointement par écrit » ou à « dictum » dans lesquelles un arrêt intermédiaire conclut à un appointement en droit (ordre donné par les juges aux parties de produire par écrit leurs argumentations). Parfois, on se trouve devant des causes interminables et qui donnent lieu à des développements à l’infini, chaque partie pouvant déposer des recours, demander le transfert vers une autre chambre ou une autre juridiction, on en rencontrera plusieurs dans le cadre de la Ligue.
Après la sentence, qui n’est pas motivée, c’est-à-dire pas expliquée par le juge sauf si demande particulière, les parties peuvent faire appel au tribunal supérieur ou directement en parlement. Se pose une question supplémentaire pendant la Ligue : dans toutes les affaires mettant aux prises un ligueur et un royaliste ou inversement, la justice prend une décision contre l’intimé, sans sa présence et sans qu’il puisse défendre sa cause, d’où parfois une suite de congés ou de défauts. Une telle sentence est-elle alors légitime en période de guerre civile ? Et comment la mettre en application ? Le parlement, dans certains cas, donne ainsi le même arrêt plusieurs fois en l’espace de quelques mois car il n’a pas été mis à exécution. Autre cas particulier, le fait de prendre des décisions valant « comme si faites devant personnes ou à domicile » ce qui arrive assez régulièrement dans des affaires opposants les deux partis, par exemple le 1er octobre pour Prigent le Normant dans le but que les défendeurs, tenant le parti des rebelles, lui rendent la somme de 2 200 livres. Notre étude se fonde sur deux types d’actes pour les deux parlements. Il s’agit en premier lieu, et ce sont les plus importants en nombre, des arrêts sur requêtes. Ils sont suivis par les arrêts sur remontrances, beaucoup moins nombreux. Après un dépouillement complet de l’ensemble des actes des deux cours souveraines de Bretagne, nous nous sommes pour ce mémoire uniquement intéressé aux actes ayant un rapport, de près ou de loin avec le conflit ligueur. Les deux tableaux suivants récapitulent nos recherches par parlement.
Le nombre d’actes entre Rennes et Nantes est donc considérablement différent, cela s’expliquant bien sûr par le fait de la jeunesse de la Cour nantaise : au mois de janvier 1590, c’est-à-dire au moment de sa création, ce sont seulement 6 arrêts qui ont été donné à Nantes contre 75 à Rennes. En revanche, en comparaison avec Rennes, Nantes a bien plus d’arrêts sur remontrances proportionnellement aux arrêts sur requêtes : de nombreuses décisions sont donc prises, sur les requêtes du procureur général de la Ligue, surtout concernant la capitale ligueuse, elle-même et son administration. Pour ce qui concerne les actes touchant au conflit, ce sont en moyenne quasi un sur deux à Rennes, plus d »un sur trois à Nantes, les plus importants pourcentages se situant en début d’année :
Comment expliquer cette baisse à la fin de 1590 ? Par un tassement de la situation militaire et conflictuelle ? Un moindre intérêt des parlements pour ces questions ? Moins de difficultés des justiciables ? Probablement un mélange des trois d’autant que l’année 1590 est un moment relativement stable dans le conflit mais il est difficile d’y répondre car il nous faudrait pouvoir effectuer une étude sur un temps plus long, sur les années suivants 159054. Notons malgré tout que cette inflexion de fin d’année est toute relative à Rennes. Quant à la Cour de Nantes, elle n’attire dans l’ensemble que peu les justiciables, hormis les plus proches (voir plus bas) sans doute moins touchés que d’autres secteurs bretons par la guerre. D’ailleurs, un certains nombre de requêtes traitées à Rennes proviennent elles-mêmes du pays nantais, signe donc d’un certain attachement à la Cour rennaise qui va peut-être au-delà d’un simple choix idéologique entre ligueurs et royalistes.

Les arrêts sur requêtes

La nature des requêtes portées devant la Grand’Chambre est diverse, mais dans la très grande majorité des cas, nous avons à faire à des requêtes « classiques », des demandes faites au parlement sur des appels en procès, des requêtes de suppliants pourvus de lettres de commission leur permettant de faire appeler un individu devant les juges du parlement, des demandes d’exécutions d’arrêts antérieurs, des demandes de transferts de procès entre juridictions, d’enregistrement de lettres de provisions, ou encore des demandes de confirmations de sentences. Quelques arrêts sont néanmoins différents : nous trouvons ainsi des demandes de profits de défauts ou de congés quand le demandeur ou le défendeur ne s’est pas rendu dans les temps à la sour, toute une série de sentences prises sans requêtes préalables et qui concernent essentiellement le fonctionnement même du parlement, et notamment les gages de ses officiers, des arrêts de règlements et enfin des enregistrement de lettres patentes du roi. Mais nous allons ici nous intéresser à la construction même de l’arrêt, à ses particularités rhétoriques, cela à travers un autre exemple, une sentence rennaise55 datée du 5 juin 1590 :
L’arrêt est intéressant dans sa forme et nous fournit de précieux renseignements. Il commence logiquement par présenter les parties en présence, ici le demandeur en requête François de la Haye contre le défendeur, Olivier Couaisnon qui se trouve être avocat à la Cour. Après ce préliminaire obligatoire vient le corps de l’arrêt, à savoir la requête qui est posée à la Grand’Chambre, la présentation de l’affaire qui rappelle les faits : François de la Haye réclame, puisqu’il est au service du roi dans l’armée du prince de Dombes, qu’il soit « sommairement » procédé au jugement de l’appel en cours entre les parties sur une sentence donnée le 23 mai dernier par la chambre des Requêtes. Et « en tout cas » qu’il soit fait défense au défendeur, le temps que F. de la Haye est absent, de faire exécuter cette sentence et de déloger sa famille des lieux où elle semble vivre.
Voilà la demande portée en justice, sans grandes précisions quant à la sentence dont il est fait appel ni sur l’affaire en elle-même : pourquoi la famille du suppliant doit-elle être délogée ? Pour y répondre, il faudrait aller consulter les pièces précédentes, probablement disparues, mais nous en avons déjà un petit aperçu car après la présentation de la requête se trouve en effet un rappel de la procédure et des différentes pièces étudiées par la Cour : a ainsi été vue la sentence du 23 mai dont F. de la Haye fait appel, l’appel lui même déposé par la femme du suppliant, l’intimation (ou assignation) du défendeur qui a suivi, l’ordonnance établie par le conseil du prince de Dombes du 12 mai disant que la femme du demandeur peut « paisiblement » jouir de son logis et que défense est faite à O. Couaisnon de l’y inquiéter, et enfin les intimations que cette ordonnance a produites pour le défendeur. Mais que s’est-il passé avant la première sentence du 23 mai et pourquoi a-t-elle été donnée ? Néanmoins cette étape de l’arrêt nous permet de saisir l’ampleur d’une affaire et aussi sa « longévité ».
Après avoir « tout considéré », expression qui précède le jugement, nous avons le dispositif principal, à savoir la sentence introduite par la formule « il sera dict », suivi par les frais et dépens éventuels et la signature. C’est ainsi que la Cour répond ici favorablement aux demandes et donne un délai de jugement de trois mois aux parties. Cet acte est un bon exemple de ce que l’on trouve, les autres suivant rigoureusement cette structure, à Rennes comme à Nantes. Mais celui-ci est également un bel exemple d’un litige entre particuliers intervenant dans le contexte de la guerre, le suppliant étant soldat dans l’armée du roi, mais qui prend ici une tournure assez exceptionnelle puisque la Cour le transforme en arrêt de règlement. Est en effet déclaré que à tous « gentilzhommes, cappitaines et soldatz estans en ceste ville et forsbourgs de Rennes, ladicte court enjoinct et faict commandement de aller dans ce jour en l’armee dudict prince de Dombes lieutenant general pour le Roy en ce pays pour l’assister et randre le service qu’ilz doibvent audict seigneur Roy ».

Les arrêts sur remontrances

Les arrêts sur remontrances sont pris à la requête du procureur général ou bien directement à l’initiative de la cour. Dans son contenu, ils sont assez variable mais ont, dans la plupart des cas et au contraire des arrêts sur requêtes, une dimension sociétale beaucoup plus large : ce sont souvent en effet des arrêts de règlement, à portée générale et qui s’adressent à l’ensemble de la société ou à un groupe particulier. Par ce pouvoir règlementaire, « le parlement est un acteur majeur de l’espace public de la ville où il siège ». L’acte que nous allons ici présenter, provenant de Nantes cette fois-ci et en date du 19 mars 1590, est néanmoins un des rares arrêts sur remontrances qui n’est pas un arrêt de règlement. Comme sa forme est semblable aux arrêts sur requêtes, nous serons donc plus rapide.

Les rapports entre justice et justiciables pendant les troubles de la Ligue

Réalité multiséculaire, la justice ne peut être comprise que par une approche de nature historique, structurelle », elle se veut sous l’Ancien Régime la défenderesse de l’ordre public et social, en particulier dans un moment tel que celui de la Ligue. La grande quantité d’archives litigieuses fait état de cette place primordiale que l’institution occupe dans la vie quotidienne des sujets du roi de France. Hervé Piant évoque ainsi le fait que « comme toutes les activités sociales, mais peut-être plus que d’autres, le recours judiciaire s’inscrit dans un cadre formel, impératif et précis : l’institution, c’est-à-dire l’ensemble des règles chargées d’assurer le fonctionnement de l’activité judiciaire ». C’est ce que nous avons constaté jusque-là dans ce chapitre. Le droit, la hiérarchie et la géographie juridictionnelle, l’organisation interne des tribunaux en constituent, entre autres, les différents aspects. Et c’est dans ce cadre-là que la justice s’incarne dans des hommes, des lieux, des pratiques : « l’institution [est trop souvent] décrite sans se soucier des hommes qui l’utilisent, en l’occurrence les hommes de justice et les justiciables ». Se créée en effet une sorte de dialogue entre les justiciables et l’institution, les réponses émises par celle-ci dépendant en grande partie des demandes des populations, « car si l’institution poursuit des buts qui lui sont propres, elle en recherche la réalisation en tenant compte des moyens à sa disposition et de la réaction des justiciables»63. Des justiciables qui sont loin d’être passifs, vision « ascendante » de l’activité judiciaire qui fait des plaideurs des personnages actifs dans le procès : ils font le choix d’aller en justice, un choix savamment réfléchi et orchestré pour savoir si cela vaut ou non la peine. Le plaideur participe à la progression de la procédure, peut abréger ou arrêter le procès par des arrangements avec le défendeur. Peut-on parler de plaideurs « tout-puissants » ?
Les arrêts sur requêtes et sur remontrances des deux cours rennaise et nantaise nous fournissent en effet toute une série de renseignements « techniques » sur les plaideurs et en particulier sur les demandeurs qui nous mènent sur la piste d’un certain nombre de questions que l’on se posera tout au long de ce mémoire. Tout d’abord celle de la maîtrise du territoire alors que la province est divisée en deux. Quel contrôle des parlements sur leur ressort ? Ensuite, qui sont ces plaideurs ? D’où viennent-t-ils ? De quelles couches sociales ? Peut-on dresser une typologie des plaideurs, de ceux qui se portent au devant d’une cour d’appel ? Enfin, sous quels motifs ? Quels sont les grands enjeux, les grandes problématiques rencontrées par les justiciables, du moins ceux qui vont au parlement ? dans le cadre de la Ligue ? Quels rapports sont entretenus entre le système judiciaire et l’institution parlementaire avec les justiciables ?

La maîtrise de l’espace : une géographie des requêtes

Une géographie des requêtes s’impose, qui prend une importance plus grande encore pendant la Ligue. Nous avons donc réalisé deux cartes par parlement selon les origines géographiques des plaideurs et des requêtes – ces informations n’étant pour la plupart du temps pas mentionnées pour ce qui est des défendeurs -, tout d’abord sur l’ensemble des actes de l’année 1590, puis sur les actes seuls qui ont un lien direct avec la Ligue. Ce sont sur ces dernières cartes que nous nous attarderons donc le plus en essayant d’expliquer le fait que la très grande majorité des requêtes proviennent de la région proche du parlement : nous allons nous demander si ce parlement joue le même rôle dans l’ensemble de son ressort que celui qu’il se donne dans sa ville siège, s’il est donc aussi le parlement de Bretagne et non pas seulement celui de Rennes ou de Nantes, s’il est « un acteur de la construction provinciale »66. Et pour quel contrôle effectif sur le ressort ? Mais il faut avant tout signaler qu’il n’existe pas d’autres études similaires et donc que nous ne disposons pas de moyens de comparaison sur d’autres périodes – hormis un travail récent de recherches sur les arrêts sur remontrances. Nous fondons donc notre propos sur les informations disponibles dans les actes. Lors de leur comparution devant le tribunal, les individus engagés dans un procès devaient en effet déclarer au greffier leur nom, profession et domicile.
L’importance de certaines villes qui sont sièges de juridictions s’explique pour partie par le fait que lorsqu’une juridiction était mentionnée dans un arrêt et était mise en lien direct avec le plaideur, nous avons considéré que la requête provenait de ce même lieu.

Les requêtes royalistes

Commençons par les requêtes portées devant la Cour de Rennes. Précisons que sur les 735 arrêts sur requêtes de la Cour – un tel relevé n’étant pas signifiant pour les arrêts sur remontrances qui proviennent tous de Rennes car pris à la demande du procureur général du roi – 481 sont géo-localisables soit 65,4 % des actes.
Les résultats, à la vue de cette première carte (page suivante) , sautent aux yeux : il y a une surreprésentation de la Haute-Bretagne. Ainsi, si l’on trace une ligne entre Saint- Brieuc et Vannes, plus de 90 % des requêtes proviennent de l’est, moins de 10 % de l’ouest.
Si l’on continu à resserrer l’échelle, le résultat est encore plus frappant par évêché. Presque 55 % des requêtes proviennent de l’évêché de Rennes, soit 206 requêtes, très loin devant le second, Saint-Malo avec 65 requêtes, contre seulement 37 requêtes venues de Basse-Bretagne. 14 villes ont plus de 4 requêtes pour origine, et sur ces 14 villes qui représentent plus de 56 % des requêtes de 1590, seules Saint-Brieuc et Pontivy sont en Basse Bretagne avec respectivement 9 et 6 requêtes. En première position et sans surprise, Rennes avec 170 requêtes soit 35 % du total. Elle est suivie par Ploërmel avec 16 requêtes, Lamballe et Nantes avec 11 requêtes, après Saint-Brieuc, Saint-Malo en compte 8 et Dinan 7. Toute une série de villes suit, la majorité avec seulement une requête, les plus petits points sur la carte, sans indication de chiffre.
Notons que pour une raison de lisibilité, la taille des points concernant Rennes et Nantes n’est pas proportionnelle.
Ce sont les justiciables des régions les plus proches qui se tournent vers le Parlement, ce qui s’explique en grande partie par le fait de la distance : il est difficile pour les Brestois par exemple de se déplacer jusqu’à Rennes. Mais une autre variable s’ajoute à cela, le contexte de guerre civile qui n’aide pas au déplacement : on le constate dans les arrêts du Parlement, l’accès à la justice est un grand souci et fait l’objet de nombreuses procédures, surtout pour les juridictions inférieures ou subalternes certes mais on sait que le problème est le même pour aller à Rennes. Ainsi le 3 décembre apprend-on que Michel Hervé, résident à Quintin, souhaite faire appeler les défendeurs débiteurs de feu Pierre le Roy pour un certain nombre de blé et autres céréales qu’ils n’osent « apporter en ceste ville de Rennes a raison des troubles ». Concernant la seconde carte (page suivante) qui porte donc seulement sur les arrêts en lien avec la Ligue, les résultats sont semblables. Sur les 71 % de requêtes géolocalisables (240 sur 338), 87,5 % des requêtes proviennent de Haute-Bretagne et quasiment 39 % de l’évêché de Rennes avec 93 requêtes, 23 % de Saint-Malo avec 55 requêtes et seulement 32 en Basse-Bretagne. Rennes domine aussi très largement si l’on regarde le résultat par villes : 63 requêtes pour 26 % du total. Elle est suivit par Ploërmel avec 12 requêtes, Lamballe qui en a 11 tout comme Nantes, Saint-Malo en a 8, Saint-Brieuc 7 et Vitré et Dinan 6. Les villes en tête sont donc les mêmes sur les deux relevés. Mais le but ne va pas être ici d’expliquer ce classement, nous le ferons au fil de notre analyse de la situation. Une chose intéressante cependant, sur les 37 requêtes venant de Basse-Bretagne sur l’année 1590, 32 sont en rapport avec le conflit, ce qui est significatif : la Basse-Bretagne n’est pas moins touchée que le reste de la province par les troubles, c’est avant tout un facteur de distance qui joue.

Les requêtes ligueuses

Sur le total des 235 arrêts sur requêtes de 1590, seules 130 sont géolocalisables soit environ 55 % du corpus. Pour ce qui est des actes touchant à la Ligue, ce sont 62 requêtes sur 77 qui sont localisables soit presque 80,5 %, pourcentage assez élevé.
Sur la première carte (page suivante), on constate une large prédominance du diocèse nantais qui concentre à lui seul 85,5 % des requêtes (112). Ici en effet, encore moins d’actes qui proviennent de Basse-Bretagne : il n’y en a que 5 en tout et pour tout avec 3 requêtes de Quimper, une de Morlaix et une dernière de Langonnet. En regardant de plus près le relevé par évêchés, il est très clair que la zone d’influence et le périmètre d’intervention de la très récente Cour se limitent quasi exclusivement à sa région proche, les autres villes dont il est question étant les principales places ligueuses de la province, et encore certaines ne sont même pas mentionnées, pensons à Lamballe ou Pontivy par exemple. Il est aussi frappant de voir que la Cornouaille est plus présente que Rennes : il existe clairement un axe méridionale bien plus marqué que pour le Parlement royaliste.
Ces remarques sont plus flagrantes encore lorsque l’on regarde uniquement les actes en lien avec le conflit (page suivante). Ici, sur les 63 requêtes que l’on peut repérer dans l’espace, 29 viennent de Nantes soit 46,8 % du total. Suit la ville de Vannes avec 5 requêtes, et avec 2 supplications, Montrelais, Châteaubriant, Casson, Saint-Mars-du- Désert et la Chapelle Basse-Mer. Donc encore une fois essentiellement le comté nantais ce qui pose une question essentielle : le duc de Mercoeur contrôle-t-il véritablement cette zone ? En 1590, le parti royaliste conserve un certain nombre de places, pensons à Blain, Châteaubriant, Clisson, Le Croisic, Derval, Machecoul – certaines étant perdues néanmoins dans les mois ou années qui suivent. Les problèmes semblent ici nombreux qui sont liés à la Ligue, d’autant plus si l’on ajoute à cela les 25 requêtes qui sont en parallèle portées devant la Cour de Rennes depuis l’évêché de Nantes. Mais le comté nantais reste privilégié en ce sens qu’il n’est pas lieu de confrontations prioritaire ni de campagne de reconquête même si des raids militaires sont signalés. Se superpose néanmoins la question de la distance géographique : les plaideurs qui vont à Nantes sont-ils forcément des Ligueurs ? Est-ce qu’ils ne profitent pas aussi simplement de la présence proche d’une cour d’appel ?
L’étude géographique des arrêts sur requêtes des parlements de Bretagne, ligueur et royaliste, permet de mettre en avant la dualité entre distance et conflit, deux facteurs qui se juxtaposent et expliquent pour partie cette répartition des provenance des plaideurs, finalement très proches de la cour70. Les justiciables, qui sont au coeur du processus judiciaire et pourtant souvent absent des études sur la justice, alimentent, au civil, la « machine en affaire »71 et orientent le cours des procès pour obtenir une décision qui leur conviennent. L’analyse sociologique de ce groupe n’est donc en aucun cas une vague mise en contexte, nous l’avons déjà constaté pour ce qui est de leurs origines géographiques.

La sociologie des justiciables

Par un relevé sur les types de demandeurs et leur sexe, et un second sur leur catégories socio-professionnelles, nous allons ici dresser une sociologie des justiciables à travers les arrêts des parlements de Bretagne afin de mieux définir encore le rapport à la justice et les caractéristiques sociales des individus se portant en justice à Rennes ou à Nantes.

Par sexe

Nous présentons ici une sociologie des plaideurs à travers une série de graphiques présentant les demandeurs et les défendeurs dans les arrêts des cours bretonnes (page suivante).
Quelle que soit l’époque, le « délinquant » type, au civil comme au criminel d’ailleurs, est un homme, c’est le cas ici pour une très grande majorité : 79 % soit 555 personnes sur les 705 intimés en 1590 à Rennes et 82 % à Nantes soit 181 personnes sur 221. Une large majorité qui se retrouve aussi côté demandeurs : 761 hommes à Rennes ce qui équivaut à 78 % des 974 demandeurs de 1590, et 222 personnes à Nantes sur 282 soit quasiment 79 % du total. Les hommes majeurs forment donc, au civil, l’immense majorité des plaideurs : ne peuvent en effet entrer en justice que les personnes qui sont juridiquement capables, ce qui exclut les femmes mariées qui doivent agir au nom de leurs époux, et les mineures qui le doivent au nom de leur père ou de leur tuteur. Seules
parmi les femmes, les veuves, qui sont de fait chefs de familles, peuvent plaider en leur nom propre ainsi que les femmes mariées que leurs maris ou la justice autorisent à intenter une procédure. Mais elles représentent en général moins du dixième des effectifs totaux, nous le constatons ici avec 11 % à Rennes soit 106 femmes, et, plus spectaculaire encore, 5,3 % à Nantes pour 16 demanderesses seulement, les résultats étant équivalents pour ce qui est des défenderesses. Pour Gregory Hanlon, le tribunal est pour elles le « seul rempart contre la spoliation ». Elles n’ont de facto pas de spécificité dans leur nombre mais dans la nature de leurs procès. Ne détaillons pas ici, ces aspects seront évoqués dans le point suivant. Disons simplement les grands intérêts des femmes demanderesses qui sont avant tout présentent dans des affaires de dettes et de successions. En effet, de nombreux procès engagés en 1590 par des femmes veuves concernent les héritages et les biens de leurs défunts maris : partage des successions, gestion des biens et des revenus, jouissances de ceux-ci qui se trouvent mises en difficulté notamment par le contexte ligueur. Il est aussi souvent question des tutelles de leurs enfants qui, soit leur sont confiées après la mort du père, soit accordées à d’autres.
D’ailleurs, il arrive que certaines mineures se portent en justice dans des cas bien particuliers, concernant leur garde, tutelle et curatelle et les individus qui y ont été nommés. Enfin, signalons le cas des religieuses, essentiellement pour des affaires financières sur les revenus de leurs établissements.

La « sociabilité du conflit » 

Le contentieux civil de l’Ancien Régime

Durant l’époque moderne, le contentieux civil est dominé assez nettement par les affaires financières (environ 50 %, essentiellement pour les dettes), suivi par celles concernant la propriété (20 à 30 %), puis les affaires familiales (surtout les questions de transmissions de patrimoines). Mais l’activité des tribunaux civils dépend en vérité avant tout de l’attitude des justiciables qui décident ou non d’aller en justice. En effet, et c’est une chose qu’il ne faut pas oublier, seule une minorité des litiges est portée au devant des juges : les justiciables ne vont en procès que s’ils y trouvent un intérêt. Un intérêt remis en balance avec le coût que la justice peut engendrer, même pour une victime, une méfiance envers le monde de la justice et ses juges qui est aussi la marque d’une société largement rurale qui montre ses réticences envers les villes et l’État. Il y a donc un caractère biaisé des statistiques de la justice civile qui ne reflètent qu’une partie des litiges existants, beaucoup étant réglés directement entre individus concernés. Le recours à la justice révèle alors trois choses : le niveau de confiance des justiciables dans l’institution, l’utilité qu’ils y trouvent et leur volonté de conciliation, d’autant plus que l’on est ici au niveau du Parlement.
Repérons trois types de litiges potentiels. Les premiers sont les conflits d’intérêts matériels, simples litiges mais très variés surtout en période de crise économique, mentale aussi et de rupture de la cohésion sociale. Les seconds sont les rivalités humaines, de pouvoir dans la famille, d’opinion dans la religion, ainsi que d’honneur.
Enfin il y a les litiges selon les nécessités sociales. La justice civile se présente comme un service public et si on a longtemps dit que la chicane était l’activité favorite des Français, il faut nuancer car la place prédominante de la justice civile dans la société de l’époque est tout à fait symptomatique de celle-ci en ce sens qu’elle porte essentiellement sur les biens, les successions ou les contrats, les parties y étant représentées de manière tout à fait égale.

Typologie des arrêts des parlements de Bretagne

Six grands enjeux dans les requêtes portées auprès des parlements de Bretagne surgissent à la lecture des arrêts sur requêtes et des arrêts sur remontrances touchant au conflit de la Ligue, de nombreux arrêts étant classés dans plusieurs d’entre eux en même temps.
Ce classement thématique a été un point d’orgue à notre travail de dépouillements. À première vue, les résultats sont plutôt parallèles entre les deux cours, les aspects judiciaires tenant le haut du panier avec respectivement 36 et 28,2 % du total du corpus, donc en moyenne le tiers de l’ensemble des arrêts de 1590 (chapitres 2 et 3). Dans cette catégorie, on trouve notamment toutes les questions relatives à l’exercice de la justice en temps de guerre civile. Un autre thème judiciaire majeur est celui du personnel, de leurs états, de leurs soucis, de leurs comportements et de toutes les conséquences que la Ligue peut avoir sur eux. Enfin deux cas particuliers, celui des arrêts de règlements que nous avons brièvement abordés plus haut, et celui des congés ou défauts qui se placent dans le cadre de procès plus anciens.
En deuxième position, les enjeux financiers tiennent une place de choix avec une subdivision selon qu’il s’agit des finances publiques ou des finances privées. Dans les premières (chapitre 5), nous retrouvons évidemment tout ce qui est impositions et difficultés à percevoir les revenus dans le cadre de la Ligue et alors que la province est coupée en deux. Après les prélèvements c’est la question de la gestion de l’argent, les rapport à l’ennemi avec la question des saisies, ou encore ce qui est lié au financement de la guerre. Pour les affaires privées (chapitre 6), il est question de trois raisons principales. Ce sont en premier lieux toutes les spoliations consécutives à la guerre sur les biens seigneuriaux, ensuite les bien des particuliers où jouent aussi les questions qui lient revenus et confessions religieuses, la questions des échanges te du commerce, et enfin l’opposition directe entre un ligueur et un royaliste.

 

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Table des matières

Introduction
Chapitre 1 : Une source, une histoire
Chapitre 2 : La politisation du système judiciaire
Chapitre 3 : Rendre la justice en temps de guerre civile
Chapitre 4 : Des hommes et des guerres
Chapitre 5 : Des finances en crise
Chapitre 6 : Les perturbations économiques
Chapitre 7 : Le bouleversement des cadres religieux
Chapitre 8 : La remise en cause d’un ordre social ?
Conclusion
Sources
Bibliographie
Annexes
Table des matières

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