La leishmaniose cutanée du nouveau monde

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La leishmaniose dans le monde

Les maladies tropicales négligées, telles que définies par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), sont des pathologies transmissibles présentes dans 149 pays tropicaux et subtropicaux, concernant plus d’un milliard de personnes. Elles sont caractérisées par leur lien avec la pauvreté, le manque de développement et le peu de ressources financières allouées à leur lutte. La leishmaniose en fait partie. (1,2)
Cette maladie est connue dans le monde depuis le 23 mai 1903. Son nom est lié au découvreur de ce parasite : Sir Willian Boog Leishman. Sa publication en 1903 est issue de l’observation d’un frottis de rate de soldat décédé en Inde en 1900, infectée par un parasite du genre Leishmania. (3)
Il existe plus de 20 espèces de Leishmania réparties dans le monde. La transmission se fait de l’animal (réservoir) vers l’homme (hôte) via une piqure de phlébotome (vecteur) infecté par le parasite. Pour certaines espèces l’homme peut être à la fois réservoir et hôte.
En fonction des espèces de leishmanies, il existe plus de 70 réservoirs autour du monde et 90 vecteurs différents. L’épidémiologie varie en fonction des caractéristiques d’espèces, de l’écologie des sites de transmission et des comportements humains.
La forme viscérale, souvent létale en l’absence de traitement.
La forme cutanée, qui est la plus commune, non létale.
La forme cutanéomuqueuse, potentiellement grave, au préjudice esthétique et social marqué. Sept cent mille à 1 000 000 de nouveaux cas surviennent tous les ans. Entre 20 000 et 30 000 décès sont imputables la leishmaniose, essentiellement viscérale, chaque année dans le monde (1).
Quatre-vingt-quinze pour cent des cas de leishmaniose cutanée (LC) surviennent en Amérique du Sud, dans le Bassin Méditerranéen, au Moyen Orient et en Asie Centrale. (1) La répartition des leishmanioses cutanées et viscérales dans le monde est bien connue, comme l’illustrent ces deux cartes. Cependant les données précises sont à relativiser dans certains pays dont les systèmes d’information sanitaire sont plus ou moins défaillants.

La leishmaniose cutanée du nouveau monde

Sur le continent américain, le complexe Leishmania mexicana comprend les espèces Leishmania mexicana, amazonensis et venezuelensis. Le sous-genre Vianna a également une présence significative avec les espèces Leishmania braziliensis, Leishmania guyanensis, Leishmania panamensis et Leishmania peruviana (4).
Entre 2001 et 2016, 892 846 cas de leishmanioses cutanées ont été enregistrés par l’Organisation Mondiale de la Santé dans les Amériques (6). En termes de valeur absolue, le pays le plus touché par la leishmaniose cutanée est le Brésil (12690 cas en 2016), particulièrement dans les états d’Amazonas, Mato Grosso, Para et Maranhão, situés au Nord-Ouest du pays.
L’incidence calculée entre 2001 et 2016 oscille entre 200 000 et 300 000 cas par an. (6)
Comme on peut le constater sur les différentes cartes, la Guyane Française se situe géographiquement à proximité des zones les plus touchées en Amérique du Sud.

La leishmaniose cutanée en Guyane Française i. Historique

Le territoire guyanais est très hétérogène d’un point de vue écologique. Il est toutefois possible de déterminer 2 régions écologiquement distinctes. Au nord, une bande d’une centaine de kilomètres anthropisée qui se compose d’une mosaïque d’écosystèmes : forêt secondaires et primaires, marais, savanes, plages, agglomérations urbaines. Au sud de cette bande, la région intérieure est majoritairement couverte de forêts primaires connectées entre elles par régions inondables et cours d’eau(7).
Les premières observations de Leishmania en Guyane ont été réalisées par FLOCH en 1954, celui-ci a nommé le parasite Leishmania tropica guyanensis (8). Le cycle parasitaire a été étudié par Dedet et ses équipes dans les années 1980. Le vecteur incriminé appartient au genre Lutzomia (78 espèces) , Brumptomyia (3 espèces ) ou Waryleya (1 espèce) ; la compatibilité entre vecteurs et espèces de Leishmania est encore floue (8,9). Les réservoirs, sont le paresseux à 2 doigts Choloepus didactylus (10,11), Didelphis marsupialis (12) , différents rongeurs aquatiques, dont Proechimys sp(13). Au Brésil, le fourmillier Tamandua Tetradactyla a également été incriminé (14) . Le chien est suspecté d’être un réservoir, comme cela a pu être constaté chez des chiens militaires notamment (9,14,15). Une étude réalisée chez des chauve-souris guyanaises semble indiquer que ces animaux ne jouent pas de rôle de réservoir (16).
Les dernières techniques d’identification d’espèce de Leishmania ont révolutionné son étude épidémiologique (7,9,17,18) en différenciant les deux espèces L. guyanensis et L. braziliensis, auparavant confondues dans le complexe parasitaire pathogène Leishmania guyanensis braziliensis (12). Aujourd’hui on peut caractériser l’espèce de Leishmania avec plusieurs techniques d’identification. La PCR-RFLP, réalisée directement sur la biopsie cutanée, ou éventuellement sur une culture, repose sur la recherche d’un fragment d’ADN de leishmanie, le diagnostic d’espèce étant ensuite réalisé grâce à une chromatographie avec migration de bandes spécifiques d’espèce. Le MALDI-TOF ou spectrométrie de masse est réalisé sur des cultures positives et permet le diagnostic d’espèce par la reconnaissance de protéines spécifiques.
Il a même été dévoilé des variations génotypiques au sein d’une même espèce de leishmania, susceptibles d’avoir des implications cliniques. Dans un article de 2005 étudiant Leishmania guyanensis, (7), Rotureau distingue le génotype 1, présent sur la zone côtière, caractérisé par une plus forte densité parasitaire intra lésionnelle et la nécessité de recourir à des traitements supplémentaires. A contrario le génotype 2 est rencontré préférentiellement dans la zone intérieure. Ce génotype causerait des lésions plus volontiers chroniques et disséminées. Il existerait donc un polymorphisme génétique au sein de Leishmania guyanensis susceptible d’avoir des implications cliniques.

Epidémiologie

La LC est endémique sur l’ensemble du territoire. L’incidence annuelle a été estimée entre 15 et 20 nouveaux cas pour 10 000 habitants entre 1979 et 2012. (19–21). Cette incidence est aujourd’hui difficile à actualiser, faute de recensement officiel récent et fiable depuis 2012.
La dernière étude épidémiologique confirme que l’espèce la plus fréquemment renconré demeure Leishmania guyanensis ( 86,2%) (17). On constate une augmentation des Leishmania braziliensis, représentant 9% des cas entre 2006 et 2013(17), supplantant Leishmania amazonensis depuis 2010 (7,9,17,18,20,22,23). Les autres espèces rencontrées en Guyane sont Leishmania lainsoni et Leishmania naiffi.

Méthodes de diagnostic

Actuellement, lorsqu’une lésion cutanée est évocatrice de LC, le patient est adressé en consultation de dermatologie du CHC pour réaliser un frottis de la lésion ainsi qu’une biopsie cutanée. Ces prélèvements sont effectués sur place en Centre Délocalisé de Prévention et de Soins (CDPS).
La confirmation diagnostique repose sur la positivité de l’examen direct, ou ultérieurement celle de la culture sur biopsie, ou de la PCR-RFLP sur biopsie. La confirmation de l’espèce repose sur la PCR-RFLP et/ou le MALDI-TOF.

Traitement

Le traitement a beaucoup évolué depuis les années 1980. Actuellement, dans le service de dermatologie du CHC, le traitement le plus utilisé consiste en une injection intramusculaire d’iséthionate de Pentamidine à 4mg/kg. Ce traitement est très efficace contre Leishmania guyanensis, il est peu coûteux, simple à administrer et présente des effets indésirables acceptables sous surveillance médicalisée (majoritairement, rhabdomyolyse chez 3 des 39 patients traités dans une étude récente (24), douleur, myalgie, etc. )
En revanche, Leishmania braziliensis est connue pour être majoritairement résistante à ce traitement (24). Leishmania amazonensis présente également des souches résistantes. Or ces deux dernières espèces sont susceptibles de causer des atteintes viscérales (25). Le profil de sensibilité de Leishmania naiffi et Leishmania lainsoni à ce traitement est encore mal défini (26,27)
En cas de suspicion de souche résistante à la pentamidine (notamment en cas de L. braziliensis), on peut utiliser de l’amphotericine B (4 à 5 mg/kg/j pendant 4 à 5 jours) ou de l’antimoniate de méglumine (75mg/kg/j pendant 21 jours), qui sont des traitements plus coûteux et à administrer au cours d’une hospitalisation pour prévenir les effets secondaires. La présence en Guyane d’espèces avec risque de dissémination muqueuse empêche l’utilisation de traitements locaux, comme la cryothérapie ou les injections intra-lésionnelles, par ailleurs fréquemment utilisés contre les leishmanioses de l’Ancien Monde. (28)
Du fait des variations thérapeutiques entre les deux espèces les plus fréquentes en Guyane, l’identification d’espèce est préférable avant tout traitement. Ceci implique un délai d’attente, complexe à gérer, notamment en centre de santé isolé. Nombre de patients atteints sont des travailleurs actifs, ayant contracté la maladie au cours d’activités professionnelles en forêt (29). Ces patients ne bénéficient pas tous d’une couverture sociale, ont généralement dépensé beaucoup d’argent et pris beaucoup de temps pour accéder aux CDPS. Ils désirent être traités immédiatement pour retourner travailler en forêt. Rester à Cayenne ou en commune en attendant les résultats de la biopsie leur est couteux et anxiogène. Ce sont souvent des patients en situation précaire, sans acquis sociaux ni réserves financières autorisant un arrêt de travail. Il est donc difficile de faire attendre le patient 2 à 3 semaines pour traiter au vu de l’identification d’espèce. Il n’est pas rare que le patient soit perdu de vue, et s’automédique avec des traitements achetés au marché noir, souvent inefficaces et nuisibles (abcès post injection, insuffisance rénale médicamenteuse, anaphylaxie, etc.). Dans certains cas l’équipe soignante traite le patient par pentamidine avant confirmation diagnostique.

Mise à jour des données

L’évolution rapide de l’épidémiologie de la LC et les nouvelles techniques d’identification imposent des mises à jour épidémiologiques rapprochées. L’introduction récente de la spectrométrie de masse (MALDI-TOF) au Laboratoire de Parasitologie-Mycologie permet dans certains cas une identification d’espèce plus fine que la PCR-RFLP, ce qui incite à comparer les résultats obtenus et l’épidémiologie correspondante. Les présentations cliniques de certaines leishmanioses plus rares comme L. naiffi, L. lainsoni méritent d’être régulièrement décrites.
Par ailleurs, les facteurs de risque de la Leishmaniose Cutanée commencent à être étudiés partout dans le monde (29–32), notamment en Amérique du Sud (33–36), et il est important de les explorer sur le territoire guyanais. Les fiches de renseignement de Laboratoire de Parasitologie ont été mises à jour en 2017 pour permettre un recueil de données environnementales et comportementales auprès des patients présentant une suspicion de LC. Ces informations accompagnent tout prélèvement (frottis+ biopsie).
Ces deux objectifs justifiaient une étude sur la saison humide 2017-2018 afin de mettre à jour les données épidémiologiques, et adapter si nécessaire le recueil des facteurs de risques et les mesures de prévention de la maladie.

Conclusions : implication de cette étude pour la pratique en Guyane

Cette étude permet une première évaluation de la qualité du recueil de données épidémiologiques lors des prélèvements de Leishmaniose Cutanée (LC). Un exemple anonymisé de fiche de renseignement du Laboratoire de Parasitologie est visible en Annexe 1.
Cent soixante-sept fiches ont été remplies entre Octobre 2017 et Juin 2018. Cent vingt-trois prélèvements étaient positifs et 44 étaient négatifs. Trente-neuf fiches étaient incomplètes, soit 23% du total. Ce chiffre peut paraître important, mais une part importante de patients ne parlant pas français, il est parfois difficile d’échanger et d’obtenir les informations pour des raisons culturelles. Les informations manquantes touchaient majoritairement la partie « facteurs de risque », pour laquelle l’interrogatoire se révèle le plus compliqué.
Cette étude offre des pistes d’amélioration pour les fiches de renseignements. Actuellemnt celles-ci ne questionnent pas les patients sur d’éventuelles pratiques anti-vectorielles qui mériteraient d’être étudiées (moustiquaires, répulsifs chimiques sur la peau ou les habits, vêtements longs, etc.). Le type de culture pratiquée par les patients est difficile à rapporter pour les patients, les abattis guyanais étant souvent source de polyculture. Les données socio-professionnelles pourraient être recueillies de manière plus fine en suggérant plusieurs réponses fermées correspondant à des métiers à risque de leishmaniose (orpailleur, agriculteur, militaire, autre).
Le lieu de vie (urbain, rural, camp d’orpaillage) est parfois interprété différemment en fonction des soignants et des patients ; par exemple le bourg de Camopi est-il réellement urbain ? Le village de « Ronaldo » au Suriname en face de Maripasoula est-il un camp d’orpaillage ? Ou un milieu rural ? Cette difficulté d’interprétation, ainsi que la variabilité entre investigateurs, peuvent être sources de biais.
Des biais de déclaration peuvent également être suspectés. Une sous-déclaration des cas de VIH est par exemple envisageable. Les patients ont généralement peur d’être stigmatisés, la confidentialité n’est pas toujours assurée dans les CDPS : les murs ne sont pas toujours bien insonorisés, les salles de biopsie sont le siège de nombreuses allées et venues, beaucoup d’employés soumis au secret médical sont connus personnellement des patients et ces derniers ont peur qu’ils prennent connaissance de leur pathologie. L’orpaillage est souvent pratiqué illégalement par des étrangers en situation irrégulière. Ces derniers taisent donc parfois leur activité professionnelle, ainsi que leur habitat et le lieu présumé de contamination. Les travailleurs du sexe ont également peur d’être stigmatisés et mentent facilement sur leurs activités professionnelles et leur résidence. Généralement ils déclarent travailler dans les secteurs de la cuisine ou de l’esthétisme.
Concernant la répartition des espèces, la plupart des cas de Leishmania braziliensis semblait survenir sur le Haut Oyapock (2 cas sur les 3 enregistrés dans cette région). Toutefois, du fait du faible nombre total de patients, il n’est pas possible d’en tirer une conclusion significative. Cette donnée est à confirmer en continuant l’étude épidémiologique prospective pour augmenter la puissance statistique de cette affirmation.
Initialement, le format de ce travail devait être celui d’une étude cas/témoin des facteurs de risque de LC. Une tentative a été réalisée de calculer des Odds Ratio en utilisant les prélèvements négatifs comme témoins, mais ces patients négatifs étaient trop peu nombreux (44 sur les 167 patients inclus initialement, soit 26%) pour retrouver des différences statistiquement significatives. De plus, les témoins partageaient certainement le même mode de vie que les cas, et un certain nombre d’entre eux présentaient des antécédents personnels ou familiaux de leishmaniose (10/31 soit 32 % et 2/31 soit 6% respectivement). Les patients des CDPS étant suivis régulièrement aux dispensaires pour des questions de médecine générale, une étude de cohorte prospective serait plus à même d’apporter des données fiables sur les expositions, avec néanmoins les contraintes inhérentes à une étude de ce type.
Un autre biais, de sélection cette fois, est à évoquer. Nous n’avons pas pu étudier les prélèvements réalisés au Centre Hospitalier de l’Ouest Guyanais (CHOG), qui ne transitaient pas par le CHC durant la saison 2017-2018. Ceci exclut de fait les patients de Saint-Laurent-du-Maroni mais également ceux originaires du Bas-Maroni (Apatou, Awala-Yalimapo notamment) dont les prélèvements sont adressés au CHOG. Les chiffres concernant le Bas-Maroni doivent donc être relativisés. Cette constatation appelle un circuit de prélèvement plus homogène sur le territoire, ou tout du moins une mise en commun des données à des visées de recherche.
Le profil épidémiologique des patients infectés par L. braziliensis dans cette étude semblait se répartir en deux catégories : d’une part les Amérindiens du Haut Oyapock, d’autre part des « métropolitains » de la côte ou des militaires exposés au cours de leurs activités professionnelles. Là encore, ces données sont à relativiser au vu du faible nombre de sujets inclus. Ces tendances incitent néanmoins à explorer davantage le cycle parasitaire de L. braziliensis, dont le réservoir n’est pas encore identifié en Guyane. Une coopération transfrontalière permettrait d’étudier plus aisément l’épidémiologie et l’écologie de la Leishmaniose le long du Maroni et de l’Oyapock. De même, afin de mettre en évidence le rôle de chaque cycle de transmission péri-domestique ou sauvage, une étude pluridisciplinaire qui relierait données humaines (localisation des cas, zones présumées de contamination…) et données écologiques (prélèvements des réservoirs, sites de capture de phlébotomes…) serait pertinente.
Dans cette étude, la présence de chiens était fréquemment retrouvée autour des domiciles de patients infectés, bien davantage que les paresseux, réservoirs connus de L. guyanensis. La présence de leishmanies ayant été constatée chez des chiens militaires stationnés en Guyane, cet animal doit être étudié comme un potentiel réservoir.

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Table des matières

1. Résumé en français
2. Résumé en anglais
3. Introduction
a. La leishmaniose dans le monde
b. La leishmaniose cutanée du nouveau monde
c. La leishmaniose cutanée en Guyane Française
i. Historique
ii. Epidémiologie
iii. Méthodes de diagnostic
iv. Traitement
v. Mise à jour des données
vi. Bibliographie
4. Contribution des auteurs
5. Statut de l’article
6. Manuscrit de l’article en anglais
Cutaneous Leishmaniasis in French Guiana, an epidemiological update and a study of environmental risk factors
Abstract:
Introduction
Methods
Results
Discussion
Conclusion
References
Aknowledegements
Tables
Legends and figures
7. Conclusions : implication de cette étude pour la pratique en Guyane
8. Annexes

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