L’origine des formes par l’étude et le prolongement de la théorie des milieux de Jacob von Uexküll

Le milieu, ensemble de définition

« Aucun animal ne pourrait exister sans un environnement. De même, bien que cela soit moins évident, l’environnement est toujours environnement d’un animal (ou au moins d’un organisme). » James. J. Gibson.
Notre environnement est vaste et constitue notre réalité. Il est aussi bien constitué d’éléments de la nature, comme « la matière », comme les végétaux, comme les animaux ; que d’éléments que nous avons produits en transformant cette même nature ; comme la chaise sur laquelle je suis assis en écrivant ces lignes, ou ce vêtement, ou encore cette maison… Tous ces éléments, ces objets, sont là, prêts à être saisis. C’est d’ailleurs par ces objets que le biologiste allemand Jacob von Uexküll (1864-1944), dont nous parlerons longuement par la suite, définit l’existence de tout être : « Tout sujet tisse ses relations comme autant de fils d’araignée avec certaines caractéristiques des choses et les entrelace pour faire un réseau qui porte son existence. » . Aussi nombreux soient ces objets et aussi banale que cela puisse paraître, ils déterminent donc la réalité de notre existence, et peut être même oserais-je dire ; la réalité de l’homme. Peutêtre pour s’en assurer, pourrions-nous nous intéresser aux mondes fictifs que l’homme prend plaisir à inventer, dans le monde du cinéma ou encore celui des romans. Prenons l’exemple du célèbre film de James Cameron, Avatar, sorti en 2009. L’environnement des Na’vis, habitants « primitifs » de la planète Pandora, est représenté quasiment à l’identique du nôtre : des éléments de leur nature (qui ressemble étrangement à la nôtre, avec des arbres peut être un peu plus grands et des animaux un peu plus féroces) et des éléments qu’ils ont produits en transformant cette nature (comme leurs outils par exemple). Evidemment, la représentation n’est pas la même, de sorte que le caractère fantastique domine ; mais leur réalité est identique à la nôtre (puisque leur existence fictive est le produit de notre imagination, imprégnée de notre réalité). Ainsi, aussi loin que pourra aller notre imagination, nous ne sortirons jamais de cet ensemble de définitions qui circonscrit notre existence, à savoir notre environnement, notre milieu ; et nous continuerons de le représenter comme nous le percevons.
En revanche, nous pouvons nous demander si ces « éléments de la nature » que sont les animaux, et les végétaux, partagent ce milieu ? L’équation de leur existence est-elle admise dans le même ensemble de définition que le nôtre ? Peut-être Heidegger amorce-t-il ici un élément de réponse : Martin Heidegger, Les Concepts fondamentaux de la métaphysique – monde, finitude, solitude, trad. par Daniel Palis, Gallimard, 1992, p.294 « Le lézard ne se trouve pas simplement sur la pierre chauffée au soleil. Il a recherché la pierre, et il a l’habitude de la rechercher. Éloigné d’elle, il ne reste pas n’importe où : il la cherche de nouveau – qu’il la retrouve ou non, peu importe. Il se chauffe au soleil.
C’est ainsi que nous parlons, bien qu’il soit douteux qu’en cette circonstance il se comporte comme nous lorsque nous sommes allongés au soleil, bien qu’il soit douteux que le soleil lui soit accessible comme soleil, bien qu’il soit douteux qu’il puisse faire l’expérience de la roche comme roche. Néanmoins, son rapport au soleil et à la chaleur est autre que le rapport de la pierre qui se trouve là et est chauffée par le soleil. Même si nous évitons toute explication psychologique fausse,et précipitée, du mode d’être du lézard, et même si nous ne « mettons pas en lui » ce que nous ressentons nous-mêmes, nous voyons malgré tout dans le genre d’être du lézard, de l’animal, une différence par rapport au genre d’être d’une chose matérielle. La roche sur laquelle le lézard s’étend n’est certes pas donnée au lézard en tant que roche, roche dont il pourrait interroger la constitution minéralogique. Le soleil auquel il se chauffe ne lui est certes pas donné  comme soleil, soleil à propos duquel il pourrait poser des questions d’astrophysique et y répondre. Cependant le lézard n’est pas seulement juxtaposé à la roche et parmi d’autre choses (par exemple le soleil), se trouvant être là comme une pierre qui se trouve à côté du reste.
Le lézard a une relation propre à la roche. Au soleil et à d’autres choses. On est tenté de dire : ce que nous rencontrons là comme roche et comme soleil, ce sont pour le lézard, précisément des choses de lézard. Quand nous disons que le lézard est allongé sur la roche, nous devrions raturer le mot « roche » pour indiquer que ce sur quoi le lézard est allongé lui est certes donné d’une façon ou d’une autre mais n’est pas reconnu comme roche ; la rature du mot ne signifie pas seulement : prendre quelque chose d’autre etcomme quelque chose d’autre. La rature signifie plutôt que la roche n’est absolument pas accessible comme étant.

L’ « Umwelt »

Le lézard d’Heidegger semble donc avoir une conception totalement différente de son monde que celle que nous voulons bien lui prêter (ou imposer). Cette constatation du philosophe allemand n’est possible que si l’on admet le concept de l’ « Umwelt ». Théorisé par Thomas Albert Sebeok, l’« Umwelt is a model », ce qui en français pourrait se rapprocher de monde propre, en écho aux « Mondes animaux et monde humain » de Jacob von Uexküll. Dans cet ouvrage, Uexküll défini les mondes propres comme les milieux propres à chaque organisme, qu’il nomme sujet. Ces sujets partagent le même environnement(assimilé au milieu de l’homme) mais peuvent néanmoins avoir l’expérience de différents mondes propres. Selon Sebeok : « All, and only, living entities incorporate a species-specific model (Umwelt). » que l’on peut traduire par « Toutes, et seulement toutes, les entités vivantes assimilent un monde spécifique à leur espèce (Umwelt) ».
Prenons un exemple : une abeille partage le même environnement qu’une chauve-souris. Cependant, elle ne vivra pas dans le même monde sensoriel. L’abeille est notamment sensible à la lumière polarisée et la chauvesouris aux ondes issues de l’écholocation, or ces choses leur sont réciproquement inaccessibles ; elles auront donc une perception différente de leur univers au travers du prisme de leurs sens propres.
Comme disait Uexküll, le milieu « porte donc l’existence du sujet »et inscrit son existence dans un environnement plus vaste (fig. 6)
Seuls les objets qui ont un sens pour le sujet peuplent son milieu. Ainsi, comme l’indique Uexküll, le milieu est « sûr ». Cela permet au sujet d’y asseoir son adaptabilité pour pérenniser son existence. Le reste, dont il ne peut pas avoir « conscience », est écarté et forme son entourage (fig.7). L’entomologue et zoologue israélien Shimon Fritz Bodenheimer (1897-1959) parle d’un environnement pessimal « pour caractériser le monde extrêmement hostile dans lequel vivent la plupart des animaux ». Uexküll le reprend pour adapter ce terme à sa conception des milieux : « Mais ce monde n’est pas leur milieu, il est leur entourage. Un milieu optimal, associé à un entourage pessimal, voilà la règle générale. En effet, il importe toujours que l’espèce se maintienne, même si beaucoup d’individus périssent. ».

Etablissement du milieu et comportement

A l’instar des mathématiques où l’ensemble de définitions d’une proposition dépend du comportement des membres de l’équation, le milieu dépend du comportement du sujet.
Prenons un exemple : A la vue d’une fleur quelconque, l’abeille butineuse peut se comporter de deux manières : soit elle s’approche pour en récupérer le nectar, soit elle s’en éloigne, cette fleur ne lui convenant pas. Ce comportement simplifié de l’abeille peut être scindé en deux étapes : la première correspond à la perception de la fleur, la seconde à l’action de s’en approcher ou de s’en éloigner. C’est ainsi qu’est défini le milieu : « Monde d’actionet de perception forment ensemble une totalité close, le milieu, le monde vécu» . Tout ce qu’un sujet perçoit devient son monde de la perception,tout ce qu’il fait, son monde de l’action. Il conviendrait de définir alors comment l’appartenance d’un objet à ces mondes s’effectue ?
La nature d’une relation entre un sujet et ce qui va devenir un objet de son monde vécu démarre nécessairement par un processus d’appropriation. Selon Uexküll, l’appropriation est initialisée par la mise en rapport entre un signal perceptif émanant d’un organe perceptifdu sujet, suite à une excitation provenant d’un objet de son environnement (fig. 8). Appelons stimulicette excitation. Par appropriation, on entend donc l’affectation de caractères perceptifssur l’objet. Puis, comme on a pu le voir dans l’exemple de l’abeille, vient l’action : A la suite de la perception d’un certain objet, les organes d’actions (effecteurs) du sujet reçoivent l’impulsion d’un signal actif. « A la suite de quoi les effecteurs mis en action par les muscles impriment leur caractère actif sur les objets situés à l’extérieur du sujet. » . Ce principe de perception / action forme ce que Uexküll appelle le cercle fonctionnel (fig. 9)et définit les rapports de sujet à objet. Ce schéma s’adapte également à « l’animal complexe »dont le milieu est « richement articulé » puisque « le caractère actif éteint le caractère perceptif » .La boucle peut donc se régénérer en quelque sorte, ce que nous verrons par la suite avec l’exemple de la tique.
En résumé, référons nous à l’image suivante : « Chaque sujet animal enserre son objet dans les deux branches d’une pince – une branche perceptive et une branche active. Avec l’une il attribue un caractère perceptif à l’objet, avec l’autre, un caractère actif. Ainsi certaines particularités de l’objet seront porteuses de caractères perceptifs et d’autres de caractères actifs. »

Processus internes au milieu

Nous avons l’ensemble de définition, maintenant il convient sûrement de s’intéresser aux forces, ou aux mécanismes en présence agissant sur le sujet, son comportement, et par extension, sur ses productions. Constatons : milieux et sujets sont indissociables et les réactions de définitions sont réciproques : le milieu conditionne l’action du sujet, tout comme le sujet conditionne la composition du milieu. En témoigne la figure circulaire du cercle fonctionnel. Intéressons-nous dans un premier temps à la première proposition : « le milieu conditionne l’action du sujet ».

Dynamique première : Le Plan

« Sans plans, c’est à dire sans les conditions régulatrices de la nature qui gouvernent tout, il n’y aurait pas d’ordre naturel, mais un chaos. »
J’aimerais que nous observions ensemble un aspect du comportement des fourmis. Avez-vous déjà observé ces processions infinies qu’elles forment sur les troncs des arbres, les murs d’une maison ou le sol terreux d’une forêt ? Par ce mouvement uniforme de la part de la colonie entière de fourmis, nous pouvons affirmer qu’elles communiquent et coopèrent. Ce principe s’appelle la stigmergie. L’action initiale d’un individu A entraîne le dépôt d’une trace t 1 (des phéromones pour les fourmis) comportant un certain message. Cette trace est reçu (r1 ) chez un individu B, puis stimule une action suivante. L’individu B déposera lui-même une trace t2 à l’attention d’un individu C lors de la réalisation de cette action, et ainsi de suite. Pendant ce temps, l’individu A a continué son action, jusqu’à déposer une deuxième trace t 2. Il continuera ainsi son action jusqu’à déposer une n-ième trace t n (fig. 24). Cette belle ligne processionnelle chez les fourmis n’est donc pas immédiate. Ce schéma d’actions se renforce avec leur succession. De sorte qu’au bout d’un certain temps, l’activité paraît cohérente et systématique. Prenons un peu de recul ; le comportement des fourmis paraît mécanique : phéromone > perception d’un message > action > phéromone… Mais comment se fait-il que la perception d’une phéromone xentraine précisément l’action X ? C’est « l’instinct », diront les uns, c’est « physique » dirons les autres. Uexküll affirme que ces manifestations découlent d’un « plan ».

Tropismes et mécanismes

Revenons sur le point de vue des mécanistes

C’est à René Descartes à qui l’on doit le concept d’animalmachine. Dans sa Lettre à Morusdu 5 février 1649, il écrit : «Je sais quoique les bêtes font énormément de choses mieux que nous, mais je ne m’en étonne pas ; car cela sert même à prouver qu’elles agissent naturellement et par ressort, ainsi qu’une horloge, laquelle montre bien mieux l’heure qu’il est que notre jugement ne nous l’enseigne». L’exemple de cette comparaison des animaux avec l’horloge réduit la vie animale à une somme de processus mécaniques. Cela peut s’entendre dans la mesure où la perfection du comportement animal, sa régularité et son exactitude relèvent plus du comportement d’une machine que celui d’un être pensant, qui procède au contraire par tâtonnement et apprentissage. Il ne semble pas aberrant d’affirmer que l’abeille, par exemple, construit ses rayons à l’identique depuis des temps bien reculés.
Loin de considérer l’animal comme une mécanique bien huilée, c’est par l’intermédiaire d’une discussion imaginaire entre un biologiste et un physiologiste qu’Uexküll définit « l’arc réflexe » comme « le fondement de toute machine animale. » (fig. 26). Les récepteurs enregistrent un stimuli extérieur et transmettent un signal aux cellules sensorielles. Sur le principe de l’action/réaction, les cellules motrices envoient alors une réponse aux effecteurs. La machine s’active. Uexküll ne nie pas l’existence de l’arc réflexe dans « les milieux simples » comme celui de la paramécie par exemple. Mais il réfute l’action/réaction comme principe fondamental de définition du vivant.

Processus internes au sujet

Reprenons : nous avons vu dans quelle mesure le milieu conditionne l’action du sujet, ainsi que certaines de ses productions. Demandons-nous maintenant comment le sujet conditionne la composition du milieu ?

Dynamique troisième : Le Milieu Intérieur

Nous avons vu que chaque organisme évolue dans un monde propre. Ce milieu est constitué d’une myriade d’objets qui agissent sur le sujet, puisque celui-ci les perçoit ; mais en retour le sujet façonne les objets de son milieu puisque les objets n’acquièrent un sens qu’en traversant « son esprit ». Ceci viendrait à séparer l’Umwelt en deux milieux : l’un extérieur, l’autre intérieur (fig. 40). Claude Bernard, adopte une vision physiologiste de cette possible dualité : « Dans l’expérimentation sur les corps bruts, il n’y a à tenir compte que d’un seul milieu, c’est le milieu cosmique extérieur : tandis que chez les êtres vivants élevés, il y a au moins deux milieux à considérer : le milieu extérieur ou extra-organique et le milieu intérieur ou intraorganique. […] Car la complexité due à l’existence d’un milieu organique intérieur est la seule raison des grandes difficultés que nous rencontrons dans la détermination expérimentale des phénomènes de la vie et dans l’application des moyens capables de les modifier. » Nous ne retiendrons peut être pas la conception du monde intérieur de Claude Bernard, mais elle a le mérite de souligner que les êtres vivants ne sont pas seulement influencés parce qui se trouve autour d’eux, mais aussi par ce qui est « en eux ».

Sémiosphère

L’interdépendance de l’organisme avec son milieu force la reconnaissance des structures sur lesquelles repose leur relation . Cette reconnaissance peut découler d’un plan, comme nous l’avons évoqué. Mais chez l’humain, un autre modèle semble enrichir cette interdépendance : celui des codes culturels et de la mémoire non génétique ; modèle que Yuri Lotman (1922-1993) a théorisé à travers le concept de sémiosphère. Plus précisément, la sémiosphère peut être considérée comme un ensemble de références d’une culture donnée, nécessaire à la mise en place des systèmes porteurs de sens qui la composent.
Prenons un exemple : Le domaine de l’art est fortement assujetti à l’influence des codes culturels et de la mémoire au sein d’un groupe d’individus. L’œuvre de l’artiste est le fruit de sa pensée et de ses actions. Lui seul détient la mélodie qui guide ses faits et gestes. Mais nous pouvons dire que cette mélodie est empreinte de sonorités qu’il partage avec le (ou les) groupe(s) d’individus dans le(s)quel il s’inscrit. Si bien qu’en tant que spectateurs, bien souvent, « nous voyons bien la main du peintre en train de poser sur la toile une touche de couleur après l’autre, mais la mélodie qui guide sa main nous reste totalement inconnaissable. »
L’illustration de ces propos nous vient de La théorie de la signification, de Jacob von Uexküll. A propos du petit tablier d’Iver Arosenius, intitulé Madonna (fig. 41), l’auteur écrit : « Le tableau est composé avec une perfection telle que l’on en oublie le peintre et que l’on croit contempler un petit miracle de la nature. Le thème de la madone est ici le germe de signification. »(nous y reviendrons).
Milieu technique et tendance André Leroi-Gourhan évoque également « le jeu de deux milieux »dans l’essor des techniques. Voici ladéfinition qu’il en donne : « Les valeurs du milieu extérieur et du milieu intérieur sont claires. Par le premier terme, on saisit d’abord tout ce qui matériellement entoure l’homme : milieu géologique, climatique, animal et végétal. Il faut, avec des modalités que nous dégagerons, étendre la définition aux témoins matériels et aux idées qui peuvent provenir d’autres groupes humains. Par le second terme, on saisit, non pas ce qui est propre à l’homme nu et naissant, mais à chaque moment du temps, dans une masse humaine circonscrite (le plus souvent incomplètement), ce qui constitue le capital intellectuel de cette masse, c’est à dire un bain extrêmement complexe de traditions mentales. » . Dans cette définition, le milieu intérieur prend les traits de la sémiosphère de Yuri Lotman. Heinz von Foerster (1911-2002), l’un des fondateurs de la cybernétique de deuxième ordre, complète : « Tandis que l’homme évoluait selon un jeu réciproque entre la mutabilité génétique et la sélectivité de l’environnement, ses symboles créés par lui évoluaient selon un jeu réciproque entre sa flexibilité d’expression et sa sensibilité à distinguer. »
Le milieu intérieur est trop vaste et singulier, et je ne vous embarquerai pas dans son exploration, je m’y perdrais. En revanche, une partie de ce milieu nous intéresse pour revenir aux considérations techniques que nous avons quittées :le milieu technique. Il constitue la partition du milieu intérieur qui « commande la vie technique » et par extension la conditionne. Chaque groupe ethnique compose donc ses outils à partir de cet ensemble immatériel qu’est son milieu technique propre. Les éléments techniquesdu futur objet y sont donc présents (fig. 43), mais cela ne nous dit pas comment ils sont assemblés ?

Biosémiotique

Une fois que l’on a dit ça, il paraît logique de s’intéresser un court instant à la sémiotique, théorie générale des signes et de leur signification. Charles Sanders Peirce (1839-1914), instigateur de cette théorie et discipline, introduit le signe au sein d’un rapport de sémiose, décomposé en trois parties : un signe, un objet, et un interprétant. Prenons un escargot : le mot « escargot » est le signe, l’objet est véritablement ce qui existe et que je désigne par ce mot, et l’interprétant est la définition que nous partageons de ce mot : l’archétype de l’escargot pourrait-on dire . L’interprétant joue un rôle important dans la signification puisqu’il la distingue d’une simple action-réaction : « Celui-ci n’a rien à voir avec le sujet récepteur. C’est plutôt le sens qui peut être une idée, une réponse émotionnelle, une action ou un comportement à travers lequel tel signe se trouve momentanément traduit, cette interprétation pouvant toujours être reprise à son tourdans la chaîne des significations.
La chaine de signification évoquée ici ne peut s’établir que par la communication, seul processus (au sens large) permettant de transmettre l’interprétant à d’autres sujets.
Il est aisé d’imaginer ces formes de communication chez l’homme. L’interprétant peut être transmis au cours d’une discussion, par le partage d’images, par la publicité ou que sais-je. En revanche, ceci est plus dur à déceler dans la nature, car ces techniques de communication sont bien souvent intrinsèquement liées à l’Umwelt du sujet. « « Culture, » so-called, is implanted in nature; the environment, or Umwelt, is a model generated by the organism. Semiosis links them. »

Évolution naturelle des formes

Nous avons proposé une évolution des formes par coévolution des êtres, c’est à dire une action réciproque des uns sur les autres. Ce principe semble pouvoir décrire l’apparition des formes chezles organismes, depuis une échelle restreinte (souvenons nous des structures de Turing, du « french flag model » ou encore de l’hypothèse de la reine rouge) jusqu’à une échelle plus importante (souvenons nous de l’araignée et de la mouche, de l’abeille et la fleur). Ce principe de coévolution met donc en relation, non pas seulement les êtres entre eux, mais les formes qui les composent.
Prenons le risque d’une schématisation. L’ensemble de ces relations est bien trop important pour être représenté, ni même imaginé ; alors prenons un infime fragment de cet ensemble de formes et observons leur comportement. Pour cela, référons nous à la figure 64montrant une triangulation de Delaunay. Les formes sont représentées par les points, leurs relations par les lignes. Le principe géométrique de la triangulation de Delaunay suit le critère de la boule vide, à savoir que les boules ouvertes circonscrites aux sommets de la triangulation (représentées en gris) ne contiennent aucun sommet. On peut donc imaginer que si un point est déplacé, ce critère de la boule vide engendre le déplacement des autres points auxquels il est relié. Ce déplacement s’opère de proche en proche, affectant d’abord le déplacement des points à proximité, puis celui des points éloignés. Ce schéma est bien entendu trop simple, et ne décrit pas la réalité de ces relations complexes entre les formes de la nature, mais il permet de comprendre au moins comment l’ensemble coévolue.

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Table des matières
Introduction
I. Le milieu, ensemble de définition
« L’Umwelt »
Etablissement du milieu et comportements
Sens et outils de perception
Espace, temps et milieux
Milieu comme demeure
II. Processus internes au milieu
A. Dynamique première : Le Plan
Tropismes et mécanismes
Vitalisme
« Imprinting » et régulations
B. Dynamique seconde : Le Déterminant
L’archétype
Déterminisme technique
Complexité architecturale
III. Processus internes au sujet
A. Dynamique troisième : Le Milieu Intérieur
Sémiosphère
Milieu technique et tendance
Continuité
B. Dynamique quatrième : Le Signe
Biosémiotique
Porteurs de signification
Cercles de significations
IV. Morphogénèse et action réciproque
A. Réaction première : Le Contrepoint
Le hasard n’existe pas
Auto-organisation
Structures de Turing
French Flag Model
Motifs
B. Réaction seconde : Le Progrès
Relecture de la théorie de l’évolution
Transmission et progrès technique
Emprunt
Invention
Conclusion

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