Quand l’apparence vient ébranler le soin

L’EXPERIENCE DE LA LIMITE DU SUPPORTABLE 

M. F. Collière, dans son livre Promouvoir la vie parle des limites des soins infirmiers de la façon suivante : « Comme les usagers des soins, les infirmiers connaissent des seuils de tolérance aux possibilités de prodiguer des soins ». Elle en évoque rapidement les causes et les conséquences : stress, angoisse, incertitudes, émotions fortes. Limite* signifie : point qui ne peut ou ne doit pas dépasser le domaine, l’influence, l’action de quelque chose ; point que ne peut dépasser les possibilités physiques ou intellectuelles A la limite de…* : en poussant les choses à l’extrême .

La limite c’est ce qu’on ne peut franchir dans les faits : on est alors dans le domaine de l’impossible. C’est un passage empêché, c’est ce qui me résiste, que je ne peux ni changer ni modifier ou que je ne peux sentir, imaginer, concevoir : c’est l’infaisable ou l’impensable. A la limite de…, nous invite à repousser les faits. On est alors dans le domaine du devenu possible. On tend vers une progression sans jamais l’atteindre voire une transgression. Il m’a été difficile de trouver de la documentation sur le sujet. Dans la littérature médicale, un chapitre lui est de temps en temps consacré comme par exemple dans le livre de M. S. Richard Soigner la relation en fin de vie mais les limites évoquées sont souvent en lien d’une manière générale avec la souffrance du soignant face à la mort, la douleur. On parle aussi souvent de la limite de la médecine face au corps humain. Les soignants se trouvent parfois face à leurs limites : limites techniques, éthiques, institutionnelles, organisationnelles, humaines. Ces dernières sont difficiles à définir. Elles sont propres à chacun et peuvent bouger. Elles sont mouvantes et rétablies alors dans leur nouvelle intention. Nous entretenons un rapport assez curieux avec elles voire ambivalent, tendu, conflictuel. Parfois nous repoussons nos limites jusqu’à l’extrême de ce qui est supportable*, c’est-à-dire qu’on peut supporter, subir sans faiblesse, qu’on peut tolérer, qui est acceptable. La définition nous renvoie vers son verbe supporter : éprouver les conséquences pénibles (d’un événement, un état, une action) sans faiblir, avec constance au sens de souffrir, soutenir, accepter, accommoder, endurer, résister. On est passé d’une mise en garde de la limite à une injonction au dépassement, à une gageure. Le réel continue d’imposer des limites mais certaines provocations nous amènent à nous dépasser et à relever des défis. Quand j’interroge mes collègues sur ce qui n’est pas supportable, la cohérence des résultats est convaincante : la souffrance et la douleur. Quand vient la question de la limite du supportable, les odeurs d’escarre sont évoquées en premier, puis les crachats surtout à cause de la vue et de leurs côtés visqueux soulevant d’ailleurs chez certains des grimaces voire des nausées. Mais elles font plutôt preuve d’une certaine réserve comme s’il valait mieux taire ce qui viendrait ternir l’image du « bon soignant ». C’est un sujet tabou dont on ne parle pas (annexe 2). Certains patients devancent les soignants en s’exprimant comme dans une sorte d’excuse pour ce qu’ils leur imposent ou pour les préparer à faire face à ce qu’ils vont trouver : « ça sent pas très bon… c’est pas très joli… ». D’autres trouvent cela normal. Un jour, la femme d’un patient a dit en toute bonne foi, sans aucun mépris ? à son mari qui venait de vomir et se sentait gêné de me donner sa cuvette pour que je la vide et la nettoie : « Ne t’inquiète pas. Elle est là pour ça ». Dans la situation narrative que j’évoque, je pense que j’avais atteint mes limites, peut-être même les avais-je dépassées puisqu’une réaction de dégoût et de répulsion était apparue face à ce chaos. Elles me donnaient trop à voir, à supporter. Si je pouvais détourner le regard de la patiente, l’odeur s’imposait toujours à moi.

L’exemple du dégoût
Le dégoût est le manque de gout entrainant une réaction de répugnance, aversion que l’on éprouve pour quelque chose.

Le dégoût est une émotion courante quotidienne qui peut aller d’un simple serrement de gorge jusqu’à nous mettre dans des états extrêmement désagréables. Dans l’article La fabrication du dégoût , les auteurs nous rappellent que le somatique impose sa domination immédiate à travers des réactions de répulsion se traduisant par des nausées ou des vomissements mais aussi à travers des réactions de fascination. Dans un premier temps, le caractère irrépressible de ce phénomène naturel nous convoque : on ne peut pas lutter, il échappe au contrôle de la volonté. Le dégoût provoque alors une mise à distance sensorielle de l’objet répulsif. Dans un deuxième temps, il est pensé, réfléchi.

Soigner induit une forte implication personnelle. Quand les émotions s’en mêlent, cela peut alors devenir extrêmement complexe De plus, ce que nous considérons comme aller de soi est encouragé par un système de travail culpabilisant et par les patients eux-mêmes parfois. On nous demande de repousser nos limites, de soigner en toute circonstance, de toujours faire face. On peut alors se retrouver facilement dans une position extrême de la limite. On nous demande même d’agir au-delà des limites auxquelles nous sommes confrontées. Mais un jour, cependant, elles viennent briser notre dynamique. Elles nous surprennent, nous déstabilisent, nous font perdre le contrôle, nous rendent confuses. On oublie alors de façon fugace que le malade est « si malade » .

On pense aussi que montrer ses limites, c’est risquer de se mettre en position de faiblesse, ne plus se maîtriser. Mais se poser la question des limites, en être conscient, c’est interroger sa pratique, son investissement, son comportement, son approche des soins : c’est finalement entreprendre une démarche réflexive. Ce retour sur soi est nécessaire pour amener une meilleure prise en charge, donner du sens à son travail, trouver une cohérence dans son engagement. Trop souvent, en effet, les soignants qui sont très exigeants à l’égard d’eux-mêmes, ont de la peine à établir des limites, à les verbaliser. On ne nous a pas appris à en parler. On nous a enseigné les soins de bases, on nous a donné des procédures, « des recettes ». C. Mercadier rappelle que le soignant utilise son corps en première intention comme outil de perception avec ses cinq sens pour collecter des données cliniques. Dans les IFSI, on nous a appris à les professionnaliser. J’ajouterai même que parfois on nous a appris à les aiguiser. Puis on nous a demandé d’œuvrer dans toute sorte de situations. Nos sens, ainsi développés, sont exposés de façon permanente. Alors quand un cas extrême survient, ils peuvent induire des réactions démesurées. Les limites que le soignant peut supporter sont atteintes. Mais elles lui paraissent inacceptables. La culpabilité et la honte s’installent. Ce qu’on considère comme aller de soi s’effondre. Il se juge alors « mauvais soignant ». Il remet en cause son identité professionnelle. Il en résulte une blessure narcissique.

On nous invite à rentrer dans un rôle où on nous prie d’être forts voire de ne pas ressentir d’émotions ou tout du moins de ne pas trop en faire étalage. Or le soignant est constamment exposé à des situations suscitant d’intenses réactions psychologiques et parfois physiologiques. Il devient alors tellement vulnérable que des émotions invalidantes l’envahissent. Plutôt que de les affronter, il met en place des stratégies d’adaptation telles que la fuite, l’évitement.

LES STRATEGIES D’ADAPTATION 

Tout d’abord, je commencerai en faisant un détour par la littérature en tentant un rapprochement avec ma situation d’appel afin de mettre en évidence des excès de réactions déconcertantes et d’adaptation. Je m’attarderai donc sur une nouvelle : La MétamorphoseQuand je demande encore aux soignants de mon service quelles stratégies d’adaptation ils mettent en place, on sent parfois une certaine réticence à répondre. Ils sont plutôt laconiques : « je me prépare mentalement… je pense à autre chose… je m’adapte… je fais avec, de toute façon on n’a pas le choix…je me dépêche ». Certains répondent avec de l’humour, des rires, des faux-fuyants. Une certaine gêne à s’exprimer est notable. Un autre souligne qu’au fond, il ne sait pas vraiment et qu’il n’existe pas de recettes. Finalement dans le feu de l’action, les soignants font ce qu’ils peuvent : ils « bricolent » (annexe2). . Son auteur, F. Kafka, décrit parfaitement les réactions d’une famille face à l’effroi d’une situation singulière et bouleversante. Le héros provoque une réaction de terreur, de panique et de fuite chez tous ceux qui l’approchent. Sa mère notamment l’abandonne et ne pourra jamais dominer sa peur face à son fils qu’elle ne reconnait plus : « Au secours ! Pour l’amour de Dieu au secours ! Elle tenait la tête penchée pour mieux voir Gregor mais, chose absurde, s’éloignait en courant dans un mouvement contraire » ; sa sœur quant à elle «… ne supportait toujours pas de le voir, que son aspect lui serait sans doute à jamais insupportable et qu’elle devait faire un violent effort pour ne pas prendre la fuite… », la bonne « était tombée à genoux devant la mère en l’implorant de lui donner son congé sur le champ ». Une autre stratégie d’adaptation ponctue cette nouvelle : le silence. On ne doit pas en parler.

Quand je demande encore aux soignants de mon service quelles stratégies d’adaptation ils mettent en place, on sent parfois une certaine réticence à répondre. Ils sont plutôt laconiques : « je me prépare mentalement… je pense à autre chose… je m’adapte… je fais avec, de toute façon on n’a pas le choix…je me dépêche ». Certains répondent avec de l’humour, des rires, des faux-fuyants. Une certaine gêne à s’exprimer est notable. Un autre souligne qu’au fond, il ne sait pas vraiment et qu’il n’existe pas de recettes. Finalement dans le feu de l’action, les soignants font ce qu’ils peuvent : ils « bricolent » (annexe2).

Dans le cas de Madame L, je suis sans doute face à quelque chose d’inconcevable pour moi. Son apparence menace très certainement mon identité de soignant mais également mon système de soin. On est à la limite du possible, du tolérable, du pensable. Son apparence aboutit d’emblée à un dégoût, une répulsion, puis un rejet, une fuite mais aussi une culpabilité, une honte, une détresse après coup. Mais en même temps, je suis dans une sorte d’ambivalence conflictuelle de répulsion/fascination. Deux réactions simultanées et opposées apparaissent. Cependant, confrontée à l’insupportable et submergée par cette image de déchéance, je finis par me détourner. Dégoûtée, je rejette. Envahi par de nombreuses émotions, le soignant élabore des mécanismes de défense afin de se protéger : la mise à distance, la fuite, l’évitement.

Des mécanismes de défense, M. Ruszniewki, psychologue clinicienne, nous dit « toute situation d’angoisse, d’impuissance, de malaise d’incapacité à répondre à ses propres espérances ou à l’attente d’autrui, engendre en chacun de nous des mécanismes psychiques qui, s’instaurant à notre insu, revêtent une fonction adaptative et nous préservent d’une réalité vécue comme intolérable parce que trop douloureuse. Ces mécanismes de défense, fréquents, automatiques et inconscients ont pour but de réduire les tensions et l’angoisse, et s’exacerbent dans les situations de crise et d’appréhension extrêmes. »Si je reprends, en ce qui me concerne, l’exemple de la fuite, M. Ruszniewski parle alors d’évitement. Elle donne alors l’exemple des soignants considérant le patient comme objet de soins et non comme sujet de soins.

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Table des matières

INTRODUCTION
RECIT DE LA SITUATION
PROBLEMATIQUE
SOIGNER, PRENDRE SOIN
LES APPARENCES
L’EXPERIENCE DE LA LIMITE DU SUPPORTABLE
LES STRATEGIES D’ADAPTATION
LES CONSEQUENCES DANS LA RELATION DE SOIN
RESTER PROFESSIONNEL AVANT TOUT
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE 1
ANNEXE 2
REMERCIEMENTS

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