Analyse des patrons de dispersion de graines par les sangliers sauvages

La dispersion peut être définie comme l’ensemble des « modalités et moyens que les plantes supérieures emploient pour atteindre des sites où une nouvelle génération peut s’établir » (Van der Pijl, 1982). Ce processus joue un rôle essentiel dans la distribution actuelle des espèces, dans un contexte de changements climatiques et d’affectation des sols (Couvreur et al., 2005). En effet, ce contexte peut être à l’origine de phénomènes de dispersion longue distance (inondation, transport de graines exotiques…) et influencer la distribution spatiale de certaines espèces (Cain et al., 2000). L’évolution a favorisé des mécanismes de dispersion qui présentent un intérêt biologique important en permettant à des populations végétales de persister (Picard & Baltzinger, 2012). En effet, elle assure notamment les capacités de colonisation de zones d’habitat propices et d’échanges de flux génétiques des espèces (Bullock & Primack, 1977 ; McConkey et al. 2012). La dispersion contribue alors à renforcer la résilience écologique des milieux suite à une perturbation et réduit les risques d’extinction liés à la consanguinité (Heinken et al., 2006 ; Bacles et al., 2006). Les rôles de la dispersion ne s’arrêtent pas là, puisqu’elle participe également à la diversité végétale spécifique (Wesselsde Wit & Schwabe 2010) et donc, dans certains cas à limiter la compétition intraspécifique (Picard et al., 2016). Ainsi, la fitness (valeur sélective) de la plante est optimisée, ce qui lui permet de coloniser de nouveaux sites (Willson & Traveset, 2000 ; Couvreur et al., 2004). De plus, selon Daniel G. Wenny (2001), la dispersion confère aux espèces un intérêt adaptatif qui relève de trois domaines : “l’échappement”, permettant de se soustraire à l’environnement parental où les densités de graines sont plus élevées, “la colonisation” de nouveaux espaces et enfin, la “dispersion dirigée” leur permettant d’orienter les graines vers des écosystèmes aux conditions favorables. Cependant, si la dispersion dirigée se révèle être un véritable intérêt adaptatif, cela va de pair avec l’acquisition, par les plantes, de traits biologiques tels que la dormance longue ou la capacité d’adhésion à l’animal (Willson & Traveset, 2000). Pour ce faire, le mouvement, à l’origine de la dispersion, doit être assuré par différents vecteurs abiotiques ou biotiques tels que le vent (anémochorie), l’eau (hydrochorie) ou encore les animaux (zoochorie). Parmi ces agents de dispersion, les animaux font partie des modes de dispersion les plus efficaces à travers le processus épizoochore (Graae, 2002). Trois étapes semblent régir ce processus. En effet, sa définition intègre les notions d’“initiation”, lorsque le processus débute par l’adhésion des graines sur l’animal, de “transport”, qui permet d’aboutir à la dernière phase, celle de l’“établissement” (Tassin J., 2009). Cette dernière étape correspond au lieu de dépôt des graines qui, si celles-ci sont viables, permet la constitution d’une nouvelle génération (Liehrmann et al., 2018). Myers & Harms (2009), ont démontré que la fourrure était un filtre écologique puissant, plus efficace que l’épizoochorie des sabots. Couvreur et al. (2005) ont quant à eux défini l’épizoochorie comme étant plus spécifique que l’endozoochorie. Ceci est lié aux caractéristiques morphologiques des graines (graines allongées, présence d’appendices ou des crochets allongés) et à la hauteur des plantes dont elles sont issues, (Albert et al., 2015 ; Will et al., 2007). Ces derniers paramètres sont favoarbles à l’épizoochorie et accroissent considérablement le temps de rétention (Kiviniemi & Telenius, 1998). Ainsi, la distance et l’efficacité de la dispersion induite par les animaux sont régis par l’effet combiné de la durée de rétention des graines, leurs mouvements et la capacité des graines à germer et à produire une plante adulte (Nathan et al., 2008 ; Schupp, 2010). Certaines habitudes comportementales des grands mammifères induisent de grands déplacements et donc de larges distances de dispersion potentielles (Will et al., 2007). Cependant, peu d’auteurs ont tenté d’estimer les distances de dispersion et certains considèrent même que celles-ci sont laborieuses à mettre en évidence et sont donc peu étudiées (Kiviniemi, 1996 ; Graae, 2002). Les études réalisées ont permis de mettre en évidence une distance de dispersion pouvant atteindre près de 1500 m pour certains ongulés sauvages (Vittoz & Engler, 2007). Ces mammifères pouvaient alors transporter prêt de la moitié des espèces d’une communauté (Albert et al., 2015). Mouissie et al. (2005) ont comparé des distances de dispersion de trois vecteurs de dispersion (Ovis aries, Dama dama et Apodemus sylvaticus) et ont ainsi estimé des distances variant entre 2900 m (Ovis aries), 435 et 840 m (Dama dama) et 12 m (Apodemus sylvaticus). La capacité de dispersion de cette dernière espèce fut revue à la hausse par Kiviniemi & Telenius (1998), qui observèrent une distance de prêt de 30 m, ainsi qu’une capacité maximale de 1200 m pour les daims et 780 m pour les bovins (Bos taurus). Ainsi, il a été démontré que les grands mammifères pouvaient disperser les graines à plus grande échelle que les petits mammifères, néanmoins précieux à l’échelle local. Ces mammifères affectent alors la distribution des plantes dans les milieux. Malgré la fragmentation de ceux-ci, les grands mammifères favorisent les flux entre ces espaces et peuvent être considérés comme des “corridors écologiques dynamiques” (Couvreur et al., 2004). Le sanglier sauvage (Sus scrofa) fait partie de ces grands mammifères propices à l’étude du processus de dispersion épizoochore. En effet, il s’agit d’un acteur déterminant de ce processus en raison de différents traits de vie, aussi bien biologiques que comportementaux, entraînant des déplacements dans des habitats variés (Nathan et al., 2008) dans un large espace vital (Picard & Baltzinger, 2012). Tout comme les adaptations morphologiques des graines ou la hauteur de la plante, déterminant l’emplacement des graines sur l’animal (Hovstad et al. 2009), le comportement a également un rôle important sur le succès du transport des graines et le temps de rétention (Kiviniemi, 1996). Chez le sanglier, ce comportement consiste à se baigner quotidiennement dans des “souilles” (Bracke, 2011), cuvettes humides plus ou moins remplies d’eau stagnante toute ou partie de l’année (Welander, 2000). En effet, ne possédant pas de glandes sudoripares, glandes spécialisées dans la sécrétion de la sueur, ils doivent trouver un moyen leur permettant de se maintenir à une température optimale. Le sanglier étant un organisme homéotherme, le bain dans la souille lui est vital pour garantir une thermorégulation corporelle en se vautrant régulièrement dans l’eau d’une souille (Mauget et al., 1984). Ces bains de boue leur permettent également de se défaire de leurs parasites présents sur leur fourrure (Barrios-Garcia & Ballari, 2012). Une fois le sanglier vautré dans la souille, il doit se débarrasser de la boue présente sur son pelage. Pour ce faire, il se frotte aux troncs d’arbres avoisinant les souilles et les chemins forestier appelés « frottoirs » (Bracke, 2011). D’après Picard & Baltzinger, (2012), ce comportement serait le principal responsable de la dispersion épizoochore réalisée par le sanglier. En effet, en comparaison avec d’autres ongulés sauvages, son efficacité est incontestable en termes de quantité de graines et d’espèces dispersées (Heinken et al., 2002 ; Picard & Baltzinger, 2012). Mais l’efficacité du sanglier dans le processus de dispersion est également due à des traits morphologiques : mélangées à la boue, les graines peuvent plus aisément adhérer à la fourrure des sangliers, constituée de poils raides, qui permettent une bonne adhésion des graines (Picard & Baltzinger, 2012). Ainsi, le sanglier peut transporter ces graines sur plus de 2km au sein d’un large domaine vital de plus de 166 hectares (Heinken et al., 2006). En outre, lorsque le sanglier creuse sa souille et s’y roule, il contribue à disperser et mélanger un ensemble de graines ; parfois enfouie sur plusieurs centimètres et ayant conservés leurs propriétés germinatives, ces graines sont progressivement incorporées à la banque de graines du sol lorsque celles-ci se détachent. Ainsi, la dispersion, associée à l’activité de labour du sanglier, permet de modifier la distribution des horizons du sol. Le processus de recolonisation de milieux perturbés est alors favorisé en permettant la germination de ces graines, jusque-là en état de dormance, qui se retrouvent dans de nouvelles conditions favorables à leur développement (Albert et al., 2015).

la dispersion épizoochore par le sanglier à la constitution de la banque de graines, qui jusque-là reste peu connue. Nous cherchons à déterminer des distances de dispersions réalisées via les sangliers, à travers leur comportement. Ainsi l’intérêt sera de mettre en place un protocole permettant d’établir un lien entre distances de dispersion et quantités de graines retrouvées au pied des arbres frottés. Nous supposons alors que la quantité de graines retrouvées dans chaque échantillon de sol prélevés au pied des arbres frottés devraient diminuer au fur et à mesure que ces échantillons sont éloignés de la souille associée.

Matériels et méthode 

Site d’étude

Cette présente étude a été réalisée dans la forêt du Domaine National de Chambord. Situé dans le département du Loir-et-Cher, c’est le plus grand parc clos d’Europe, avec ses 5440 hectares ceinturés par un mur d’une longueur de 32 km (Pellerin, 2014). En raison de cet isolement, réduisant drastiquement toute émigration, le parc comporte une forte population de grands ongulés : cerfs  Cervus elaphus L.), sanglier (Sus scrofa L.), chevreuils (Capreolus tcapreolus L.) et mouflons de Corse (Ovis orientalis spp.musimon Schreber.). Ainsi, pour que la capacité de charge, c’est àdire la taille maximale de la population que le milieu peut supporter, soit optimum, une gestion particulière y est donc pratiquée. La chasse y tient donc une place importante, afin de réguler la densité de population des ongulés qui n’ont plus de prédateurs naturels (Garnier, 2014). En raison de cet isolement, entraînant une forte population, le site a été choisi pour mener ces recherches sur les processus de dispersion. La parcelle forestière correspondant à notre zone d’étude se compose principalement de feuillus, dominées par le chêne pédonculé (Quercus robur L.) et de résineux dominés par le pin sylvestre (Pinus sylvestris L.) (Garnier, 2014). Sur le site d’étude, la roche mère appartient majoritairement au groupe “formations de Sologne” qui peut être associé à un plancher argileux de faible profondeur. Ces caractéristiques confèrent au sol des propriétés de rétention d’eau, indispensables à la formation des souilles, et donc par ailleurs permet au site d’être propice au processus de dispersion épizoochore.

Protocole expérimental 

Identification des souilles 

Suite à une première prospection sur le terrain, trois souilles ont été sélectionnées parmi celles identifiées. Le principal critère de sélection était la présence d’eau stagnante dans la dépression, assurant ainsi le comportement de roulade du sanglier. Ces souilles se situaient à proximité des chemins forestiers comme le suggérait Welander (2000).

Diaspores 

Afin de faciliter le suivi des graines sur le terrain, celles-ci ont été colorés à l’aide de bombes de peintures fluorescentes. Trois couleurs ont été utilisées, le jaune, le rose et l’orange, ce qui permet d’une part, de mieux discerner les graines lors de l’échantillonnage et, d’autre part, de déterminer de quelle souille proviennent les graines dispersées. En effet, à la surface de chaque souille a été lâché des graines d’une seule et même couleur, permettant alors d’estimer la distance de dispersion entre la souille et l’arbre échantillonné. Pour chaque souille une quantité similaire de graine a été utilisée afin d’assurer la réplicabilité de l’expérience.

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Table des matières

Introduction
Matériels et méthode
2.1- Site d’étude
2.2 – Protocole expérimental
2.2.1- Identification des souilles
2.2.2- Diaspores
2.2.3 – Identification des frottoirs
2.2.4- Echantillonnage
2.3- Variables et tests statistiques
Résultats
Discussion
4.1- Analyse des résultats
4.2- Critique de la méthode
Conclusion
Bibliographie
Annexe

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