LES GAINES DU COMBUSTIBLE NUCLEAIRE
Les Réacteurs à Eau sous Pression (REP) [1-2] sont constitués de trois circuits. Le circuit primaire, au cœur du réacteur, constitue le lieu de la réaction de fission nucléaire au sein duquel se situent les gaines du combustible. Ces dernières, actuellement fabriquées en alliage de zirconium, constituent la première barrière de confinement du combustible nucléaire. En conditions normales de fonctionnement, les gaines sont entourées d’eau sous pression à 155 bars et à environ 350°C. Cette eau sert à la fois de réfrigérant pour les gaines et de fluide caloporteur afin de chauffer l’eau du circuit secondaire. Au sein de ce dernier, l’eau, ainsi chauffée, se vaporise et fait tourner une turbine couplée à un générateur. C’est ainsi que l’on produit l’électricité. La vapeur du circuit secondaire est ensuite refroidie et recondensée grâce au circuit tertiaire.
Une gaine de combustible [3], également appelée crayon combustible, est un tube mesurant plus de 4 mètres de hauteur, environ 0,6 mm d’épaisseur et 9,5 mm de diamètre externe. Elles sont regroupées dans des assemblages combustibles. Chaque assemblage contient 264 crayons. Chaque réacteur contient entre 157 et 241 assemblages en fonction de sa puissance. Afin d’éviter de contaminer le circuit primaire en produits radioactifs et éviter tout point chaud au sein des assemblages combustible, l’ensemble des gaines du combustible doit respecter un cahier des charges strict aussi bien en conditions nominales de fonctionnement qu’en conditions accidentelles hypothétiques. Ainsi, l’ensemble des caractéristiques des gaines du combustible est pris en compte dans le dimensionnement des assemblages du combustible et des systèmes de sûreté associés.
CONDITIONS NOMINALES DE FONCTIONNEMENT
En fonctionnement nominal [3-6], les gaines du combustible vont subir des sollicitations importantes en température et sous irradiation. Par ailleurs, l’environnement aqueux conduit à des phénomènes de corrosion (oxydation, hydruration) qu’il faut limiter autant que possible, pour notamment éviter une fragilisation excessive de la gaine.
Le choix des alliages de zirconium et leur optimisation au cours des dernières décennies ont été motivés, entre autres, par :
– leur bonne transparence neutronique ;
– leur bonne résistance à la corrosion en milieu REP ;
– des propriétés mécaniques permettant des évolutions dimensionnelles avant et après irradiation. En effet, ces évolutions peuvent provenir de sollicitations en service telles que la pression externe du caloporteur, la pression interne causée par l’interaction potentielle « pastille-gaine », le fluage ou encore le grandissement sous irradiation ;
– en conditions post-service, un comportement mécanique résiduel des gaines irradiées/corrodées compatible avec les étapes d’entreposage, de transport et de recyclage des combustibles usés.
Au-delà de la qualification du comportement des gaines en conditions nominales de fonctionnement, le dimensionnement des assemblages combustible et des systèmes de sûreté connexes passent par une évaluation de leur comportement en conditions hypothétiques accidentelles telles que l’Accident par Perte de Réfrigérant Primaire (APRP).
CONDITIONS ACCIDENTELLES
L’accident de refroidissement ou accident par perte de réfrigérant primaire (APRP) [3-5] est caractérisé par un défaut de refroidissement du cœur. C’est un accident de dimensionnement de « classe 4 », c’est à dire que sa probabilité d’occurrence par an et par réacteur est comprise entre 10⁻⁴ et 10⁻⁶.
L’APRP [3-5] résulte de la présence d’une brèche dans le circuit primaire du réacteur. Ceci entraine une dépressurisation du circuit primaire pouvant conduire à la vaporisation de l’eau de ce dernier. L’eau sous forme de vapeur ne refroidit plus assez efficacement les gaines et évacue moins bien les calories stockées dans la pastille de combustible (la température au sein de la pastille atteint plus de 1200°C à cœur). La température des crayons augmente fortement et peut atteindre de manière transitoire plus de 1000°C (malgré l’arrêt des réactions de fission dû à la chute des barres de commande). L’échauffement à plus long terme est dû à la puissance résiduelle du cœur (elle-même due à l’accumulation des produits de fission). Pour éviter un accident grave menant à la destruction et à la fusion étendue du cœur, il est impératif de le refroidir efficacement et rapidement par injection d’eau de secours. Il est également nécessaire de maintenir la capacité de refroidissement du cœur accidenté afin de permettre les opérations de maintenance (extraction des assemblages accidentés…).
Dans un premier temps, la dépressurisation et l’augmentation de la température provoquent une déformation des gaines due à l’augmentation de la pression interne, pouvant aller jusqu’à l’éclatement. De plus, cet échauffement est à l’origine de transformations métallurgiques modifiant les propriétés microscopiques et macroscopiques des gaines (notamment en raison de la transformation de phases allotropiques αZr (hexagonale compacte hcp) en phase βZr (cubique centré cc ou bcc) qui s’opère entre 800 et 1000°C, selon la nature de l’alliage de zirconium et de la vitesse de chauffe). La vapeur d’eau quant à elle est à l’origine d’une oxydation accélérée de la gaine du fait de la température élevée. Cette réaction d’oxydation conduit à la production de dihydrogène gazeux pouvant induire, dans les cas les plus extrêmes (c’est-à-dire en cas de perte des systèmes de refroidissement d’urgence), un risque d’explosion. Lorsque l’eau de secours est injectée via les systèmes de sûreté d’urgence dédiés, la gaine subit une trempe relativement brutale. Cette trempe doit survenir avant que la ductilité résiduelle de la gaine ne soit trop faible. En effet, cette dernière doit rester intègre et garder autant que possible son rôle de première barrière de confinement mais surtout maintenir une géométrie refroidissable du cœur du réacteur accidenté.
Selon les critères règlementaires APRP en vigueur depuis les années 1970 [7], lors de ce type d’accident, la température de la gaine ne doit pas excéder 1204°C (2200°F) et l’oxydation maximale de la gaine doit être maintenue en dessous d’un certain « seuil ». On définit ainsi le taux « ECR » (« Equivalent Cladding Reacted »), qui est l’épaisseur relative de la gaine consommée par l’oxydation si tout l’oxygène ayant réagi avec la gaine se trouvait sous forme de zircone stœchiométrique. Ainsi, selon les critères réglementaires historiques, ce seuil doit être inférieur à 17% sur le matériau à l’état de réception et potentiellement plus bas pour des gaines en fin de vie, afin de tenir compte notamment de l’effet fragilisant additionnel de la prise d’hydrogène en service. Selon la corrélation dite de « BakerJust » [8] préconisée pour le calculs de l’ECR, en terme de temps, le critère de 17% est atteint à 1200°C au bout d’environ dix minutes en oxydation simple-face (moins de trois minutes en «double » faces). En pratique cela impose que le refroidissement d’urgence (trempe) soit effectué avant l’atteinte de cette valeur seuil d’ECR.
Concernant la gaine de référence (non revêtue), l’effet de l’oxydation à haute température sur la fragilisation potentielle de la gaine à l’issue d’un transitoire APRP a été étudié de longue date [7]. Il est en particulier maintenant bien établi que, pour minimiser la fragilisation de la gaine due à l’oxydation à Haute Température (HT) en conditions APRP, il est nécessaire de retarder autant que possible la diffusion de l’oxygène dans la couche résiduelle de phase « Bêta-Zr » (couche la plus interne de la gaine restée métallique). Il faut par ailleurs éviter une prise d’hydrogène significative, déjà en conditions nominales pré-transitoire puis pendant le transitoire APRP proprement dit. Ceci constitue la motivation principale du développement des nouveaux concepts de gaines à robustesse accrue en conditions accidentelles («Enhanced Accident Tolerant Fuel » – EATF).
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre I – Gainage combustible revêtu de chrome : contexte et application
I.1/ Les gaines du combustible nucléaire
I.2/ Conditions nominales de fonctionnement
I.3/ Conditions accidentelles
I.4/ « Enhanced Accident Tolerant Fuel »
I.5/ Les gaines revêtues de chrome (études CEA-AREVA-EDF)
Problématique et démarche de l’étude
Chapitre II – Synthèse et analyse bibliographique
II.1/ Revêtements et interfaces
II.1.1/ Revêtements élaborés par dépôt physique par phase vapeur (PVD)
II.1.2/ Interfaces solide / solide
II.2/ Evolution possible d’une interface après irradiation
II.2.1/ Effets d’irradiation
II.2.2/ Interface en température hors irradiation
II.2.3/ Interface sous irradiation
II.3/ Propriétés et microstructures du zirconium et de ses alliages
II.3.1/ Zirconium et alliages de zirconium hors irradiation
II.3.2/ Zirconium et alliages de zirconium sous irradiation
II.4/ Propriétés et microstructures du chrome
II.4.1/ Chrome pur hors irradiation
II.4.2/ Chrome sous irradiation
II.5/ Couple Zr/Cr
II.5.1/ Analyse du diagramme de phases
II.5.2/ Couple de diffusion Zr/Cr hors irradiation
II.5.3/ Tenue mécanique des revêtements de chrome sur substrat Zr en température
II.5.4/ Couple Zr/Cr sous irradiation
Chapitre III – Matériaux étudiés, techniques expérimentales et conditions d’irradiation aux ions
III.1/ Matériaux étudiés
III.2/ Techniques de caractérisation
III.2.1/ Apports et limites des différentes techniques
III.2.2/ Microscopie Electronique en Transmission (MET)
III.3/ Présentation des campagnes d’irradiation réalisées
III.3.1/ Choix des conditions d’irradiation
III.3.2/ Campagnes d’irradiation
III.4/ Synthèse des objectifs des campagnes d’irradiation et des matériaux étudiés
Chapitre IV – Microstructure et dureté du revêtement de chrome avant et après irradiation aux ions
IV.1/ Description des revêtements de chrome à l’état de réception
IV.1.1/ Etat de surface
IV.1.2/ Morphologie des grains
IV.1.3/ Texture cristallographique et morphologique
IV.1.4/ Contraintes internes
IV.1.5/ Boucles de dislocation dans le chrome à l’état de reception
IV.2/ Evolutions microstructurales des revêtements de chrome après irradiation aux ions
IV.2.1/ Evolution des contraintes internes
IV.2.2/ Boucles de dislocation
IV.3/ Durcissement du chrome sous irradiation aux ions
IV.3.1/ Dureté à l’état de réception
IV.3.2/ Nano-indentation instrumentée
IV.3.3/ Résultats et discussion
IV.3.4/ Loi de durcissement
Chapitre V – Évolution sous irradiation de l’interface zircaloy-4/ chrome de « première génération »
V.1/ Etude de l’interface avant irradiation
V.1.1/ Analyses chimiques de l’interface
V.1.2/ Analyse structurale dans la zone enrichie en fer
V.1.3/ Analyse structurale de l’interface phases de Laves/chrome
V.1.4/ Analyse structurale de l’interface phases de Laves/zirconium
V.1.5/ Analyse structurale de l’interface zirconium/chrome
V.2/ Etude de l’interface après irradiation d’un matériau massif
V.2.1/ Rappel des conditions d’irradiation et microstructure
V.2.2/ Analyse chimique de l’interface après irradiation aux ions
V.2.3/ Analyse structurale des phases de Laves à l’interface après irradiation aux ions
V.2.4/ Analyse structurale de l’interface phases de Laves/chrome après irradiation aux ions
V.2.5/ Analyse structurale de l’interface phases de Laves/zirconium après irradiation aux ions
V.3/ Etude de l’interface après irradiation sur une lame FIB
V.4/ Discussion : évolution sous irradiation de l’interface « première génération »
V.4.1/ Interface Zr/phases de Laves/Cr avant irradiation
V.4.2/ Interface Zr/phases de Laves/Cr après irradiation aux ions
Conclusion générale
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